Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1

PERSPECTIVES


86 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 – AOÛT-SEPTEMBRE 2019

chés traditionnels, souvent peu salubres,
un projet d’ouverture de 50 supermar-
chés modernes répondant aux normes
sanitaires est en train de prendre forme.
« Nous avons mis en place la coopérative
Mabele – dont le nom signifie “terre” en
lingala –, qui compte déjà 300 membres
fondateurs, chacun devant verser
200 dollars pour obtenir ce statut. La
structure de Mabele est une pyramide
inversée. Selon le niveau, la contribution
varie de 200 à 50 dollars. Nos supermar-
chés proposeront des produits agricoles et
maraîchers locaux », indique Al Kitenge.
À terme, l’objectif est de renforcer la
transformation et, ainsi, de combattre ce
que ce Kinois qualifie de « colonisation
alimentaire indienne », avec l’importation
de produits manufacturés venant princi-
palement d’Asie ou du Moyen-Orient.
« Nous produisons des mangues, mais les
jus de mangue que l’on consomme pro-
viennent des pays arabes », s’indigne-t-il.
Qui dit essor de l’industrie et des services
dit création d’emplois et résorption d’une
partie de l’immense chômage, devenu la
bête noire des Kinois.

UN NOUVEAU CHEF DE L’ÉTAT
Selon Al Kitenge, l’emploi formel,
c’est-à-dire déclaré, avec contrat de tra-
vail et sécurité sociale, ne concernerait
que 5 % de la population active. Les
employeurs « réguliers » seraient princi-
palement l’armée, la police et l’agence
nationale de renseignements. Le chô-
mage s’ajoute donc aux multiples dif-
ficultés (logement, transport, santé,
éducation, eau, électricité...) que ren-
contrent la majorité des habitants de la
capitale. Ainsi, ceux qui ont voté pour
Martin Fayulu, le candidat de la coalition
Lamuka soutenue par Moïse Katumbi,
ex-gouverneur du Katanga, et Jean-Pierre
Bemba, président du Mouvement de libé-
ration du Congo, ont certes contesté les
résultats électoraux, jugés truqués, mais
la réalité du quotidien a pris le pas sur
les revendications. Beaucoup d’entre
eux ont d’ailleurs fini par reconnaître
Félix Tshisekedi comme président, élu le
30 décembre dernier avec 38,57 % des

L


’épidémie d’Ebola, qui sévit dans l’est de la RD Congo,
a été déclarée « urgence sanitaire mondiale » par
l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les autorités
congolaises appellent au calme et préconisent une plus
grande implication de l’OMS dans la lutte contre la fièvre
hémorragique, qui a déjà fait plus de 1 600 morts. Kinshasa
a ainsi donné un rôle accru à l’un des meilleurs spécialistes mondiaux,
Jean-Jacques Muyembe, codécouvreur du virus qui se manifeste souvent
en milieu rural. Longtemps cantonné dans l’axe Beni-Butembo, Ebola a fait
son apparition en juillet à Goma (Nord-Kivu), où s’entassent plus d’un million
d’âmes. Si cela a suscité l’inquiétude des pays voisins, à Kinshasa, à deux
heures d’avion, la vie suit (presque) son cours normal. Un dispositif a été
installé à l’aéroport international de N’djili, pour une éventuelle prise en charge
des cas suspects. « Ce dispositif doit être renforcé. Il faut mettre en place
une petite clinique ultramoderne près de l’aéroport, pour une mise en
quarantaine des personnes en provenance des territoires à risque », tempère
toutefois la docteure Samantha Ekila, qui suit de près cette crise sanitaire.
Les vols privés à bord desquels voyagent d’opulents hommes d’affaires n’ont
pas cessé entre les deux villes. Et pour le reste, pas grand-chose n’a changé.
Sur les principales artères de cette mégalopole, les embouteillages monstres
sont visibles aux heures de pointe, les stades accueillent le dimanche des
foules friandes de prières ou de sports, qui ne prennent pas de précautions
spécifiques, les marchés, les concerts de groupes locaux et les bars des
quartiers populaires sont aussi animés que d’habitude. « De nombreux Kinois
vivent leur vie sans se préoccuper vraiment de Goma. Ebola ne hante pas
les esprits », note le journaliste Eugène Ngimbi Mabedo. Les principaux médias
n’y accordent pas non plus une place particulière, alors que sa première
apparition dans le pays – et dans le monde – remonte à 1976, et que plusieurs
questions restent sans réponse. Mais l’apparente insouciance de la capitale
pourrait-elle céder le pas à l’extrême prudence si elle enregistrait sa première
victime? Rien n’est moins sûr. ■ J.-J. Arthur Malu-Malu

Ebola : pas de vent de panique


pourrait être de 900 MW, dont 300 MW
pour Kinshasa et 600 MW pour Kolwezi.
Les bénéficiaires seront des entreprises.
« Nous visons les industriels pour leur
solvabilité bien sûr, mais aussi parce que,
sans électricité, l’industrie ne peut pas se
développer », ajoute l’entrepreneur.
D’autres projets portés par des Congo-
lais, notamment de la diaspora, sont en
cours de lancement. Si l’environnement
des affaires semble plus favorable et le
débat plus ouvert depuis janvier 2019, il
reste fragile. Hors mines, les investisseurs
sont prudents, et l’argent circule peu.
Outre un gouvernement, tous attendent
un plan de développement stratégique

sur le long terme. « Pour atteindre une
masse critique, nous avons besoin de
grands projets, en particulier dans le BTP,
les seuls susceptibles d’avoir un effet d’en-
traînement sur le reste de l’économie et de
soutenir une vraie croissance. On attend
aussi de connaître les grandes lignes du
plan du gouvernorat de Kinshasa, qui a
été adopté par l’assemblée provinciale »,
martèle le consultant Al Kitenge.
Face à la déferlante indienne et liba-
naise dans la grande distribution, le
commerce spécialisé et l’hôtellerie, des
Congolais, de plus en plus décomplexés,
réagissent. Pour faire contrepoids aux
enseignes étrangères mais aussi aux mar-
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