Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

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40 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 - AOÛT-SEPTEMBRE 2019

POLITIQUE


Les voisins aussi
En 2020, on votera donc d’Abidjan à Korhogo, de Bouaké à
San Pédro, du pays baoulé aux grandes steppes du nord sahélien.
Mais les Ivoiriens ne seront pas les seuls à aller aux urnes. Aux
quatre coins de l’Afrique de l’Ouest, on entre en saison électorale.
Les échos vont se répondre d’une capitale à l’autre, les connexions
se faire. Ce qui se passera maintenant et demain à Abidjan aura
une résonance particulière ailleurs. Et inversement. Au Burkina
Faso, le « voisin intime », les élections couplées (présidentielle et
législatives) en octobre 2020 vont se dérouler dans un contexte
de grande fragilité économique et sécuritaire. Fin 2020 égale-
ment, le président guinéen Alpha Condé (81 ans) arrivera aux
termes de son second et officiellement dernier mandat. Les spé-
culations vont bon train sur la réforme de la Constitution et la
possibilité d’une troisième campagne présidentielle. Le 8 mai
dernier, les députés togolais ont de leur côté voté une révision
constitutionnelle prévoyant la limitation du nombre de man-
dats présidentiels, tout en mettant les compteurs à zéro... Faure
Gnassingbé pourra se représenter aux deux prochains scrutins,
en 2020 et 2025. Le Président est au pouvoir depuis février 2005,
succédant à son père, lui-même au pouvoir durant trente-huit
ans. Au Ghana voisin, le président Nana Akufo-Addo (75 ans) se
prépare à un difficile combat pour sa réélection avec, face à lui,
l’ex-président John Dramani Mahama, battu sur le fil il y a cinq
ans. Tous ces scrutins n’auront rien d’une sinécure pour les sor-
tants. Mais l’Afrique de l’Ouest a montré par le passé sa maturité
politique, son ambition démocratique, son impatience aussi, et sa
volonté de changement. Les électeurs seront exigeants.

Le choix


du Président
Tous les regards sont tournés vers lui, le chef de l’État. Le
chemin d’Alassane Dramane Ouattara se confond avec l’his-
toire nationale récente. Jeune cadre, banquier, Premier ministre
d’Houphouët-Boigny, il accède à la magistrature suprême après
un long combat politique de plus de vingt ans. Et depuis 2011,
c’est un président « exécutif », actif, au cœur des institutions et
du pouvoir. Il cherche à façonner cette nouvelle Côte d’Ivoire, à
imprimer sa marque. Il a conçu l’architecture de la Constitution
de 2016, dont il pense qu’elle permettra un équilibre durable
pour le pays. Il a lancé un nouveau parti, le Rassemblement
des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) pour
transcender les lignes traditionnelles, rassemblant autour de
l’héritage houphouëtien, tout en s’affranchissant du passé. Il est
au fait de son histoire, de son destin politique. Se présentera-t-il

pour un troisième mandat? S’en tiendra-t-il à deux, à « dix ans »,
alors que certains le poussent à parachever l’œuvre, à assurer la
stabilité? Organisera-t-il sa succession?
Le pouvoir est séduisant, il est difficile de le quitter, mais
ADO tient à prendre la bonne décision, il a l’âge, dit-il, de faire
d’autres choses, de profiter de la vie, de sa famille. Il veut s’assu-
rer de « la suite ». Il tient surtout à ce que le processus soit opéra-
tionnel, favorable au pays. Fin 2017, ADO annonce publiquement
sa volonté de faire place à une nouvelle génération. Pour certains
observateurs, les conséquences n’auront pas manqué de se faire
rapidement sentir avec, en particulier, les mutineries militaires
de début 2018 et les tensions sociales qui émailleront les mois
suivants. Pour beaucoup alors, la succession est ouverte avec la
nomination, début janvier 2018, au poste de Premier ministre
d’Amadou Gon Coulibaly, le fidèle d’entre les fidèles, lieutenant
depuis les premiers jours de la création du Rassemblement des
républicains (RDR). Un processus politique qui aboutira finale-
ment à la rupture avec Guillaume Soro.
Depuis, le Président a voulu clarifier sa position et mettre de
l’ordre dans la maison Côte d’Ivoire. En clair, « sa décision finale
est encore à prendre ». Elle n’interviendra probablement qu’aux
alentours de juin-juillet 2020. Et en fonction de la situation sécu-
ritaire, de la stabilité politique. Peut-être aussi des paramètres de
la concurrence, si par exemple il venait à l’idée d’Henri Konan
Bedié de se présenter... Comme le souligne un proche du palais,
dans ce moment particulier où il faut naviguer au plus près du
vent, « la Côte d’Ivoire a besoin d’un président fort qui a de l’auto-
rité, qui ne dévoile pas son jeu à l’avance ». Le suspens, le mystère
fait partie de l’imperium du pouvoir.
En tout état de cause, la décision sera historique. Le Président
a probablement son scénario. Il prépare les étapes. Et c’est dans
sa nature aussi de chercher à maîtriser ce qui peut l’être dans un
futur plus ou moins proche.
Dans les élites urbanisées, dans les milieux intellos, dans
cette nouvelle bourgeoisie, produit des années ADO, les éléments
de langage présidentiels sur le nécessaire passage de témoin,
sur la transition générationnelle ont un impact fortement posi-
tif. L’« humour-dédramatisation » sur cette question essentielle
(« Attention, je suis encore là! » annonce le Président avec un
sourire lors d’un débat avec Mo Ibrahim, en mars dernier, à
Abidjan) marque les esprits. Bien sûr, il a de l’inquiétude, une
recherche presque instinctive de la stabilité. Mais un passage
de témoin serait vécu avec une certaine fierté. La Côte d’Ivoire
serait « différente ». Elle ferait la preuve de sa maturité nouvel-
lement acquise. Elle entrerait dans la modernité politique. Avec
une stature historique définitive pour le président Ouattara.
Cette passation démocratique serait d’ailleurs la première de
l’histoire, celle où un président sortant remettrait les clés du
palais du Plateau à un nouveau président entrant.
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