14 AOÛT 2019 L’ E X P R E S S 91
EXPO
Pour (re)découvrir
une grande photographe
Le Jeu de paume, à Paris, accueille la première
rétrospective majeure consacrée en France à cette
artiste née en 1951 à Lexington, en Virginie. La pré-
cision géographique est importante tant le sud des
Etats-Unis occupe une place capitale dans la vie et
l’œuvre de Sally Mann. Ce Deep South à la beauté
mystérieuse et gothique, cher à William Faulkner,
est une source d’inspiration constante. A travers
ses portraits, natures mortes, paysages et architec-
tures, réalisés parfois grâce à des procédés datant du
XIXe siècle – comme l’usage de plaques au collodion
humide –, l’Américaine aborde des thèmes essen-
tiels tels que la mémoire, le racisme ou l’identité.Pour l’intime
et l’universel
Chez Sally Mann, la nature est
d’abord un refuge poétique.
Ses premières images, dans
les années 1980, montrent
ses trois enfants et son mari à
l’écart du temps et du monde,
sur les bords de la rivière
Maury. Ces clichés à la beautéallégorique, sensuelle et angoissante ont suscité la
controverse au moment de leur publication, en rai-
son de la représentation de la nudité enfantine. De
la vie à la mort, l’artiste renoue, plus tard, avec une
intimité dérangeante quand elle photographie la
transformation physique de son mari, Larry, souf-
frant d’une maladie dégénérative.Pour son attention aux plaies du passé
Sally Mann ne détourne jamais son regard
des traumatismes de sa région natale. Elle remue
la terre ensanglantée des champs de bataille de la
guerre de Sécession pour en réveiller les fantômes
à travers des images expérimentales. Elle traite de
l’héritage lugubre de l’esclavage et du racisme dans
le Sud. Elle sonde l’histoire de sa propre famille en
rendant hommage à Virginia
« Gee Gee » Carter, la nounou
noire qui fut au service de ses
parents pendant cinquante
ans. Intense. J. B.
SALLY MANN.
MILLE ET UN PASSAGES
JEU DE PAUME, PARIS (VIIIe).
JUSQU’AU 22 SEPTEMBRE.
18/20Guide réalisé
par Eric Libiot,
avec Julien
Bordier,
Antoine Le Fur et
Pascale Tournier.BON ENTENDEUR
EST-ILNOSTALGIQUE?
Q
ui a dit que la jeune généra-
tion voulait faire table rase
du passé? Qu’elle ne se sentait pas
enracinée dans une histoire et
n’était pas imprégnée de culture
française? Le collectif Bon enten-
deur vient démentir les éter-
nelles litanies des néoréaction-
naires. Formé en 2012 autour du
trio Nicolas Boisseleau, Pierre
Della Monica et Arnaud Bonet
(photo), il exhume des étagères
de notre répertoire francophone
des pépites sonores des années
1960 et 1970. Et leur redonne un
sacré coup de peinture ensoleil-
lée. Aller-retour, leur tout pre-
mier album, porte assurément
bien son nom.
Parées de boucles électros et de
subtils arrangements, L’amour joue
au violon de Jeannette et Le tempsest bon, d’Isabelle Pierre, L’amour,
l’amour, l’amour, de Marcel
Mouloudji, pour ne citer que les
principales chansons, renouent
avec leur légèreté amoureuse ou
leur intensité d’antan. Coup de tête,
de Pierre Bachelet, musique tirée
de la bande originale du film de
Jean-Jacques Annaud, dont Bon
entendeur ralentit le tempo, fait
ressurgir de nos mémoires l’acteur
écorché Patrick Dewaere.
Mais Bon entendeur ne se
contente pas de jouer les passeurs
entre deux époques. Les trois
compères interrogent le nouveau
monde à l’aune de l’ancien, à tra-
vers un genre inédit : des inter-
views dansantes. Sur des rythmesélectros chaloupés, Frédéric
Beigbeder raconte sa « généra-
tion, passée de l’inconséquence
à la paranoïa » et Pierre Niney
regrette ses « sensations de séduc-
tion d’adolescent ». Seul Patrick
Poivre d'Arvor essaie d’être opti-
miste : « Je pense qu’il y a un génie
français. Pour l’instant il est un
peu assoupi, bien caché, mais il
existe. » Bon entendeur semble
avoir écouté le message en mon-
trant que si le temps passe, les émo-
tions restent. P. T.
ALLER-RETOUR
COLUMBIA. EN CONCERT
LE 19 SEPTEMBRE, À STRASBOURG,
ET LE 7 NOVEMBRE À L’OLYMPIA,
À PARIS (IIe). 16/203 RAISONS D’ALLER VOIR SALLY MANN
A. COMBES/SDPS. MANNLA BONNE
QUESTION