Les Echos - 20.08.2019

(vip2019) #1

Les Echos Mardi 20 août 2019 MONDE// 05


tique et social, et la fin du dou-
loureux isolement internatio-
nal de ce pays pourtant
pétrolier. Selon les termes de
l’accord, un « Conseil souve-
rain », autorité de transition
composée de 11 membres (six
civils et cinq militaires), prend
désormais la place des géné-
raux au pouvoir pour gérer la
période de transition et la mise
en place et le travail du nouveau
gouvernement. Il répond à un
minutieux partage du pouvoir
puisqu’il sera d’abord dirigé
pendant vingt et un mois par un
général, puis par un civil les dix-
huit mois restants.

Al Jazeera
déjà réautorisée
C’est lui qui doit confirmer ce
mardi le Premier ministre
choisi par la contestation :
Abdallah Hamdok, un ex-éco-
nomiste de l’ONU, qui consti-
tuera son gouvernement d’ici le
28 août en choisissant pas plus
de vingt ministres parmi les can-
didats présentés par l’Alliance
pour la liberté et le changement
(ALC), le fer de lance de la con-
testation, à l’exception des
ministres de l’Intérieur de la
Défense désignés par les militai-
res. Gouvernement et Conseil
souverain tiendront leur pre-
mière réunion dès le 1er septem-
bre, et suivra dans les trois mois
la constitution d’une assemblée
de 300 membres maximum
(dont 40 % de femmes), dans
laquelle 67 % des sièges seront
réservés à l’ALC.
Autre assurance pour les
Soudanais : une série de droits
et de libertés, dont la protection
contre toute arrestation arbi-
traire, la liberté d’expression et
de religion, le droit de manifes-
ter, de se syndiquer, de créer un
parti politique, et l’accès à un
internet qui devient lui-même
un « droit ». Signe déjà tangible :
les militaires ont autorisé, ven-
dredi dernier, la réouverture à
Khartoum de la chaîne d’infor-
mation Al Jazeera, interrom-
pue en mai pour avoir trop
abondamment couvert les
manifestations contre le
régime...n

Daniel Bastien
[email protected]

Tout un symbole. Le président
Omar el-Béchir, déchu par
l’armée en avril dernier sous la
pression populaire après trois
décennies de pouvoir sans par-
tage, a été présenté lundi d evant
un tribunal de Khartoum, au
lendemain de la célébration
par le Soudan de l’accord histo-
rique signé, samedi, par les
militaires et les leaders de la
contestation engageant une
transition vers un transfert du
pouvoir aux civils... et à la veille
de la nomination, ce mardi,
d’un Premier ministre choisi
par l’opposition.
Certes, el-Béchir va dans un
premier temps être jugé pour
« corruption » alors que la Cour
pénale internationale d e
La Haye (CPI) le poursuit depuis
des années pour crimes de
guerre, crimes contre l’huma-
nité et génocide pour son rôle
joué dans la guerre du Darfour
(qui a fait selon l’ONU plus de
300.000 morts et 2,5 millions de
déplacés), mais une nouvelle
mécanique semble bien en
marche.

Sept mois
de manifestations
Après plus de sept mois de
manifestations sans relâche et
d’amorces de négociations
ponctuées par d es pics de
répression meurtrière face à
Omar el-Béchir puis contre le
« Conseil militaire de transi-
tion », le Soudan espère enfin
« tenir » la transition, prévue
sur trente-neuf mois, censée
l’amener vers l’apaisement poli-

AFRIQUE


Le tout nouveau
« Conseil
souverain »
soudanais va
désigner ce mardi
un nouveau
Premier ministre,
ex-économiste
de l’ONU.

Le Soudan enfin


en route vers


un pouvoir civil


EUROPE


Yves Bourdillon
@yvesbourdillon


La chancelière allemande, Angela
Merkel, a célébré, lundi, avec le
Premier ministre hongrois, Viktor
Orbán, les trente ans du début
du démantèlement du rideau de fer.
Une cérémonie doublement emblé-
matique : elle commémorait la réu-
nion, en 1989, d’un continent euro-
péen divisé pendant plus de
quarante ans par ce « rideau de
fer », selon l ’expression popularisée
par Churchill en 1946, frontière
quasi imperméable entre le bloc
soviétique et le camp occidental.
Toutefois, la chancelière allemande
et le Premier ministre hongrois
défendent aujourd’hui des concep-
tions diamétralement opposées de
la construction européenne.
Angela Merkel prône une
Europe relativement fédérale et
ouverte à l’immigration, tandis que
Viktor Orbán fait partie des princi-
paux leaders souverainistes d’une
Union dont il paraissait impensa-


ble, en 1989, que la Hongrie en fasse
partie un jour.
A Sopron, ville hongroise où, le
19 août 1989, six c ents A llemands d e
l’Est avaient fui à l’Ouest à la faveur
de l’ouverture inattendue d’un pos-
te-frontière avec l’Autriche, Angela
Merkel a d’ailleurs estimé, lundi,
que cet événement fondateur sym-
bolisait la défense « de la solidarité,
de la liberté et de la paix, pour une
Europe à visage humain ». Ce sont
ces valeurs qui doivent continuer
« d’unir l’Europe », a soutenu la
chancelière, appelant à « combattre
les causes de la fuite et des persécu-
tions » qui poussent les réfugiés
issus de « zones d e guerre e t de crise »
à l’exil, vers l’Europe notamment.
Pour Viktor Orbán, qui a débuté, à

vi ngt-cinq ans, dans l’arène poli-
tique comme dissident libéral en
1989, la chute du communisme a
d’abord marqué pour la Hongrie
et les pays de l’Est la reconquête
de leur souveraineté, une notion
sur laquelle il s’e st montré de plus
en plus intransigeant au fil des ans.
Il défend aujourd’hui une Europe
« blanche et chrétienne ».

Ton consensuel
A l’inverse, Angela Merkel, fille
d’un pasteur ayant émigré en RDA
pour y porter l’évangélisation, avait
décidé un accueil illimité des réfu-
giés syriens en 2015 avec pour slo-
gan « Wir schaffen das » (« Nous y
arriverons »). Depuis lors, t outefois,
au vu des flux importants en prove-
nance de Turquie et de Libye, la
politique migratoire de l’Union
européenne s’est durcie e t l’ extrême
droite est entrée au gouvernement
en Autriche et en Italie, tandis
qu’elle accédait au troisième rang
des partis politiques en Allemagne.
Viktor Orbán a fait installer à la
frontière sud de son pays 200 kilo-
mètres de barbelés, qui rappellent à
Angela Merkel ceux utilisés, en sus

La frontière entre l’Autriche et la
Hongrie devait être ouverte pen-
dant trois heures à un unique poste
frontière près de la ville de Sopron
pour un « pique-nique paneuro-
péen », à l’instigation d’Otto de
Habsbourg-Lorraine, fils du der-
nier empereur d’Autriche et roi de
Hongrie entre 1916 et 1918, et du
ministre réformateur hongrois
Imre Pozsgay. C’était censé être un
mini-événement symbolique entre
Hongrois et Autrichiens, d’ailleurs
présenté non sans goguenardise
par la presse d’alors. Au l ieu de quoi,
600 Allemands de l’Est en vacances
en Hongrie déboulèrent au poste-
frontière dont le chef, Arpad Bella,
disposa de moins d’une minute
pour décider de suivre ou pas les
consignes, à savoir leur faire tirer
dessus. Il donna l’ordre à ses subor-
donnés de s’écarter.

Une chute de dominos
L’affaire avait été en fait préparée en
amont par des autorités hongroises
conscientes que la situation n’était
plus tenable. Budapest avait com-

Ce pique-nique a changé l’Histoire.
Il y a exactement t rente ans
s’ouvrait une brèche décisive dans
le rideau de fer, cette barrière quasi
imperméable à base de barbelés,
miradors et champs de mines, éta-
blie en Europe au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale entre la
zone d’influence soviétique et les
pays de l’Ouest. Le rideau de fer,
érigé pour empêcher les habitants
de la zone soviétique de fuir à
l’Ouest, s’étendait sur près de
3.000 kilomètres le long d es frontiè-
res entre l’Allemagne de l’Est, la
Tchécoslovaquie, la Hongrie et la
Bulgarie d’une part, et l’Allemagne
de l’Ouest, l’Autriche, la Grèce et la
Turquie, d’autre part.


Un événement festif et
symbolique que presque
personne n’avait pris
au sérieux le 19 août 1989
a entraîné en quelques
semaines la chute
du rideau de fer, puis
de l’ensemble des régimes
socialistes des pays de l’Est.


de miradors et de champs de mines,
par le bloc soviétique...
Angela Merkel s’est toutefois
gardé, lundi, de critiquer ouverte-
ment Viktor Orbán sur cette ques-
tion. La présidente désignée de la
Commission européenne, Ursula
Von der Leyen, a dit qu’elle « enten-
dait relancer les discussions afin
de trouver une position commune
européenne sur les questions de
migration et [qu’elle] trouv[ait] cela
important », s’est-elle contentée de
déclarer. Ajoutant : « Pour régler le
problème dans sa totalité, je pense
qu’il faut travailler sur ce qui nous
unit et tenter de surmonter les diffé-
rends ». Viktor Orbán a répondu
qu’il n’y avait « pas de contradic-
tion » entre le démantèlement du
rideau de fer et la construction de
nouvelles clôtures aux frontières
européennes. Dans les deux cas, le
but est de bâtir une « Europe de paix
et de sécurité », a-t-il soutenu.
Vétérans de la politique euro-
péenne – Angela Merkel est au pou-
voir depuis 2005, Viktor Orbán
depuis 2010 –, les deux dirigeants
s’étaient rencontrés pour la der-
nière fois en bilatéral il y a un an.n

lLa chancelière allemande et le Premier ministre hongrois ont célébré lundi


le « pique-nique paneuropéen », qui, il y a exactement trente ans, a ouvert


une brèche dans le mur entre le bloc soviétique et le camp occidental.


lTous deux défendent des conceptions diamétralement opposées de l’Europe.


Merkel et Orbán commémorent


la fin du rideau de fer


sant à ce qui paraissait impensable
quelques semaines plus tôt : la
chute du mur de Berlin, le 9 novem-
bre, et, par effet domino, celle de
tous les régimes des pays socialistes
de l’Est (Hongrie, Allemagne de
l’Est, Tchécoslovaquie, URSS, Bul-
garie, Albanie, Yougoslavie, Polo-
gne, Roumanie), échelonnée jus-
qu’en décembre 1991.
Une chute qui allait entraîner
rien moins que la disparition du
Pacte militaire de Varsovie et de
l’ensemble intégré d’économie pla-
nifiée du Comecon, la réunification
allemande, l’explosion de l’URSS en
quinze pays indépendants, et de la
Yougoslavie en six. Ainsi que l’adhé-
sion à l’Otan, ennemi du Pacte de
Varsovie, de douze de ces pays en
trois vagues entre 1999 et 2009.
Onze d’entre eux (Estonie, Lituanie,
Lettonie, pour l’ex-URSS, Bulgarie,
Roumanie, Slovaquie, République
tchèque, Hongrie, Pologne, Slové-
nie et Croatie) ont adhéré à l’Union
européenne, à laquelle six autres
ex-pays socialistes sont candidats.
—Y. B.

Il y a trente ans, le pique-nique qui a changé l’histoire


La chancelière allemande, Angela Merkel, et le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, lors d’une conférence de presse,
le 19 août 2019, à Sopron en Hongrie. Photo Akos Stiller/Bloomberg


en bref


Le but est de bâtir
une « Europe
de paix
et de sécurité. »
VIKTOR ORBÁN
Premier ministre hongrois

L’Allemagne en passe d’entrer
en récession

CONJONCTURE La contraction de l’économie allemande pourrait
s’être poursuivie au cours de l’été avec la baisse de la production
industrielle, a déclaré lundi la Bundesbank, la banque centrale alle-
mande, dans son rapport mensuel, laissant ainsi entendre que la
première économie d’Europe serait donc officiellement en réces-
sion fin septembre. Le PIB allemand s’est contracté de 0,1 % au
deuxième trimestre en raison de la chute des exportations, du
ralentissement en Chine et des incertitudes liées au Brexit, selon les
statistiques officielles publiées la semaine dernière. Une nouvelle
contraction au troisième trimestre ferait donc basculer la première
économie d’Europe en situation de récession technique, définie par
deux trimestres consécutifs de recul du PIB.

Zone euro : ralentissement
de l’inflation en juillet à 1 %

STATISTIQUE L’inflation dans la zone euro a ralenti plus
qu’attendu en juillet, selon les statistiques définitives publiées
lundi par Eurostat. Les prix à la consommation y ont augmenté
de 1,0 % sur un an le mois dernier, contre 1,3 % en juin. Ce taux
s’éloigne encore un peu plus de l’objectif de la Banque centrale
européenne (BCE), pour qui une inflation très légèrement infé-
rieure à 2,0 % sur un an est signe de bonne santé de l’économie. Il
y a un an, le taux d’inflation était de 2,2 %. Les taux annuels les
plus faibles ont été observés au Portugal (–0,7 % ), à Chypre (0,1 %)
et en Italie (0,3 %). Les taux annuels les plus élevés on, quant à
eux, été enregistrés en Roumanie (4,1 %), en Hongrie (3,3 %), en
Lettonie et en Slovaquie (3,0 % chacun). Pour l’ensemble de
l’Union européenne, la hausse des prix s’est é tablie, elle, à 1,4 % en
juillet 2019, contre 1,6 % en juin, et 2,2 % un an auparavant.

mencé en mai à démanteler les bar-
belés le long de la frontière de
260 kilomètres avec l’Autriche, avec
l’accord tacite de Moscou. C’était la
première maille du tricot qui sautait.
Alertés par le bouche-à-oreille,
ainsi que par des opposants hon-
grois, voire par Imre Pozsgay lui-
même, des milliers d’Allemands de
l’Est affluèrent après le 19 août. Le
flux culminait le 10 septembre à
120.000 « touristes » de RDA se
ruant en Trabant vers l’Autriche. Le
lendemain, la Hongrie ouvrait tota-
lement sa frontière, obligeant la
RDA à fermer la sienne pour tenter
de freiner l’hémorragie. Ce qui pro-
voquait une contestation aboutis-

Arpad Bella,
un garde-frontière
hongrois,
a créé
la première faille
dans le rideau de fer,
en août 1989.
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