Les Echos - 20.08.2019

(vip2019) #1

08 // SÉRIES D'ÉTÉ Mardi 20 août 2019 Les Echos


de l’existence, se déhancher au rythme du
rockabilly qu’incarnera bientôt à la perfec-
tion Elvis Presley, en finir en un mot avec le
puritanisme d’autrefois. La société améri-
caine, peu à peu, se désinhibe. Il y a de la
place pour un magazine de qualité s’adres-
sant spécifiquement aux hommes et mêlant
articles de fond et érotisme, pense Hefner.

« Playboy », playmates
et bunnies...
Après avoir songé à le baptiser « Stag Party »
(soirée entre hommes), il se décide pour
Playboy, terme qui désigne un homme
aimant s’amuser et multiplier les conquêtes
féminines. Après avoir levé 8.000 dollars
auprès de ses amis – et de sa mère qui, par
amour pour son fils, a tout de même donné
1.000 dollars – il lance le premier numéro en
décembre 1953. Son coup de génie est d’avoir
tout misé sur Marilyn Monroe dont le por-
trait accapare la couverture. A l’intérieur, les
lecteurs peuvent découvrir des photos tota-
lement inédites de l’actrice entièrement nue
destinées initialement à orner un calendrier
pour soldats et que Hefner a achetées à un
imprimeur pour une poignée de dollars.
C’est un triomphe : 50.000 exemplaires sont
écoulés en quelques jours. En 1959, « Play-
boy » tire déjà à plus de 500.000 exemplai-
res. Entre-temps, le fondateur a lutté, dans
ses colonnes, contre la ségrégation qui règne
dans les Etats du Sud, défendu les homo-
sexuels, interviewé des militants des droits
civiques ou des artistes d’avant-garde...

Depuis 1953, il a commencé à ouvrir des
clubs privés pour gentlemen. Il a également
créé les fameuses « bunnies », ces serveuses
costumées en lapin qui travaillent dans les
clubs Playboy, et les « playmates », les modè-
les q ui posent dans s on magazine et dont cer-
taines feront de belles carrières d’actrice. Le
manoir Playboy de Chicago est de la même
veine. L’esprit du magazine doit s’y décliner
pleinement. Il en est la « vitrine » privée, au
même titre que les clubs en sont la manifes-
tation publique et les bunnies l’expression
fantasmée.
« Hef » », comme on commence à l’appe-
ler, a déboursé 400.000 dollars pour cette
vaste demeure de deux étages bâtie en 1899
et située en plein cœur du quartier huppé de
Gold Coast. Et, bien davantage pour aména-
ger une piscine tropicale dont la cascade
cache une grotte, une salle de jeux, un bar
sous l’eau, un bowling, un sauna et un
cinéma. Le maître des lieux a aménagé ses
appartements au rez-de-chaussée. Les play-
mates y disposent de leur propre chambre,
les bunnies de Chicago se partageant pour
leur part une pièce pour quatre et devant
s’acquitter d’un loyer. Le manoir se veut un
lieu d’accueil, un refuge, pour la commu-
nauté Playboy. Mais pas seulement! « Si
vous êtes fidèle, ne sonnez pas », avertit
d’emblée une plaque en cuivre posée bien en
évidence sur la porte d’entrée. Dès le début
des années 1960, l’endroit est réputé pour ses
soirées de folle débauche, entre sexualité
débridée, consommation d’alcool et de dro-

gues, et excès en tout genre. Attirés par la
réputation sulfureuse de Hefner et le succès
de son magazine, John Lennon, les Rolling
Stones, Warren Beatty ou Barbra Streisand
figurent très tôt parmi les habitués.
D’innombrables histoires circulent sur ce
qui se passe derrière les murs de l’édifice : les
Rolling Stones y auraient passé quatre jours
de débauche totale, Keith Richards aurait
manqué de mettre le feu à la salle de bains,
John Lennon aurait fait un trou avec sa
cigarette dans une toile de Matisse, Mick
Jagger aurait été mordu aux fesses par une
bunny délurée...
Anecdotes que tout ceci? En partie seule-
ment : « Hef » ne fait rien pour mettre un
terme à ces rumeurs. Elles participent de la
légende de « Playboy », suscitent la curiosité,
lui attirent de nouveaux fidèles. Quand il ne
reçoit pas chanteurs et acteurs, le sulfureux
homme d’affaires ouvre les portes de son
manoir à des événements culturels ou scien-
tifiques. Un très sérieux congrès de sociolo-
gie s’y tient ainsi en 1967. Hefner y fait une
brève allocution d’accueil sur la sociologie de
la sexualité. Le soir venu, les scientifiques
sont pris en charge par une cohorte de bun-
nies. Tous ces excès finissent par provoquer
quelques problèmes de voisinage. A Chi-
cago, la bonne société ne supporte plus la
présence de ce lieu de perdition qui entache
la réputation de Gold Coast. En 1970, une
sombre affaire de trafic de drogue – très pro-
bablement montée par la police – fait la une
de la presse locale. L’affaire est classée sans

Le Manoir Playboy, l’antre du sexe


de Hugh Hefner


Pour le fondateur de « Playboy », ce manoir devenu mythique était bien plus qu’une simple maison lui permettant
de s’adonner avec une poignée de célébrités à sa passion pour le sexe. Il était une déclaration jetée à la face de la société

américaine en faveur de la libération sexuelle et du droit à choisir sa vie.


suite mais l’assistante de Hefner, mise per-
sonnellement en cause, se suicide. Pour le
fondateur de « Playboy », dont le magazine
se diffuse désormais à près de 10 millions
d’exemplaires dans le monde entier, le
moment est venu de quitter Chicago. C’est
sur la côte ouest, à Los Angeles, qu’il s’installe
en 1974. C’est là, dans le quartier résidentiel
de Holmby Hills, qu’il ouvre la même année
le second manoir Playboy.
Pour acquérir ce château de style néogo-
thique-Tudor de 2.000 mètres carrés sis au
milieu d’un terrain de 2 hectares, l’homme
d’affaires a dépensé 1 million de dollars.
Comme la précédente, la demeure sert de
résidence principale à Hefner. Comme elle
aussi, elle comporte une piscine, une grotte
aquatique, un bar sous-marin et des espaces
de jeu. Mais il y a quelques nouveautés : un
Jacuzzi a été créé dans le jardin, où l’on peut
se livrer à ses ébats collectifs au milieu des
bosquets et des arbustes. Avec l’autorisation
de la municipalité, « Hef » a également amé-
nagé un zoo privé où l’on peut admirer des
oiseaux exotiques et des singes. Les convives,
eux, n’ont pas beaucoup changé : de Jack
Nicholson – gros « consommateur » de play-
mates – à Pamela Anderson, en passant par
Kirk Douglas, James Caan et, plus tard, Leo-
nardo DiCaprio, on y retrouve nombre de
stars de Hollywood. La plupart viennent en
voisins. « Hef » a fait creuser un souterrain
qui permet aux célébrités d’entrer et de sortir
de la propriété en toute discrétion. Outre les
bunnies et les playmates, Hefner emploie en
permanence six ou sept jeunes femmes
payées 1.000 dollars la semaine et qui doivent
répondre à toutes les demandes des invités.
Elles sont nourries, logées et disposent à
volonté des services d’un coiffeur et d’une
esthéticienne. Des escorts de luxe, en

somme... Les soirs de fête, « Hef » accueille
ses convives en pyjama de satin et robe de
chambre rouge. La semaine est réglée
comme du papier à musique : le lundi est
consacré à des séances de cinéma et des par-
ties de jeu de cartes entre hommes, le mardi à
la famille de Hefner – marié trois fois, il a qua-
tre enfants –, le mercredi aux sorties en boîte
de nuit, le vendredi aux « orgies », le samedi
aux p rojections de vieux films et le dimanche
aux « pool parties ». Le jeudi, jour de relâche,
l’ennui est palpable... Le temps passant, cette
existence vouée aux plaisirs et à la débauche
suscite un nombre croissant de critiques.
Dans les années 2000, plusieurs plaintes
contribuent à attirer l’attention sur les fras-
ques de Hugh Hefner. Il est question de viols
collectifs, de harcèlement sexuel, d’abus sur
mineures, le tout sur fond d’hygiène dou-
teuse et de consommation de substances illi-
cites. Entendu par la justice, l’empereur du
porno ne sera pas inquiété. Symbole de la
libération sexuelle des années 1960 et 1970 et
des excès en tout genre de la décennie sui-
vante, le manoir, désormais, ne fait plus
recette. En 2016, « Hef », alors âgé de quatre-
vingt-dix ans, décide de le vendre. Proposé à
200 millions de dollars, il est finalement c édé
pour la moitié de ce prix à l’homme d’affaires
Daren Metropoulos, qui occupe la propriété
attenante. Hugh Hefner ne profitera guère
de son argent. Il meurt un an plus tard, le
27 septembre 2017.

« Si vous êtes fidèle,
ne sonnez pas », avertit
une plaque en cuivre posée
sur la porte d’entrée.

P


rès de 42.000 dollars! Tel est le
prix auquel a été vendu, lors des
enchères organisées à Los
Angeles en décembre 2018, le
célèbre peignoir en soie de
Hugh Hefner, le fondateur du magazine
« Playboy », décédé un an plus tôt. Le vête-
ment mythique n’est d’ailleurs pas la seule
« relique » à trouver preneur ce jour-là. Il y a
aussi la machine à écrire avec laquelle le
journaliste devenu homme d’affaires a écrit,
en 1953, son premier article – partie pour
162.000 dollars – ou bien encore le « Viagra
Ring », la bague en or cachant une petite
pilule bleue que Hefner portait en
permanence au doigt, acquise, elle, pour
22.400 dollars. Tous ces objets proviennent
du célèbre Manoir Playboy de Los Angeles,
que Hefner s’était résigné à vendre peu de
temps avant sa mort.
« L’antre du sexe », « le repère du vice et du
crime », « le temple de la décadence », « le
paradis des débauchés »... Rares sont les lieux
à avoir suscité autant de critiques et de fan-
tasmes. Son existence est indissociable de
celle de Hugh Hefner. Pour le fondateur de
« Playboy », ce manoir devenu mythique et
auquel seuls une poignée de happy few
avaient accès était bien plus qu’une simple
maison lui permettant de s’adonner en toute
tranquillité à sa passion pour le sexe. Il était
une déclaration jetée à la face de la société
américaine, une profession de foi parfaite-
ment assumée en faveur de la libération
sexuelle et du droit à choisir sa vie, fût-elle
celle d’un débauché ; il était le pendant,
vivant et bien réel, de son magazine. En réa-
lité, il n’y a pas un mais deux manoirs Play-
boy. Le premier ouvre en effet en 1959 à Chi-
cago. A ce moment, Hugh Hefner n’a même
pas trente ans et est déjà un homme riche.
Surprenant parcours que celui de ce fils de
bonne famille né à Chicago en 1956. Son père
est comptable et sa mère enseignante. La
famille compte parmi ses ancêtres un gou-
verneur de Plymouth. Conservateurs et
méthodistes, les parents Hefner rêvent de
faire de leur fils... un missionnaire! La vie en
décidera autrement. Mobilisé en 1944, le


jeune homme écrit des articles pour un jour-
nal militaire. Le début d’une passion. La paix
revenue, il décroche plusieurs diplômes en
psychologie, en histoire de l’art et littérature,
en sociologie et en « écriture créative » – une
méthode qui consiste à rendre les techni-
ques rédactionnelles accessibles à tous. Loin
d’être un simple « jouisseur », le fondateur
de « Playboy » d éfendra toujours une dimen-
sion intellectuelle qui le poussera à aller con-
tre les idées dominantes de ses contempo-
rains. Embauché en 1950 comme rédacteur
dans u ne revue de Chicago, Hefner en démis-
sionne deux ans plus tard lorsque son patron
lui refuse une augmentation. C’est alors qu’il
a l’idée de créer un magazine de « divertisse-
ment p our homme » comportant des photos
de femmes nues mais aussi des articles sur la
mode et l’art de vivre. Ce type de magazine
n’est p as alors une nouveauté aux Etats-Unis.
Il en existe depuis les années 1880. En 1951,
une publication très proche de celle que
s’apprête à lancer Hefner a même vu le jour
sous le nom de « Modern Man ». Dans
l’affaire, le jeune homme ne fait que « sur-
fer » sur une vague : celle issue des boulever-
sements provoqués par la fin de la Seconde
Guerre mondiale. A l’heure de la consom-
mation de masse naissante, les gens veulent
vivre normalement, renouer avec les plaisirs


Conservateurs et


méthodistes, les parents


Hefner rêvent de faire de


leur fils... un missionnaire!


parTristanGaston Breton
illustration :Pascal Garnier

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Demain Larry Page, Eric Schmidt
et les fabuleuses richesses
de l’espace

SÉRIED’ÉTÉ

11/ (^19) RÊVES DE MILLIARDAIRES 11/ 19

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