Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1
92 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 - AOÛT-SEPTEMBRE 2019

RENCONTRE


avons une grande complicité, nous n’avons pas besoin de nous
parler, on se comprend d’un regard et on se ressemble. Dès que
je lui ai proposé de jouer dans mon film, il a accepté. C’est un
acteur pétri de talent et habité par la passion, je lui prédis une
très belle carrière.
Les personnages féminins sont prédominants
dans votre film, insoumis, révélant de forts
tempéraments. Vous êtes-vous inspirée
des femmes de votre famille?
Oui. À commencer par ma mère originaire d’Algérie, qui
a élevé seule quatre enfants après la mort de mon père. Elle
s’est sacrifiée pour ses petits. Lorsque l’on est plus jeune, on
pense que les adultes autour de nous sont invincibles, puis le
temps passant, on prend conscience de la dureté de la vie. J’ai
perdu mon père très jeune, et ma mère n’a pas souhaité refaire
sa vie. J’ai grandi avec le souvenir de sa dignité, de sa force et
de son courage, je me suis toujours dit que je n’avais pas droit
à l’erreur ni de me plaindre. Je voulais mettre en scène des
femmes à la fois fortes et traver-
sées de douceur, à l’image de mes
tantes, des femmes qui font preuve
de patience et prennent sur elles.
Chez nous, une femme se doit
d’être forte.
Vous montrez aussi des femmes
libres, notamment vis-à-vis de
leur sexualité. Craignez-vous
les réactions conservatrices
ou teintées de pudibonderie,
concernant la scène
de libertinage?
Non. Mon long-métrage traite
de l’amour, et il me tenait à cœur
de mettre en lumière d’autres formes d’union et d’expression
amoureuse, hors du cadre du couple traditionnel. Les libertins
nous rappellent qu’ils s’aiment simplement, en toute liberté,
selon un autre mode, et le personnage principal, Lila, se cherche
encore après une rupture subie, elle est plus en demande de
tendresse que de sexualité. L’amour à trois a toujours existé,
c’est un beau tableau à évoquer, et en tant que réalisatrice, je
me refuse à toute forme d’hypocrisie.
Vous parlez beaucoup d’amour dans votre film,
et vous, êtes-vous amoureuse en ce moment?
Avez-vous envie d’avoir un enfant?
Oui. Je suis très amoureuse et je suis en couple, les choses se
passent bien. J’aimerais avoir un enfant, fonder une famille, car
c’est important pour moi, et j’y pense actuellement. J’ai envie
de transmettre mes valeurs à mes enfants. J’ai juste peur de
prendre du poids, et j’ai conscience que devenir maman est une
véritable responsabilité. Mais pour l’heure, je suis encore très
habitée par l’envie de mener à bien mes projets professionnels
et d’aller au bout de ce que je veux faire. Je fais le lien avec

mon film, j’ai mis neuf mois à le faire [sourire]. C’est comme
si c’était mon enfant, je vais également le quitter un temps,
sa sortie approche – à la rentrée –, et elle est chargée d’une
forte émotion.
Vous étiez présente au dernier Festival de Cannes
en tant que réalisatrice de Tu mérites un amour,
présenté à la Semaine de la critique, et en tant qu’actrice
dans Mektoub My Love : Intermezzo, d’Abdellatif
Kéchiche. Parlez-nous de leurs accueils...
Je n’oublierai jamais la présentation de mon film à Cannes,
je le voyais sur grand écran pour la première fois. J’ai été sub-
mergée par une grande joie et une vive émotion, d’autant qu’il
a fallu finaliser les derniers
détails. Le public a été très
chaleureux, et j’ai pleuré à la
fin des deux projections, pour

mon film et pour celui d’Abdel-
latif Kéchiche. J’étais évidem-
ment plus détendue lors de la
présentation de Mektoub My
Love : Intermezzo, qui a été bien
accueilli, car j’avais passé le
plus dur, en tant que cinéaste.
Que vous inspire
la polémique autour
de ce dernier, Mektoub My Love : Intermezzo,
dans la presse parisienne?
Abdellatif Kéchiche est un battant, qui s’échine à réaliser
ses films depuis de nombreuses années. Il tient fermement à
sa liberté et se relèvera toujours. Il est visionnaire et profondé-
ment passionné, son art s’inscrit dans la création pure. Cette
nouvelle polémique m’attriste pour lui, car je sais qui il est : un
homme adorable et entier qui fait ses films tranquillement dans
son coin. C’est tellement difficile de faire un long-métrage dans
l’industrie cinématographique... Je ne comprends pas cette
polémique, car je le répète, Mektoub My Love : Intermezzo a été
bien accueilli à Cannes.

◗ Tu mérites
un amour, d’Hafsia
Herzi (2019)
◗ Persona non grata,
de Roschdy Zem
(2019)
◗ La Graine et le Mulet,
d’Abdellatif
Kéchiche (2007)

filmographie
sélective

DR
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