L\'Express - 14.08.2019

(Nandana) #1

14 AOÛT 2019 L’ E X P R E S S 79


qu’il vouvoie. Berger énumère cinq points rouges. Tous
seront retirés. Le secrétaire général de la CFDT défend le
texte, comme promis, au point de devenir le porte-parole
du gouvernement. « Il en avait conscience », commente l’un
de ses amis. Mais un engagement est un engagement.
Les contacts entre le président et le syndicaliste sont
nombreux, même si les rendez-vous en tête à tête à l’Elysée
se comptent sur les doigts d’une main : quatre au total en
2016 et 2017. Il arrive que Berger entre au Palais par la grille
du Coq, au fond du jardin, passage plus discret. Ces dates
sont inscrites à l’agenda du syndicaliste, mais seuls les plus
proches savent de quoi il s’agit : leur mention est codée.
Aujourd’hui encore, les deux hommes se fréquentent,
discrètement. Ils se sont vus à la mi-juin.
Conseiller puis ministre de Hollande, Macron sait ce
qu’il ne veut pas : faire comme son patron, donner à Berger
cette place de co-Premier ministre, exceptionnelle sous
la Ve République. Macron, c’est son côté sale gosse, prend
parfois plaisir à dire noir juste parce que Berger dit blanc.
Invité à plancher devant la CFDT pendant la campagne
présidentielle, le 16 mars 2017, il fait encore le mal élevé,
par vidéo, car il est en Allemagne ce jour-là : les syndicats, il
veut les cantonner à la négociation d’entreprise ; le niveau
national, c’est au politique de s’en occuper.
Le hiatus est d’autant plus étrange qu’une partie de
l’équipe de campagne vient de la mouvance cédétiste,
comme Jean Pisani-Ferry, Philippe Grangeon, Anousheh
Karvar. De son côté, Nicole Notat prend position en faveur
de Macron. Au premier tour de la présidentielle, le 23 avril
2017, 48 % des sympathisants CFDT votent pour lui.


Yvan Ricordeau – « mon frère
en militantisme », comme l’appelle
Berger – suit son ami depuis le temps
de la JOC. Membre de la commission
exécutive du syndicat, il souligne ce
paradoxe : « Laurent prend pleine-
ment possession de sa fonction au
moment où nous devenons le pre-
mier syndicat du privé, en mars 2017.
Et c’est là qu’arrive un homme poli-
tique qui bouleverse le jeu. »
Laurent Berger et Emmanuel
Macron se sont vus trois fois en deux
ans seul à seul. Le président pense
que les syndicats sont trop faibles
pour mener des transformations
ambitieuses, voilà pourquoi les
réformes de Hollande étaient
molles. Il veut aller vite. On lui dit
qu’il n’ira pas loin. Il s’en moque...
Face à des interlocuteurs qui lui
imposent leur rythme, leur agenda,
Laurent Berger, lui, s’irrite, devient
susceptible. Deux conceptions
s’opposent, chacun a raison dans
sa logique, mais qui doit s’adapter à l’autre?
Quand il parle d’écologie, pour lui une question
sociale, Berger est persuadé de faire son job de syndica-
liste. Il est sincère, mais il oublie le regard des autres, qui
le voient prendre Macron bille en tête, qui le campent en
nouveau héros d’une social-démocratie qui n’en compte
plus beaucoup. Voire d’une gauche plus radicale : à la
publication des 66 propositions du pacte présenté avec
Hulot, il reçoit le SMS goguenard d’un ami : « T’es devenu
mélenchoniste? » Berger sait que réunir 19 signataires
impose des concessions. Il en faut, le syndicalisme est
menacé, il est impératif de nouer des alliances. Le 22 août,
il publie un livre, Syndiquez-vous! (Cherche-Midi), écrit
avec le journaliste Claude Sérillon. La CFDT a beau être
première aux élections professionnelles, le nombre de ses
adhérents stagne : ils sont 621 274.
En guise de mantra, Berger a emprunté une formule
chère à Jean-Paul Leduc : il faut un petit rétroviseur et un
grand pare-brise. Il a détesté la réforme de l’assurance-
chômage, mais il est prêt à soutenir celle des retraites si elle
lui convient. « La CFDT est là quel que soit le gouvernement,
analyse Michel Sapin. Laurent Berger a dit non à la loi
El Khomri comme il dit non aujourd’hui à la réforme de
l’assurance-chômage. Il aurait pu dire oui à un Fillon
président de la République, si cela lui allait. Avec Macron,
ça ne passe pas, mais Laurent continuera à discuter. Cela
agace parfois à gauche, mais c’est sa force. » Qu’on le recon-
naisse lui donne des ailes... Il arrive à Laurent Berger de
courir au bois de Vincennes. Il lui arrive d’être salué, félicité,
encouragé. Alors, il redouble d’efforts et accélère. C. L.

Laurent Berger, l’incompris

Free download pdf