Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1
34 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 – AOÛT-SEPTEMBRE 2019

CE QUE J’AI APPRIS


J’ai toujours cherché à créer un pont entre les musiques, car je les aime toutes. Mon nouvel
album marie de manière épurée le folk et le chaâbi algérois. Nous sommes quatre musiciens, ce qui donne cette
couleur acoustique, délicate, dépouillée. Cela met en valeur cette rencontre. À travers le langage universel
de la musique, on crée des fusions que l’on ne parvient pas à faire avec le verbe.
La chanson éponyme, « Oumniya » (« mon souhait »), parle d’une trahison. Mais le refrain est positif :
ma prière est d’aller mieux, je crois en une force supérieure qui m’apaise en posant sa main sur ma poitrine.
J’ai longtemps entretenu un lien passionnel avec ma guitare, son étreinte me rassurait.
La musique était un refuge pour moi. Aujourd’hui, mon instrument m’accompagne toujours. Mais ayant dépassé
certaines angoisses et peurs, j’ai trouvé mon refuge ailleurs.
Je mets en musique un poème du Palestinien Mahmoud Darwich dans ma chanson
« Ajmalou Hob ». Il raconte un amour né de rien et qui peut, comme un miracle, apparaître là où on ne l’attend pas.
Telle une plante qui surgit d’entre les fissures d’une pierre, d’un mur, du bitume... C’est un grand signe d’espoir.
Plus jeune, je voulais ressembler à Nelson Mandela. Même s’il a passé une grande partie de sa
vie en prison, il a réussi à faire passer son message de manière pacifiste et à accomplir son idéal de justice. C’est
si difficile de défendre de grandes causes, de combattre les injustices, nous sommes comme des Don Quichotte.
Mon morceau « Je veux apprendre » aborde les inégalités entre filles et garçons dans certaines cultures du Moyen-
Orient, d’Afrique, du Maghreb : le mariage précoce, la non-scolarisation des filles... Et aussi l’aberrant statut
de mineure attribué à une femme célibataire ou sans tuteur, la discrimination envers une femme divorcée...
La révolution actuelle en Algérie est un moment historique. Nous n’avons jamais eu le droit
d’investir les rues, nous nous réapproprions les espaces publics. Depuis la décennie noire, nous étions toujours
en état de siège. Je me réjouis de cet éveil citoyen, de la conscience politique du peuple, de sa résistance et
de son intelligence. Car les autorités essaient par tous les moyens de le provoquer : ils l’insultent, le bousculent,
lancent des gaz lacrymogènes... Machiavéliques, ils tentent de créer des débordements, mais le peuple est
vraiment conscient et attentif. Je suis très admirative de mes concitoyens. Nous allons résister jusqu’à ce que
disparaissent tous les symboles et les traces du système Bouteflika et de son oligarchie, ce gouvernement
corrompu qui profite de l’argent du peuple. On aspire à une Algérie libre et démocratique, une vraie république,
qui va vers le progrès, la modernité, et règle ses injustices sociales. On y a droit.
Je vis en France depuis presque vingt ans, j’aime sa culture. Mais j’éprouve une certaine nostalgie
de mon pays. L’odeur du jasmin me manque chaque jour. Faire la sieste pendant que ma mère fait la conversation
avec les voisines... Ce sont des voix rassurantes qui m’ont bercée, des visages, des personnes qui ne sont plus là.
Dans ma chanson « Pays natal », je pense à tous ceux qui sont loin de chez eux. ■

Souad Massi


ENTRE MUSIQUE FOLK ET CHAÂBI ALGÉROIS,
la chanteuse croise les accords de sa guitare acoustique avec
le mandole et le violon. Sur les délicates mélodies de son sixième
album, Oumniya, elle chante le rêve d’amour, la poésie,
le désir d’une nouvelle Algérie. propos recueillis par Astrid Krivian
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