Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1
48 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 - AOÛT-SEPTEMBRE 2019

MÉMOIRES


forgées au fil des ans un peu comme ça lui vient. Peu importe.
On apprend beaucoup. Sur sa jeunesse estudiantine en droit, ses
petits boulots surprenants, comme jardinier-fleuriste à Neuilly,
où il a déménagé à 17 ans, à la mort de son grand-père. Sur son
premier discours aux Assises de l’UDR (Union des démocrates
pour la République) à Nice en 1975, sous la houlette – déjà – de
Jacques Chirac. Un vrai déclic s’ensuit : « Ma résolution était
profondément ancrée. Je ferai de la politique ma vie. »
Tout au long de l’ouvrage, il se souvient des moments forts
de son parcours de ministre de l’Intérieur, puis des Finances,
des rencontres déterminantes, des épisodes chocs, comme son
implication dans la libération des enfants retenus prisonniers
par « Human Bomb » ou la prise d’otages de l’Airbus d’Air France
par des islamistes sur le tarmac de Marseille. À chaque souve-
nir héroïque, il s’étonne de son courage, maniant comme per-
sonne la (fausse ?) modestie et l’orgueil dans la même phrase.
Il s’étonne souvent de sa naïveté, peut-être pour mieux passer
pour un homme carré, honnête et sincère. Dans le même temps,
il règle ses comptes au détour de ses phrases, en homme poli-
tique roué et souvent rancunier. Avec le recul d’un président
déchu. Ségolène Royal, François Hollande, Bernard Kouch-
ner, Jean-François Coppé, Dominique de Villepin... Tous en
prennent plus ou moins pour leur grade. La CGT (Confédération
générale du travail) et le syndicat de la magistrature, les médias
de gauche et les néo-soixante- huitards, les bien-pensants anti-
nucléaire ou pro-diversité, sont tour à tour vilipendés...

FILLON, DE VILLEPIN ET LES AUTRES
On apprend aussi beaucoup sur les arcanes et les chicanes
du pouvoir, les peaux de bananes, les alliances qui se lient et
se délient, les personnalités surprenantes d’hommes politiques.
Sur François Fillon par exemple, Jacques Chirac met en garde
Sarkozy fraîchement élu : « On dit que tu veux nommer Fil-
lon comme Premier ministre. Tu fais une grande erreur. Tu ne
pourras pas compter sur lui. Il te trahira comme il a trahi tous
ceux dont il s’est servi. » Et de fait, quelques lignes plus loin,
il constate : « François Fillon a demandé que l’on accélère les
procédures judiciaires à l’encontre de celui qui l’a nommé cinq
ans durant à Matignon! Il n’y a rien à dire de plus. En soi, c’est
accablant. Comme était désolante la phrase : “Imagine-t-on le
général de Gaulle mis en examen ?” Depuis, François Fillon, à la
manière des Tudor, a été puni là où il avait péché. Il n’empêche,
son attitude fut une surprise, et une déception. »
Dominique de Villepin, en qui Sarkozy n’a jamais eu
confiance, et à qui il reproche au fond son ascendant sur
Jacques Chirac, n’est pas épargné non plus : « Il peut être sym-
pathique, charmeur, attentionné. Ses analyses sont en général
impressionnantes de fougue, de créativité, d’originalité! En tout
cas pour la partie que j’arrivais à saisir... Car fréquemment, je
me trouvais quelque peu dépassé par l’avalanche de ses argu-
ments, qu’il assénait en cascade, à flots continus, sans que nul
ne puisse l’interrompre. En fait, il soliloquait davantage qu’il ne

conversait. J’écoutais alors sans tout comprendre. Mais y avait-il
toujours quelque chose à comprendre? Rien n’est moins sûr, car
emporté par son propre élan, mon interlocuteur avait souvent
du mal à atterrir. Il avait réponse à tout, en général avec un brio
certain. Mais les réponses ne correspondaient ni à la question,
ni au sujet, et encore moins aux faits. Ainsi est Dominique de
Villepin, fréquemment “perché” dans un monde où la réalité est
virtuelle. » Plus loin, le vrai conflit éclate : « Avec Dominique de
Villepin, il existait un contentieux qui n’avait pas été expurgé,
tant s’en fallait ; je veux parler de l’affaire Clearstream. Ce fut
la première et malheureusement pas la dernière tentative pour
me salir, par l’organisation assez élaborée d’un complot destiné
à gêner, voire à empêcher ma candidature. »
Mais le personnage le plus emblématique du livre, avec
lequel Nicolas Sarkozy entretient une relation ambiguë, que
l’on peut qualifier de haine-passion, c’est Jacques Chirac. Son
mentor, celui qui lui a tout appris. Celui pour lequel il ressent
encore, dit-il, beaucoup d’affection. Mais les relations entre les
deux hommes, que l’on suit grâce aux multiples anecdotes rela-
tées dans l’ouvrage, se dégradent au fur et à mesure que les
ambitions d’un jeune candidat à la présidentielle se précisent.
Jacques Chirac et son franc-parler iront jusqu’à prononcer
cette phrase choc : « Sarkozy, il faut lui marcher dessus, cela
porte bonheur! »

IDENTITÉ FRANÇAISE ET POLÉMIQUES
Enfin, l’ex-président livre certaines de ses convictions sur
des sujets où ses prises de position ont pu choquer par le passé.
Il se justifie en expliquant davantage son point de vue, parfois
un peu à la manière d’un équilibriste... Comme dans cet extrait
sur le thème de l’unité et de la diversité à la française : « Évo-
quer certains aspects nobles de la colonisation, c’était ni plus ni
moins que se ranger aux côtés des esclavagistes et des racistes.
Parler de l’action de l’Église catholique dans la construction
de notre pays, c’était porter une atteinte insupportable à la
laïcité! Certains allaient bien plus loin encore, annonçant

« Chirac et son


franc-parler iront


jusqu’à prononcer


cette phrase choc :


“Sarkozy, il faut


lui marcher dessus,


cela porte bonheur.” »

Free download pdf