L\'Express - 14.08.2019

(Nandana) #1

76 L’ E X P R E S S 14 AOÛT 2019


S’il s’illustre au lycée Aristide-
Briand de Saint-Nazaire, c’est en
combattant la loi Devaquet, fin 1986.
L’élève est médiocre, il préfère ses
potes au travail, redouble et décroche
le bac à l’oral de rattrapage. Il sera un
bon étudiant en histoire, repéré par
son professeur Marcel Launay : « Un
type paisible, impressionnant »,
dit-il. Il est tenté par le Capes, la
recherche, mais l’action le rattrape.
A Paris comme secrétaire général de
la JOC, puis à Saint-Nazaire dans une
entreprise d’insertion.
Jaurès disait qu’il faut partir de
la réalité pour aller vers l’idéal. On
ne peut pas écrire que Berger pense
le contraire, mais quelle boule
d’indignation contre les maltrai-
tances sociales! Le sort des élèves des
filières pro, les préjugés sur les jeunes
d’origine maghrébine et ces vies
empêchées, autant de dossiers qui,
pour l’ancien conseiller en insertion,
ont toujours un nom et une couleur.
Jaune pour Mme P. et son mari, tous deux à la recherche d’un
travail. Bleu pour M. B., maître d’hôtel à bord du France. Il a
dévissé, le jeune Laurent Berger passe beaucoup de temps à
lui parler, à l’écouter. Et vous lui avez trouvé du boulot? lui
demande-t-on aujourd’hui. Le regard noircit, la réponse
pique : « Vous croyez que c’était ça, le problème? »
Un vieil ami de la CFDT le décrit en quête d’une société
où les conflits peuvent être dépassés par la rencontre, où
la vérité se construit dans la recherche du bien commun,
où la fraternité donne la parole à ceux qui ne l’ont pas, les
salariés des PME, les non-qualifiés, les migrants. Voilà pour
l’idéal. « Mais il a la culture du compromis et estime que,
pour obtenir des résultats, il faut parfois entrebâiller une
fenêtre avant d’ouvrir une porte. Sans jamais transiger sur
les valeurs », dit Mireille Le Corre, sa femme.
Il adore toujours les virées entre potes, la belote, la
pétanque et le ping-pong – attention, il déteste perdre –,
mais il est devenu un gros bosseur. Il lit beaucoup et vite,
rencontre des intellectuels une fois par mois lors de dîners.
Il n’est pas du genre à rester tard au bureau, rentre chez
lui pour le repas familial, quitte à travailler ensuite. La vie
privée de Laurent Berger le regarde, mais elle dit beaucoup
de sa ténacité – il en faut pour recomposer une famille de
six enfants. Mireille Le Corre est actuellement maître des
requêtes au Conseil d’Etat. Elle a participé à la campagne
de François Hollande, puis a travaillé au cabinet de Jean-
Marc Ayrault (mai 2012 - avril 2014). C’est là qu’ils se sont
connus. A l’époque, leur relation est professionnelle. La
foudre tombe après. « Notre histoire commence en 2015 alors
que je suis partie de Matignon », dit-elle à L’Express, pour se

défendre d’une confusion des genres. Les deux se marient
en mars 2018 ; leur petit garçon vient de fêter son premier
anniversaire. On devine qu’avec lui le papa ne négocie pas...

Acte II
COMMENT LES RENCONTRES FONT DU RÉVOLTÉ
CONTRE L’INJUSTICE UN SYNDICALISTE PRAGMATIQUE

Partout où il passe, Berger est pisté par les fox-terriers du cru,
des détecteurs de hauts potentiels, dirait-on en entreprise.
Chaque fois qu’on lui propose une promotion, un nouveau
job, son premier mouvement, c’est la peur. Peur de quitter
son port, sa famille, ses attaches, peur de ne pas être à la
hauteur. Une seule fois, c’est tout récent, Laurent Berger a dit
oui. Quand les syndicats européens (à l’exception notable
des organisations de son propre pays) lui ont proposé de
devenir le président de la Confédération européenne des
syndicats en mai 2019. Une première pour un Français.
L’autre président, celui de la République, ne l’a pas félicité.
A cette exception près, il a toujours dit non. Pour
commencer. Avant d’accepter, parce qu’il se sent en
confiance, parce que ces « rencontres », comme il les
nomme, savent le convaincre et le font grandir. Personne
ne connaît Jean-Yves Texier. C’est lui qui embauche
Berger pour son premier poste syndical, à l’union locale
de Saint-Nazaire. « Le jour de mon arrivée, je lui demande
à quoi m’occuper, raconte-t-il, il rédige une liste. Une
heure après, j’avais fait quelques trucs. Il a vu que j’étais
efficace. » Cette liste, il l’a longtemps gardée.

le récit de

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