Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

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52 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 - AOÛT-SEPTEMBRE 2019

VOX POPULI


A


comme... Assemblée des représentants du
peuple : elle est souveraine, l’émanation du peuple
et des grands idéaux de la révolution. Elle incarne l’évolution
démocratique du pays. Les débats y sont souvent vifs. Les Tuni-
siens et les Tunisiennes ont pris toute la mesure de son pouvoir,
mais aussi de son inertie due aux alliances et marchandages
partisans. Les parlementaires ont fait la pluie et le beau temps
tout au long du quinquennat, mais le bilan de cette première
législature libre, impacté par ailleurs par le nomadisme des élus,
apparaît bien modeste. Aucun grand texte majeur à son actif. Et
l’échec de la mise en place de la cour constitutionnelle souligne
son incapacité à dépasser les clivages. Le réveil électoral risque
d’être difficile. Élections législatives prévues le 6 octobre 2019.

 B


comme... BCE : Béji Caïd Essebsi, premier chef d’État
élu au suffrage universel depuis la révolution (et probable-
ment premier chef d’État du pays élu au terme d’un scrutin véri-
tablement libre et ouvert), est mort le 25 juillet dernier, à 92 ans,
à moins de quatre mois de la fin de son mandat. Ce patricien issu
de la haute société tunisoise (les beldis), pilier du bourguibisme,
aura fini par incarner à la fois la révolution et la stabilisation
démocratique. Formé à l’école du « combattant suprême », habile
politicien et orateur, il aura eu l’immense mérite de « tenir » un
pays au bord de l’abîme et de la violence, en actant l’alliance
entre islamistes et anti-islamistes. Une approche de raison plus
que de cœur. Cet homme du sérail, devenu providentiel, aura
pourtant vu l’effondrement progressif de sa famille politique
et la dislocation des modernistes en de multiples chapelles. Sa
mort aura touché les Tunisiens. BCE, par son âge, sa longévité,
sa faconde à usage variable, tissait un lien entre les générations.
Et le locataire de Carthage avait fini par incarner un concept si
étonnant, moderne, novateur dans cette Tunisie particulière :
la République.

 C


comme... Carthage : Entre le Bardo, siège du Par-
lement, et la Kasbah, celui de l’exécutif, Carthage ne
devait avoir que des prérogatives en matière de défense et de
diplomatie, mais Béji Caïd Essebsi a démontré qu’être garant
de la Constitution et de la continuité de l’État n’était pas un
pouvoir négligeable. Ce palais, symbole de la République, a été
érigé, entre 1960 et 1969, par Habib Bourguiba, face à la mer,
sur un site majeur de l’épopée punique et romaine, à deux pas
des palais désertés par l’ancienne monarchie beylicale. Et en
contrebas de la belle cathédrale (coloniale) Saint-Louis.
Conciliation : Comment réconcilier les deux Tunisie?
Rapprocher conservateurs et modernistes, dont les clivages
idéologiques et sociétaux sont profonds? Comment maintenir
« un État civil pour un peuple musulman »? L’article 1 de la
Constitution, qui ne peut être amendé, stipule que « la Tuni-
sie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa
religion, l’arabe sa langue et la République son régime ». Et
scelle une dichotomie consubstantielle entre la nature de l’État

(républicain) et la religion (musulmane). Dans le pays, la liberté
de penser est une réalité, mais peut-on aller jusqu’à la liberté
de croire ou de ne pas croire? Autre versant de ce débat : le
consensus politique, cheval de bataille de Rached Ghannouchi,
le leader d’Ennahdha, avalisé par BCE après sa victoire en 2014.
Cette stratégie a permis au parti islamiste, fort de 68 députés sur
217, d’être incontournable et de manœuvrer dans les coulisses
du pouvoir sans être tenu pour responsable des échecs. Mais la
démarche a fait long feu. Les deux parties du consensus sont en
perte de vitesse...
Constitution : Incontournable, sa mise en pratique a mon-
tré les failles et les pièges insérés par les partis qui l’ont rédigée
et validée. L’objectif des constituants était d’éviter le retour d’un
pouvoir fort, le pouvoir d’un seul homme, d’où un texte assez
alambiqué où coexistent plusieurs centres de décisions (Parle-
ment, gouvernement, présidence, instances). L’échec répété de
la mise en place de la cour constitutionnelle pour des motifs de
désaccords partisans sur les candidatures présentées a souligné
les carences du système. L’absence de cette instance clé aurait pu
plonger le pays dans une grave crise à la mort du président BCE.
Sans cour constitutionnelle, difficile de constater la vacance de
pouvoir provisoire ou définitive... Finalement, comme souvent,
la Tunisie a choisi de s’attacher à l’esprit plutôt qu’à la lettre, et
la succession s’est enclenchée naturellement.

D


comme... Dette : C’est le caillou dans la chaussure qui
empêche la Tunisie de marcher droit et de renouer avec
la croissance. Dans une conjoncture mondiale tendue et avec
un recours systématique aux prêts pour couvrir les dépenses
courantes, le pays, dont la production est en panne, creuse ses
déficits avec une dette à hauteur de 70 % de son PIB.
Diaspora : Ils sont près de 1,3 million de Tunisiens à
l’étranger, soit 10 % de la population. Ils pourraient être un élé-
ment moteur de leur pays, mais peinent à être en lien avec lui. En
cause, une absence de stratégie globale basée sur la citoyenneté
de la part des autorités, qui tendent à les considérer comme une
réserve de devises dormante.
Dinar : La chute drastique de près de 25 % de sa valeur a
sévèrement impacté le pouvoir d’achat des Tunisiens et leur a fait
toucher du doigt l’ampleur des difficultés du pays. Elle a aussi
contribué à la décote de Youssef Chahed et de son gouvernement.

 E


comme... Élections : Après la constituante de 2011,
les premières législatives et présidentielle de 2014, puis
les municipales de 2018, les cinquièmes élections libres du
pays seront déterminantes. Mais avec une présidentielle, fixée
au 15 septembre 2019, qui précède les législatives, prévues le
6 octobre, elles n’auront pas le cours attendu. Elles pourront
entraîner une logique de majorité parlementaire, qui n’était pas
prévue ou souhaitée par les constituants. Le vainqueur de la
présidentielle pourrait alors s’appuyer sur une majorité parle-
mentaire pour désigner sans contrainte politique un chef du
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