L\'Express - 14.08.2019

(Nandana) #1

14 AOÛT 2019 L’ E X P R E S S 85


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louable. Très louable, même. Et je vous remercie
d’astiquer ainsi Matt Helm, Sergio Corbucci ou
Antonio Margheriti ; tous ceux qui manquent au
panthéon de la culture, pop ou pas, à force d’avoir
été trop souvent rejetés dans le caniveau.

Mais jusqu’à présent, vous saviez mieux
vous tenir à table. Vos hommages et vos des-
serts se faisaient en douce, et vous aviez encore
la conscience de ce qu’est un conteur : dra-
matiser une histoire, balancer de l’archétype,
frisotter de l’universel... Ainsi de
Pulp Fictio Reservoir Dogs,
n ou Kill Bill, films en forme de mani-
festes cinéphiles, mais qui jouaient l’imaginaire
débridé et l’intrigue tendue au point d’en mordre
les accoudoirs.

Et là, quoi? Le destin d’un acteur bientôt
au rabais (Leo DiCaprio) et de sa doublure de
pantalon (Brad Pitt), ci-devant cascadeur à
Hollywood, à la fin des années 1960, à l’heure
où l’âge d’or des studios disparaît au profit d’une
génération d’auteurs – Spielberg, Coppola,
Scorsese et confrères – dont vous êtes le fils sans
pour autant renier vos grands-pères ; à l’heure,
aussi, de l’assassinat de Sharon Tate par la
bande des fous furieux de Charlie Manson, qui,
pour vous, sonne, sinon l’explosion du mythe,
du moins le glas de l’innocence du cinéma et
de l’Amérique. Très bien, merci, pourquoi pas.
Mais, finalement, non.

C’est beau et repassé avec soin. Et chaque
morceau du film, tel qu’il se découpe en tranches
de gâteau, comme chez Hitchcock, est brillam-
ment cuisiné et finit par raconter l’époque par le
menu, ambiance peace, love,
derrière l’écran. Mais plutôt que de bravoure, ce et drame qui sourd
sont des morceaux de bravache. Tout ça pour
ça, pour reprendre le titre d’un film de Claude
Lelouch qui ne vous arrive pas aux chevilles.
Que vous avez gonflées, cher Quentin. Voire
gonflantes. Après Les Huit Salopards,
poussiéreuse en santiags et autoparodie involon- cagade
taire, vous êtes revenu à de meilleurs sentiments.

Moins d’esbroufe, plus de cœur. Mais il reste
encore des efforts à faire.

Once Upon a Time in... Hollywood
ennuyeux à force de tourner autour du vide et d’y devient
tomber. Attention, pas ennuyeux tout le temps,
parce que vous savez vous rattraper aux branches,
malin comme un singe que vous êtes. Surtout
parce que Leo et Brad sont parfaits, et que vous
avez su manier le show et le froid pour que l’un
soit dans l’exagération permanente quand l’autre
semble jouer en douce. Ces deux visages d’une
même pièce, qu’il est plaisant de faire rouler
entre ses doigts, c’est vous, finalement.

Dans Reservoir Dogs, Pulp Fiction
Bill, il y avait chez vous une modestie et un égo- et Kill
tisme sans cesse en bataille, sauf que ce conflit
permanent avançait dans le bon sens et nour-
rissait votre cinéma. Aujourd’hui, le tout à l’ego
vous guette. Déclarer qu’après 10 films vous vous
retirez en pantoufles, c’est penser avoir laissé
suffisamment votre marque pour imprimer
l’histoire quand Hitchcock, pour y revenir, en a
réalisé 52, certains parfois oubliables, lui aussi
modeste et prétentieux parfois, mais le gars y est
allé jusqu’au bout. Auriez-vous donc des sueurs
froides qui vous rétrécissent l’échine? Vous célé-
brez la série Z, mais y succomber un jour vous
écorcherait le nombril. C’est ballot.

Cela dit, vous devez être content. Votre film a
fait un carton au box-office américain le premier
week-end de sa sortie... Mais il n’a pas continué
sur la même lancée. Chute brutale des entrées.
Comme si l’excitation de l’affiche s’était ramas-
sée à l’appel des salles. Les chiffres ne disent pas
tout, d’accord, mais il y a de la déception dans
l’air. A vouloir raconter Once Upon a Time...
Tarantino, ce qu’est finalement ce film, vous
avez oublié le mariage et les beaucoup d’en-
fants. Vous voilà célibataire de rien. Je vous sais
pourtant capable de vous refaire la cerise – sur le
gâteau. Remettez donc le conteur à zéro et repar-
tez du bon pied, merci.

Bien à vous,

R. DUVIGNEAU/REUTERS

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