L\'Express - 14.08.2019

(Nandana) #1

14 AOÛT 2019 L’ E X P R E S S 15


T

rès exactement 4 717 396 : c’est, d’après le
calcul du Conseil constitutionnel, le nombre
de soutiens inscrits sur les listes électorales
requis pour que se poursuive la procédure
de référendum d’initiative partagée contre
la privatisation d’ADP. Et, depuis le 14 juin dernier, la
course à leur recueil est lancée pour neuf mois.
D’emblée, les promoteurs de cette initiative ont
mis en doute les modalités
d’organisation de cette première
constitutionnelle. Après avoir
laissé entendre que le gouver-
nement cherchait à en retarder le
lancement, ce sont la complexité
du site Internet dédié au recueil
et l’absence d’un compteur
instantané du nombre de sou-
tiens qui ont été pointés. Ont
ainsi été mis en cause, plus ou
moins explici tement, le minis-
tère de l’Intérieur, en charge de la
mise en œuvre de la collecte des
soutiens, suspect de partialité,
mais aussi le Conseil constitu-
tionnel, chargé de leur décompte,
soupçonné de privilégier l’opa-
cité. Procès infondé : la procé-
dure est précisément cadrée
par une loi organique, une loi
de décembre 2013 et un décret
de décembre 2014, et, hormis
son caractère informatisé, le
dispositif est largement ins-
piré de la récolte des soutiens
aux candidats à la présiden-
tielle. En témoigne, en parti-
culier, la page de son site que
le Conseil constitutionnel
consacre au RIP, sur laquelle,
comme pour la prési dentielle,
est régulièrement publié l’état
d’avan cement du recueil des signatures en faveur du
référendum. Dernier décompte affiché : « Au 30 juillet
2019, 615 000 soutiens ont été exprimés au référen-
dum d’initiative partagée. » D’ailleurs, la critique s’est
essoufflée en même temps que les calculs laissaient
penser que, en neuf mois, le
compte pourrait ne pas y être.
Sans doute la période estivale
n’est pas la plus favorable à
la mobilisation, mais le fait
est que la proposition n’a pas
suscité l’effet de souffle espéré.
Les attaques se sont déplacées

OPINIONS


sur le terrain de l’absence de campagne en faveur du
recueil des soutiens, consi dérant que l’exécutif y aurait
intérêt et serait soulagé de voir la perspective du réfé-
rendum s’éloigner. L’analyse est pourtant à courte vue.
D’abord, les textes organisant le référendum
d’initiative partagée, s’ils prévoient que le ministre
de l’Intérieur est chargé, sous le contrôle du Conseil
constitutionnel, de recueil des soutiens, renvoient
évidemment aux partis et grou-
pements politiques le soin de
faire campagne. Lorsqu’ils
dénoncent sa pauvreté, les ini-
tiateurs du RIP ne font donc
rien d’autre que leur autocri-
tique! Mais surtout, il y a tout
lieu de considérer que l’exécutif
aurait, en fait, davantage intérêt
à ce que la collecte de soutiens
aboutisse. Que l’on en juge!
D’une part, on le dit trop
rarement, l’obtention des
4 717 396 soutiens n’emportera
pas organisation automatique
d’un référendum. En effet, une
fois le seuil atteint, ce n’est que
si la proposition de loi n’a pas été
examinée au moins une fois par
chacune des deux Assemblées
dans un délai de six mois qu’il y a
référendum. Or examen ne veut
pas dire adoption, en parti culier
lorsqu’il s’agit des parlemen-
taires qui, un an auparavant, ont
voté une loi que la propo sition
abrogerait. L’exécutif a donc
tout intérêt à ce que la procé dure
se poursuive, puisque l’hypo-
thèse référendaire serait à coup
sûr enterrée. Mais, d’autre part,
dès lors que le président de la
République a, au terme du grand
débat, annoncé vouloir abaisser à 1 million le nombre
de soutiens nécessaires à l’organisation d’un RIP,
l’exécutif pourrait être finalement embarrassé par
l’échec du processus si le nombre de soutiens obtenu
excédait le seuil qu’Emmanuel Macron a lui-même
présenté comme pertinent.
Si l’on ajoute que le recueil des soutiens prendra
fin quelques jours avant le premier tour des élections
municipales, on mesure à quel point ce référendum
improbable est un pétard mouillé!

Anne Levade, professeure des universités, est agrégée de droit
public et préside l’Association française de droit constitutionnel.

L’exécutif
a tout intérêt
à ce que
la procédure
se poursuive

L’ENVERS DU DROIT, PAR


ANNE


LEVADE


ADP : VERS UN


RÉFÉRENDUM


IMPROBABLE!

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