Investir, le Journal des Finances / N° 2379 / 10 août
SECTORIELLE / 09
Défis politiques et climatiques
pour les petits acteurs du vin
Excellence française Après la sortie de Boisset et de Henri Maire, la Bourse de Paris ne compte plus, parmi
ses valeurs moyennes, qu’un négociant et deux tonneliers pour représenter la filière des vins tranquilles, que
nous présentons ici. Elle ne constitue qu’une partie de l’activité de LVMH et de Pernod Ricard au Cac 40.
E
n pleine canicule de fin juillet, alors que les
professionnels de la vigne n’avaient d’yeux
que pour le thermomètre et la récolte à
venir, Donald Trump a ajouté une couche
d’inquiétude. Pour la troisième fois depuis fin 2018,
le président américain a menacé les vins français de
droits de douane supplémentaires, en représailles à
la « taxe Gafa » sur les géants de l’Internet, votée mi-
juillet par le Parlement. L’enjeu n’est pas mince pour
les négociants en vins tranquilles et champagnes, si
les tweets présidentiels se concrétisent en tarifs
douaniers renforcés. Premier pays consommateur
de vins au monde, les Etats-Unis sont aussi le pre-
mier débouché des vins français, avec un chiffre
d’affaires proche de 1,7 milliard d’euros l’an dernier,
soit 19 % des exportations du secteur, a rappelé la
Fédération des exportateurs de vins et spiritueux
de France (FEVS), dans sa réaction aux tweets de
la Maison-Blanche.
En termes de production, les statistiques de l’Orga-
nisation internationale de la vigne et du vin (OIV)
classent les Etats-Unis au 4
e
rang mondial, avec une
production en volume d’à peine la moitié de celle de
l’Hexagone (voir graphique ci-contre). Le grand
buveur de Coca-Cola qu’est Donald Trump cherche
sans doute à réduire cet écart...
RECOURIR AUX STOCKS À COURT TERME
Antoine Leccia, qui préside la FEVS, est aussi le pré-
sident du directoire d’AdVini, dernier négociant en
vins tranquilles coté à Paris (outre LVMH et Per-
nod Ricard au Cac 40, dont le vin n’est qu’une partie
du portefeuille d’activités et que nous avons exclu
de ce dossier centré sur les valeurs moyennes). La
société de l’Hérault a vu ses ventes croître de 32 %
au premier semestre aux Etats-Unis, mais « elle y est
relativement peu exposée », assure son patron, qui
compte sur les stocks de vins constitués chez les
grossistes partenaires pour « amortir le risque en cas
de conflit à court terme ». AdVini table aussi sur ses
maisons acquises en Afrique du Sud, Ken Forrester
et Stellenbosch Vineyards, pour conforter sa pré-
sence aux Etats-Unis.
Autre sujet de préoccupation : le Brexit. Sa probabi-
lité d’être « dur » s’est encore renforcée depuis l’arri-
vée de Boris Johnson à la tête du gouvernement
britannique. Or le Royaume-Uni est, après les Etats-
Unis, le pays le plus amateur de vins français, absor-
bant 12,5 % de nos exportations.
Pour Antoine Leccia, « le vrai problème est la baisse
probable de la livre, qui va renchérir le coût des vins sur
les linéaires en 2020 ». Sinon, « tout est en place pour
que les expéditions de vins et spiritueux se déroulent
normalement dans les vingt-quatre prochains mois ».
Des stocks de précaution avant le 31 octobre pour-
ront aussi aider.
MATIÈRES PREMIÈRES À LA HAUSSE
Les équipementiers, acteurs incontournables pour
un vin de qualité, ont eu d’autres soucis au cours de
leur dernier exercice. TFF Group et Oeneo, respecti-
vement 1
er
et 2
e
tonneliers au monde, avec des sites
de production dans toutes les grandes régions vitico-
les, ont vu leur belle rentabilité (proche de 20 % pour
la marge opérationnelle) écornée par le renchérisse-
ment de leurs matières premières : le bois, mais aussi
le liège pour le fabricant de bouchons qu’est égale-
ment Oeneo, à la suite d’une récolte très faible.
Qu’ils soient équipementiers ou négociants, TFF
Group, Oeneo et AdVini ont accueilli avec soulage-
ment les vendanges 2018, généreuses et de bonne
qualité en Europe comme aux Etats-Unis. Selon
l’OIV, la production mondiale de vins a augmenté de
17 %, par rapport à une récolte mondiale très faible
en 2017, entre incidents climatiques en Europe et
incendies en Californie. Les prix d’achat des vins se
sont donc assagis pour AdVini, parti pour réaliser
un exercice 2019 meilleur que celui de 2018. Ce
devrait être aussi le cas pour TFF Group et pour
Oeneo, qui auront plus de vins à élever ou de bou-
teilles à boucher, sachant que seuls les meilleurs crus,
soit 3 % de la production, sont vieillis en fûts de chêne.
Uneproductionmondialepresquerecorden 2018 Uneforcede frappefrançaiseàl’exportation
En millionsd’hectolitres
Uneconsommationdominéeparles Etats-Unis
En millionsd’hectolitres
Exportations en valeur(dontchampagne),
en 2018
Levignoblefrançais,vice-championdumonde
Etats-Unis
Royaume-Uni
Allemagne
Chine
Singapour Hongkong
Belgique
Autrespays
18,7%
12,5%
8,2%
6,2%
3,9 5,1%
%
6,1%
39,3%
Mondechinois:^1
5 ,^2
%
Monde
292
Monde
8,
Mds€
+17%
Italie France Espagne Etats-Unis Argentine
54,8 48,6 44,4 23,9 14,
1 2 3 4 5
Monde
246
Stable
Etats-Unis France Italie Allemagne Chine
33 26,8 22,4 20 17,
1 2 3 4 5
Source:Organisationinternationaledela vigneetduvin. Source:Fédérationdesexportateursdevinsetspiritueux.
dont
dont
ADVINI
Toujours à l’affût
d’une belle acquisition
L
es vendanges 2018, qui ont
signé un retour à la normale
après les faibles récoltes de
2017, donnent un nouvel élan au
négociant de l’Hérault. Il n’avait
dû la très légère amélioration de
son bénéfice net, l’an dernier, qu’à
des plus-values. Grâce à cette ven-
dange abondante, « les cours se
sont détendus et les marges sont net-
tement meilleures au premier
semestre », selon Olivier Tichit, le
directeur financier.
Le chiffre d’affaires au 30 juin a
augmenté de 9,3 %, à 130,5 mil-
lions d’euros, avec une progres-
sion de 4 % en France. Des prix
d’achat plus bas ont contribué au
bond de 12 % du pôle Services, qui
approvisionne la grande distribu-
tion en vins dédiés et souvent peu
onéreux. Cette division a égale-
ment été portée par l’intégration
de Stellenbosch Vineyards, qui
vinifie, conditionne et vend des
vins d’Afrique du Sud à la grande
distribution dans le monde.
L’exportation est d’ailleurs floris-
sante, chez AdVini, assurant la
moitié de son chiffre d’affaires
après une hausse de 20 %.
Le circuit des cafés, hôtels et res-
taurants, en repli de 3 %, a, à
l’inverse, souffert des manifesta-
tions des gilets jaunes.
Tout ira encore mieux cette année
si AdVini trouve enfin la belle
acquisition « qui apportera de l’Ebi-
tda, générera du cash et des syner-
gies, dans une logique plus
financière que patrimoniale »,
détaille Olivier Tichit. Le négo-
ciant aurait « une dizaine de lignes à
l’eau » et a bien avancé la restruc-
turation de sa dette auprès d’un
syndicat bancaire.
NOTRE CONSEIL
l
ACHETER : le groupe de la
famille Jeanjean ne s’est pas
remis des dégagements opérés fin
2018 sur les valeurs moyennes,
malgré un exercice 2019 bien parti
et un plus grand souci d’améliorer
le profil financier de l’entreprise.
Objectif : 35 € (ADVI).
Prochain rendezvous : le 11 sep
tembre, résultats semestriels.
AdVini
En €
2014 15 16 17 2019
28,
OENEO
Les cours du liège
amorcent leur recul
L
e fabricant de bouchons et
de tonneaux, contrôlé par
l a f a m i l l e H é r i a r d
Dubreuil, a accusé une rentabi-
lité plus faible que d’habitude
pour l’exercice 2018-2019 (clos
fin mars). Sa marge opération-
nelle est passée de 18,7 % à 15,1 %
à cause du renchérissement des
matières premières, le chêne des
fûts et, surtout, le liège des bou-
chons, à la suite d’une maigre
« levée » sur les arbres.
Le surcoût a atteint 20 millions
d’euros, mais « le bénéfice net a
reculé de seulement 1,2 million
d’euros », s’est félicité le directeur
g é n é r a l Ni c o l a s Hé r i a r d
Dubreuil, à l’assemblée du
25 juillet. Le groupe a vite entre-
pris d’améliorer sa productivité,
par une optimisation de la
matière et des transferts de
fabrication sur son site portugais
de bouchons. Il a aussi augmenté
ses prix et a poursuivi la montée
en gamme de ses produits auprès
des « clients aux vins premium et
super premium ». Les bouchons
restent portés par Diam (le bou-
chon sans goût de bouchon), lui-
même soutenu par son offre la
plus chère, dont le bouchon Ori-
gine, aux composants naturels.
Ainsi, la marge opérationnelle,
tombée à 13,9 % au premier
semestre 2018-2019, a amorcé un
redressement au second, un
mouvement qui va s’amplifier
cette année, d’autant que les prix
du liège ont commencé à se
détendre. La croissance, de plus,
est vigoureuse : aidé par les bel-
les vendanges 2018 en Europe et
aux Etats- Unis, le chiffre d’affai-
res a augmenté de 13,3 % d’avril à
juin, à 68,3 millions d’euros.
NOTRE CONSEIL
l
ACHETER : les résultats
sont attendus en rebond
cette année, avec un bénéfice net
estimé autour de 33 millions par
le consensus FactSet.
Objectif : 13 € (SBT).
Prochain rendezvous : le
5 novembre, chiffre d’affaires
semestriel.
Oeneo
En €
2
4
6
8
10
2014 15 16 17 2019
10,
TFF GROUP
Gros investissements
dans les fûts à bourbon
C
omme Oeneo, la belle ren-
tabilité de TFF Group a pris
un coup au cours du der-
nier exercice, clos le 30 avril, ce qui
a pénalisé l’action. De 19,6 % en
2017-2018, la marge opération-
nelle est descendue à 17,5 %.
Jérôme François, le président du
directoire, invoque, comme son
confrère, l’augmentation des prix
du bois.
De plus, le groupe de la famille
François a entrepris de créer de
zéro une filière de fûts à bourbon
aux Etats-Unis, après s’être arrogé
la quasi-totalité du marché du
négoce et de la réparation des bar-
riques pour le whisky en Ecosse. Il
a même décidé d’accélérer ses
investissements dans la construc-
tion et l’acquisition de sites ainsi
que dans la formation des salariés.
TFF Group
En €
2014 15 16 17 2019
34,
« A fin avril, 95 millions de dollars
ont été investis » depuis 2015, pré-
cise Jérôme François, qui vise
assez vite huit sites, deux tonnelle-
ries et six merranderies, pour pré-
parer le bois dans ce Middle West
dédié au bourbon. Cela pèse sur
les résultats, mais « nous n’avions
plus de fournisseurs capables
d’accompagner notre croissance »,
ajoute-t-il. Il table sur 450.000 fûts
produits chaque année en
avril 2020 (contre 350.000 sur le
dernier exercice), pour des ventes
de 40 millions de dollars.
Cette croissance rapide permet
de confirmer les objectifs à 2020
et 2023 du groupe : un chiffre
d’affaires de 300 millions d’euros
puis de 350 millions, ainsi qu’un
bénéfice opérationnel de plus de
50 millions puis de près de 70 mil-
lions, contre 47,6 millions en 2018-
NOTRE CONSEIL
l
ACHETER : le développe
ment de la filière Bourbon
pénalise aujourd’hui la rentabilité
mais offre un relais de croissance
dynamique. Le retour à une marge
de 20 % reste l’objectif.
Objectif : 45 € (TFF).
Prochain rendezvous : misep
tembre, chiffre d’affaires du
premier trimestre.
Reste l’inconnue de la vendange 2019, qui jouera à
partir des exercices 2020. Entre le froid et la pluie du
printemps, puis la canicule, le ministère de l’Agricul-
ture évaluait, mi-juillet, entre 6 % et 13 % la baisse de
la production en France. Antoine Leccia semblait
moins pessimiste voilà quelques jours : « La récolte
s’annonce bonne pour l’instant, à l’exception de fortes
chaleurs qui ont endommagé les vignes courant juillet
en Languedoc et en Roussillon, et d’orages de grêle en
Bourgogne. » Les pertes seraient « de 5 % à 20 % selon
les parcelles et seront peut-être corrigées d’ici à la ven-
dange », selon le patron d’AdVini. - CÉCILE LE COZ
Un négociant en vins tranquilles et deux tonneliers encore cotés
SOCIÉTÉ (MNÉMO)
CHIFFRE D’AFFAIRES
(EN M€)
BÉNÉFICE NET
(EN M€)
BÉNÉFICE PAR ACTION
(EN €)
RATIO COURS/BÉNÉFICE
(EN NOMBRE DE FOIS)
COURS
EN €, LE 88
2018 2017 (e) 2018 2019 (e) 2019 (e) 2020 (e) 2019 2020
ADVINI (ADVI) 257,1 280 4,5 5 1,27 1,52 22,4 18,7 28,
OENEO (SBT) (1) 268,2 287 25,4 33 0,51 0,62 20,5 16,8 10,
TFF GROUP (TFF) (2) 271,7 302 30,8 37 1,71 1,89 20,2 18,8 34,
(1) Exercice clos le 31 mars. (2) Exercice clos le 30 avril.