Elle N°3843 Du 16 au 22 Août 2019

(Tina Sui) #1

SOPHIE STEINBERGER


ELLE.FR 9


Elle est en vacances, avec des gens qu’elle aime et qui
l’aiment. Pourtant, elle ne se sent pas aussi reposée qu’elle le devrait.
Alors, elle analyse la situation et constate que ses journées se découpent
en trois tiers.


  • 33 % du temps, elle s’agite. Transport de marchandises (plus
    souvent des melons ou du PQ que des Bikini strassés tout neufs), transport
    de corps (à la plage/au tennis/au paintball) devant la boîte de nuit à minuit
    pour éviter aux jeunes jambes de marcher 1,5 km, lançage frénétique de
    machines en tout genre.

  • 33 % du temps, elle s’excuse. « Désolée, j’ai oublié l’origan pour
    la pizza. » « Zut, je n’ai pas pris assez d’eau pour tout le monde à la plage. »
    « Y a plus de serviettes en papier, j’ai dû mettre du Sopalin. » « Sorry, le rond-
    point était bouché, je vous ai fait attendre au club de voile. »

  • 33 % du temps, elle s’inquiète. Elle vit sur son application météo,
    tentant de décrypter la taille du nuage sur le soleil jaune. Elle poursuit les
    enfants, pistolet à crème solaire au poing, pour chasser le mélanome malin.
    Elle poursuit aussi tous les gens de plus 65 ans, brumisateur en main, pour
    chasser la déshydratation sournoise. À 3 heures du matin, elle ne dort pas,
    oh non, pas avant d’avoir entendu les gloussements avinés des ados de
    retour.
    Il lui reste donc 1 % de son temps pour réfléchir, et, bien vite, le
    constat tombe : en vacances, elle est la Reine des connes. Pourquoi cette
    quête de perfection, cette obsession du bien-être des autres, alors que
    personne ne lui demande d’en faire autant? Alors que, quand elle travaille,
    elle arrive parfaitement à hiérarchiser ses priorités et à ne pas s’oublier au
    passage? La faute au patriarcat, à ce vieil impensé qui voudrait que, dans
    la sphère privée, une femme soit dévouée, forcément dévouée? Même pas.
    La Reine des connes existe en version masculine, le mari de l’auteure de ces
    lignes en sait quelque chose. Alors, quel est le problème? Syndrome de
    toute-puissance, quête d’hyper-contrôle, plaisir d’offrir – un poil masochiste
    mais réel? Le débat est ouvert. Mais, confidence d’une Reine des connes
    à toutes ses sœurs, il y a pire dans le profil névrotique qui nous caractérise.
    Entourées de ceux que nous aimons et qui nous aiment, nous ne passons pas
    de mauvaises vacances pour autant. Il faut imaginer la Reine des connes
    hyperactive, crevée, mais heureuse. n


LA REINE


DES CONNES


PAR ALIX GIROD DE L‘AIN


ÉDITORIALISTE


SEMAINE DU 16 AU 22 AOÛT 2019


L’ÉDITO DE ELLE

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