L\'Express - 14.08.2019

(Nandana) #1

72 L’ E X P R E S S 14 AOÛT 2019


L’atome au service


du patrimoine


Le laboratoire ARC-Nucléart, à Grenoble, restaure
des œuvres d’art grâce à la technologie nucléaire.
Par Victor Garcia

N


otre travail, c’est en
quelque sorte de la
chirurgie esthétique
nucléaire. » Devant l’un
des réacteurs désaffectés
du Commissariat à l’énergie atomique
et aux énergies alternatives (CEA) de
Saclay (Essonne), Karine Froment,
directrice d’ARC-Nucléart, détaille
les activités de son équipe. Pas ques-
tion, pourtant, de parler de radioac-
tivité ou de polémiques. Son labora-
toire-atelier de 3 000 mètres carrés
situé à Grenoble, dans les locaux du
CEA, est spécialisé dans la conserva-
tion et la restauration des
objets du patrimoine en
bois, en cuir ou en fibres
végétales. Pour cela, il uti-
lise une technique unique
au monde : l’irradiation par

mais contre les champignons, l’expo-
sition peut s’étaler sur plusieurs
jours. » Exceptionnellement, le labo-
ratoire effectue aussi des traitements
bactéricides, comme en 2010 lors
de la réception de Khroma, le plus
vieux bébé mammouth du monde
(50 000 ans), retrouvé congelé en
Sibérie. Ses chairs, très bien conser-
vées, étaient susceptibles d’être conta-
minées par une bactérie ancienne de
type bacille du charbon. Plus récem-
ment, le laboratoire a été sollicité pour
sauver une partie des Archives natio-
nales de Fontainebleau, dont l’un des
sous-sols avait été gravement inondé.
Plus d’un millier de mètres cubes de
documents touchés par des moisis-
sures ont été rapatriés – et sauvés – par
les équipes d’ARC- Nucléart.
Mais leur travail ne s’arrête pas
là. « Nous procédons à la conserva-
tion, voire à la restauration de nombre
d’œuvres d’art ou d’artefacts archéo-
logiques, confie Florence Lelong, spé-
cialiste des sculptures en bois. Quand
nous recevons des objets endommagés,
il y a une phase d’étude afin d’évaluer
les altérations, puis une analyse de la
couche picturale et enfin une propo-
sition de traitement. » Cette dernière
peut prendre la forme d’une consolida-
tion de la structure – assemblage, col-
lage, fixation de la polychromie – ou
d’une restauration et d’une valorisation
de l’objet – masticage, retouches, etc.
Dans des cas extrêmes, les cher-
cheurs utilisent une résine de
styrène-polyester radiodurcissable.
Liquide, elle permet de combler les
trous, « mais une fois exposée au
rayonnement gamma elle se raidit »,
explique Gilles Chaumat, coordonna-
teur des programmes de recherche. Il
y a peu, cette technique a permis de
sauver une sculpture de l’église d’At-
tainville (Val-d’Oise) représentant la
charité de saint Martin, ou encore une
statue de Myans (Savoie), une Vierge à
l’Enfant datant du XVIe siècle. Presque
intégralement rongée par les larves,
elle a « miraculeusement » pu retrou-
ver de sa superbe. Les techniques
nucléaires seraient-elles finalement
bénies? V. G.

rayonnement gamma.Très énergé-
tiques, ces rayons ne déstabilisent pas
le noyau des atomes qu’ils rencontrent
et ne génèrent aucune radioactivité.
En revanche, ils se révèlent mor-
tels pour les organismes vivants, ce
qui les rend particulièrement effi-
caces pour débarrasser les matériaux
infestés par des insectes à larve xylo-
phage, des champignons lignivores ou
des moisissures. « La dose de rayon-
nement et la durée nécessaire au trai-
tement varient selon la cible, détaille
Karine Froment. Pour éliminer les
insectes, quelques heures suffisent,

découverte


LE RECOURS AUX RAYONS
GAMMA, UNE TECHNIQUE

UNIQUE AU MONDE


Renaissance Ce saint Martin d’Auttainville (Val-d’Oise)
a repris vie dans le laboratoire du CEA de Grenoble
grâce à une résine exposée aux rayons gamma.

ARC-NUCLÉART/CEA-GRENOBLE

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