L\'Express - 14.08.2019

(Nandana) #1

92 L’ E X P R E S S 14 AOÛT 2019


U


niversitaire et essayiste, le chirur-
gien et urologue Guy Vallancien est
l’une des voix les plus influentes en
France lorsqu’il s’agit d’évoquer
l’avenir de la médecine. Il est aussi
un pionnier internationalement
reconnu dans la mise au point et le développement
de la chirurgie cœlioscopique et robotique de cer-
tains cancers. Dans son dernier ouvrage*, il insiste
sur la puissance des sentiments humains
face à l’intelligence artificielle (IA) et à
la robotique.

l’express Quelle est votre définition
du progrès en médecine?
Guy Vallancien Je dirais, très concrète-
ment, que ce sont toutes les techniques et
les traitements qui permettent de préve-
nir les maladies ou d’en limiter les consé-
quences. Les nouvelles technologies
sont, en ce sens, essentielles, car elles
nous permettent de déceler des patho-
logies avant même qu’on puisse obser-
ver un quelconque symptôme – donc avant que le
patient lui-même ne souffre. Des maladies comme
le diabète ou le cancer sont de mieux en mieux détec-
tées par la biologie ou l’imagerie.

Quelles ont été les grandes phases historiques
du progrès médical?
G. V. Il s’est effectué par bonds. Il y a d’abord eu
Hippocrate, qui a démontré que les maladies avaient
des causes naturelles et n’étaient pas une punition
divine. La deuxième révolution date de la découverte
de l’anatomie à la Renaissance, grâce à Ambroise

« Nous aurons


de plus en plus besoin de


médecins humanistes »


Dans le domaine de la médecine, l’homme
et la machine sont appelés à agir en symbiose au bénéfice
de tous, estime le chirurgien Guy Vallancien.
Propos recueillis par Emmanuel Aumonier

Paré. Au XIXe siècle, la physiologie nous a appris,
avec Claude Bernard, comment fonctionnaient les
organes. Au siècle dernier sont apparus tous les déve-
loppements de l’imagerie, de la radiologie, de la réa-
nimation. Aujourd’hui, nous vivons une autre révolu-
tion, celle du numérique, avec, d’un côté, un nombre
inimaginable de données et, de l’autre, des outils que
l’on peut porter sur soi et connecter à n’importe quel
serveur. Les masses de données mêlées à des algo-
rithmes de plus en plus puissants per-
mettent d’établir des diagnostics et de
proposer des traitements avant même
l’intervention du médecin. Celui-ci va
partager son rôle avec l’intelligence
artificielle.

L’IA va-t-elle finir par supplanter
les médecins en la matière?
G. V. Elle est déjà capable d’établir des
diagnostics à peu près équivalents à
ceux du meilleur spécialiste dans 95 %
des cas. Mais, ce qu’on ne souligne pas
assez, c’est que la combinaison des deux
fait grimper le taux d’exactitude à 99 %. Le progrès,
c’est cette symbiose entre l’homme et la machine,
sans que le premier soit « absorbé » par la seconde.
Il va donc falloir apprendre aux étudiants à tra-
vailler avec les logiciels et à allonger le temps des
consultations pour considérer la personne dans sa
globalité. Les carabins doivent être formés différem-
ment. Aujourd’hui, ils passent tous un bac scienti-
fique, alors que nous aurons de plus en plus besoin
d’humanistes. L’homme, c’est de la densité d’être
et de l’amour, ce n’est pas de la puissance de calcul.
Notre valeur ajoutée, c’est le partage.

Cadre Pour Guy Vallancien,
les Etats doivent réguler
l’explosion de la génomique.

GARO/PHANIE/AFP

Le progrès a-t-il encore un avenir? 4/5

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