L\'Express - 14.08.2019

(Nandana) #1

38 L’ E X P R E S S 14 AOÛT 2019


de l’Ifop montrent que la
revendication du plaisir
féminin apparaît nette-
ment entre 30 et 40 ans,
elle est moindre chez
les plus jeunes. François
Kraus, directeur du pôle
Genre, sexualités et santé
sexuelle de l’Ifop, invoque
le poids des ghettos, com-
munautaires ou religieux,
excessivement régressifs
à l’égard de la liberté des
femmes. Il parle lui aussi
de l’accès de plus en plus
jeune au porno et de ses
eff ets : « La pornographie
induit un niveau de fan-
tasme et d’excitation vir-
tuelle qu’on trouve rare-
ment dans la vie réelle, ce
qui peut être déstabili-
sant. En revanche, c’est
un élément qui accélère et diversifi e
les pratiques sexuelles : désormais, en
quelques mois, un jeune couple fait
le tour d’un répertoire de pratiques et
de positions sexuelles que les plus
âgés n’achevaient qu’au bout de plu-
sieurs années ! »

UN OBJET DE RECHERCHES
Cette précocité, conjuguée à une
extension du domaine des possibles,
explique pour partie le succès des
sites de rencontre, où la règle est
l’anonymat, et qui permettent aux
femmes – comme aux hommes –
d’avoir accès à une sexualité pure-
ment récréative sans subir l’opprobre
du milieu social ou professionnel.
Hier, on se rencontrait ; ensuite, on
couchait ; enfin, on apprenait à se
connaître. Aujourd’hui, quel que soit
son âge, on coche des cases sur son
portable, on rationalise ses préfé-
rences, on encourage ou on écarte
selon les réponses : on recrute le (ou
la) partenaire idéal(e), pour un soir ou
pour un mois. Le hasard n’a plus
grand-chose à voir avec l’histoire.
Ces nouvelles façons d’entrer en
relation, les objets sexuels virtuels ou
réels, la place du numérique dans l’in-
timité des Français, le consentement :

autant de questions qui n’ont pas
encore de réponse scientifi que. La der-
nière grande enquête sur la santé
sexuelle des Français date d’avant la
révolution du portable, réalisée en
2006 sur plus de 12 000 personnes par
l’Inserm et l’Institut national d’études
démographiques (Ined), à l’initiative
de l’Agence nationale de recherches
sur le sida (ANRS).
Presque quinze ans plus tard, une
actualisation des données s’impose :
une nouvelle enquête est programmée
pour 2020, toujours à l’initiative de
l’ANRS. Son président, le professeur
François Dabis, en précise le contexte :
« D’un point de vue social, technolo-
gique, juridique et économique, la
société française a considérablement
changé en vingt ans. Or on sait très peu
de choses, par exemple, des consé-
quences de la légalisation du mariage
pour tous, de l’appréhension nouvelle
des violences sexuelles, de la diversi-
fication des pratiques, de l’impact
générationnel du porno et de la multi-
plication des formes de communica-
tion et de relations par Internet... Les
médecins généralistes sont de plus en
plus déconnectés. C’est pourquoi nous
avons besoin de soutenir un ambitieux
travail d’enquête sur ces questions,

notamment pour adapter notre poli-
tique de prévention. » « Il est indispen-
sable de travailler sur les normes, sur
les pratiques, confi rme Nathalie Bajos,
de l’Inserm. Il faut s’interroger sur les
impacts de la révolution numérique,
sur les effets réels ou supposés du
mouvement #MeToo, sur la question
du désir et du consentement, sur les
conséquences de la crise économique,
sur la remise en cause ou pas des
modèles dominants. La société struc-
ture la sexualité, qui est un champ
d’expression des rapports sociaux. Le
contexte est essentiel pour com-
prendre les évolutions. »
L’Inserm prépare actuellement un
questionnaire et forme les personnes
qui seront chargées d’interroger plus
de 10 000 Français par téléphone
– entre 20 et 25 % de la population n’a
toujours pas accès à Internet, ce qui
limite la portée des sondages
d’opinon réalisés via la Toile.
L’enquête pilote, destinée à valider le
processus de questionnement, va
bientôt commencer. Rapport prévu
en 2021. D’ici là, Snapchat aura peut-
être disparu, et « liker » les « stories »
paraîtra obsolète. Mais il est peu pro-
bable qu’on ait arrêté de traiter des
fi lles de salopes. E. K.

france


PEOPLEIMAGES/ISTOCKPHOTO

Libérées Certaines femmes
n’hésitent pas à revendiquer
leur droit au plaisir.
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