Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1
AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 - AOÛT-SEPTEMBRE 2019

VOX POPULI


gouvernement. Le spectre de l’abstention, qui s’était invité aux
municipales de 2018, semble s’être éloigné. Avec près de 1,5 mil-
lion de nouveaux inscrits et toutes les polémiques autour de la
loi électorale, les Tunisiens ont intégré la valeur d’un scrutin.
Ils comptent.
Ennahdha : Incontournable, le parti au référentiel isla-
miste a ajusté depuis 2011 ses positions en fonction du contexte.
Après l’échec de l’islam politique et la disgrâce des Frères musul-
mans à l’international, il s’est recentré sur un concept de démo-
cratie islamique, tout en diffractant les partis avec lesquels il
opérait des alliances. À la veille des élections législatives, il
dévoile ses failles et ses difficultés de gouvernance, avec une
levée de boucliers contre les décisions de son président, Rached
Ghannouchi. Arguant de son droit de véto, il a invalidé les listes
de candidats issues des primaires pour y substituer des noms de
son choix et présenter sa propre candidature sur la circonscrip-
tion de Tunis 1. Associé aux faibles résultats des gouvernements
successifs depuis 2011, plombé par des sondages calamiteux,
Ennahdha s’apprête à vivre un congrès houleux, prévu norma-
lementà l’automne2020...

Été : L’été en Tunisie est une saison à part. C’est l’occasion
pour les Tunisiens de faire la fête, de courir les plages, les spec-
tacles, les festivals. Évidemment, la productivité générale a ten-
dance à s’effondrer de fin juin à fin août. La fameuse « séance
unique » (avec des horaires de travail de 7 heures à 14 heures
dans la fonction publique) héritée, dit-on, des fonctionnaires
coloniaux corses ne facilite pas le rendement général, à la baisse.
Toujours festif, le cru 2019 sera aussi celui des débats politiques
et d’une campagne que 11 millions de citoyens se plairont à
décortiquer et à commenter non sans humour ou ironie.
Exception : L’exception tunisienne n’est pas une vaine
expression. Le petit pays sans grandes ressources naturelles
capitalise sur sa singularité et ses paradoxes. Il peut paraître
laxiste et approximatif, mais en dernière minute et dans un
sursaut incroyable, il rétablit toujours, et pour le moment, son
équilibre. C’est le seul pays des Printemps arabes – dont il fut à
l’origine – à être entré dans une forme de modernité politique.
Depuis la révolution de 2011, il fait un long et difficile appren-
tissage de la démocratie. Les Tunisiens peuvent douter, mais ils
ont intégréles valeursrépublicaines.Et la nécessitéd’un«État
civil ». La passationdu pouvoirau décèsde Béji CaïdEssebsiet
le respectde la Constitutiontémoignentde l’enracinementde
ce legs.Une exceptionqui forcele respectmêmedansle monde
arabe,qui perçoitparfoisla Tunisiecommeun paysfrondeur.
Exclusion:Les partisont tendanceà vouloiruserde l’ex-
clusionde leursrivauxplutôtque de les affronteren duelsingu-
lier sur le chemindes urnes.Unetendancequi relèvepresque
d’unetraditionpolitique.Elle a prévaluavecle partiuniquesous
Bourguibaet BenAli, qui écartaittoutealternativepolitique.
Elle s’est égalementexpriméeaprèsla révolutionavec,en 2011,
l’article15 du décret-loi,qui visaitla miseà l’écartdes caciques
de l’ancienrégime.Il a été invalidé,tandisque la loi de réconci-
liationnationalepromuepar Béji CaïdEssebsien 2014semblait
avoirdéfinitivementécartél’exclusion.Maisl’arrivéed’outsiders
donnéscommefavorisaux électionsde 2019a conduitles partis
«du pouvoir» – y comprisceuxqui ont eu à en souffrirdansle
passé,commeEnnahdha– à amenderen dernièreminutela loi
électoralepourles écarterrétroactivementde la course.Béji
CaïdEssebsis’étaitprononcécontrece principeen ne signant
pas la nouvelleloi électorale.Ce fut sa dernièredécision.

F


comme...Femmes:Les Tunisiennesont depuis 1956 un
statutprivilégié,qui leur reconnaîtles droitsles plus larges.
Maisellesont surtoutdémontréqu’ellesétaientdes citoyennes
à partentière.En 2014,leurvotea permisau partide Nidaa
Touneset à Béji CaïdEssebside remporterles élections.Depuis,
ellessontcourtiséespar les politiques,d’autantque le principe
de paritéest inscritdansla Constitution.Maisellesse heurtent
encoreà un plafondde verreposépar une sociétéportantles
stigmatesdu patriarcat.Ellesreprésententpourtantla moitiéde
la population,ont un niveaud’éducationmeilleurque celuides
hommeset sontactivesdanstousles domaines.

L’été est une saison à part. C’est l’occasion pour
les Tunisiens de faire la fête et de courir les plages.
Ici, dans le mythique « village » de Sidi Bou Saïd.

DANIELLE VILLASANA/REDUX-REA
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