Temps - 2019-08-10-11

(Grace) #1
«CITY ON A HILL»,

BOSTON NOIR

PAR NICOLAS DUFOUR
t @NicoDufour

Alliance entre un procureur qui veut casser
la corruption et un douteux flic du FBI: la
nouvelle série couvée par Tom Fontana («Oz»),
avec Kevin Bacon, plonge dans les bas-fonds
de la cité du Massachusetts en 1992

◗ C’est presque un genre en soi, le polar de Boston.
La cité a priori austère, creuset des temps coloniaux
comme de l’indépendance avec une certaine Tea
Party, bastion des exilés irlandais, un peu encanail-
lée au nord avec, à Cambridge, les campus du MIT
et de l’Université Harvard, génère un nombre élevé
de fictions sombres. Pour rappeler son passé par-
fois graveleux, à l’automne passé est paru Les Brû-
lures de la ville , qui fait suite aux Morsures du froid
(chez 10/18): que ce soit en plein hiver ou sous une
accablante canicule, les écrivains Thomas O’Malley
et Douglas Graham Purdy retracent les années 1950
de la ville, au cœur de rivalités sur fond de liens
avec l’IRA.
Le romancier Dennis Lehane a fait beaucoup pour
sa ville, même en la noircissant, au fil de nombreux
polars. Il a aussi piloté une anthologie, Boston noir.
Et inspiré  Mystic River , de Clint Eastwood, avec Sean
Penn, Tim Robbins et Kevin Bacon.

LENTE MACÉRATION
Seize ans plus tard, revoilà Kevin Bacon, visage
allongé et cheveux grisonnants, dans City on a Hill ,
série créée par Chuck MacLean, un nouveau venu


  • et un Bostonien. L’action se situe en 1992. L’acteur
    incarne Jackie Rohr, un agent du FBI aussi central
    dans la ville que douteux dans la vie, y compris celle
    de son couple. Il commence par se prendre de bec
    avec DeCourcy Ward (Aldis Hodge), nouvel adjoint
    du procureur, Noir, dont les Blancs disent qu’il est
    là par le seul avantage de la discrimination positive,
    et auquel ils prêtent des rêves de mairie. L’homme
    vient de Brooklyn, il veut s’attaquer à la gangrène
    locale, ce mélange de corruption généralisée, de
    racisme ambiant, de lente macération de la ville qui
    conduit au pourrissement complet des institutions
    et du corps social.
    Il y a choc entre les deux hommes car, en raison
    d’une première affaire traitée à Boston, DeCourcy
    passe pour un adversaire de la police, même la fédé-
    rale. Le jeune juriste n’apprécie pas la grande gueule
    vantarde et prompte à la manigance du flic du FBI.
    Mais il se trouve qu’une raison objective va les rap-
    procher. Un nouveau fléau sur la ville et ses ban-
    lieues, des attaques de fourgons blindés, d’emblée
    violentes, avec plusieurs morts dont les corps ont
    été balancés dans l’une des rivières qui enserrent
    Boston – la Mystic, peut-être.
    L’alliance est explosive. Le policier n’existe que par
    le statu quo, ses vassaux et ses réseaux. Le membre
    du bureau du procureur veut tout casser, dans cette
    routinière et délétère organisation de la ville.


City on a Hill suit à la fois l’évolution des deux per-
sonnages centraux que leurs proches. La femme de
DeCourcy tente d’améliorer son quartier en com-
posant, tant bien que mal, avec le puissant clergé
local. Celle de Jackie songe à une séparation. Et le
crayon de l’auteur va jusqu’à dessiner, aussi, le clan
des assaillants.

DES PARRAINS PRESTIGIEUX
Cette série de dix épisodes, débités chaque semaine
par Canal+, a bénéficié de prestigieux patronages.
Elle est produite par Tom Fontana, créateur de l’inou-
bliable fiction carcérale Oz. Les acteurs Ben Affleck
et Matt Damon ont cautionné le premier épisode.
L’entrée dans City on a Hill n’est pas absolument
évidente. Chuck MacLean plonge son spectateur
dans l’eau froide de Boston, sans introduction
ni prologue. Il faut entrer dans ces milieux codés
ou cachés.
Le spectateur y gagne néanmoins une immersion
d’une précision rare, une exploration urbaine amé-
ricaine d’une haute qualité. En ce début des années
1990, Boston passait pour l’une des cités les plus
ravagées du pays en matière de violence, en parti-
culier dans la jeunesse. Au point qu’elle vivra, en
1996, une expérimentation grandeur nature en
matière de lutte contre le crime. City on a Hill a reçu
il y a peu le feu vert de la chaîne Showtime pour une
deuxième saison. Il y a encore de quoi faire, dans les
bas-fonds de Boston. ■

«City on a Hill». Dix épisodes, diffusion hebdomadaire.
Canal+ et MyCanal.

LE TEMPS DES SÉRIES TV

◗ De prime abord, c’est cocasse. Netflix, l’entreprise qui
s’adresse à toutes les patates de canapé du monde, s’in-
téresse à l’activité physique de ses utilisateurs. On a appris
récemment que le numéro un de la vidéo en ligne a
demandé à certains de ses clients sur Android l’accès à
leurs données de mouvement et autres informations
corporelles.
C’est une question d’optimisation de la réception des
séries et films sur appareils mobiles. La compagnie tente
d’améliorer le flux de ses images, de rendre la gestion du
cache la plus efficace possible, au bénéfice de ses fidèles
qui consomment de la fiction en déplacement – et même
si le site propose aussi le téléchargement.
J’ai déjà dit dans cette petite chronique tout le mal que
je pense du fait de regarder les séries sur téléphone. Si
certains apprécient, tant pis pour eux. On voit néanmoins
que, alors que Netflix s’apprête à vivre des temps difficiles
avec la levée parfois puissante de la concurrence sur l’échi-
quier du streaming, le vendeur d’histoires en vidéo cherche
à renforcer sa présence dans l’intimité de ses souscrip-
teurs. Certains assurent qu’ils regardent des séries en
marchant dans la rue, ça rationalise le temps de déplace-
ment jusqu’au travail et depuis le bureau. Nombreux en
regardent dans les transports publics ou au fitness.
Chacun ses choix. Ces nouvelles habitudes illustrent à
quel point cette apparemment irrésistible soif d’histoires
fait rage jusqu’aux moments de la journée dont elle était
exclue jusqu’ici.
S’agissant de la fiction audiovisuelle, c’est comme une
troisième évolution, chaque nouvelle pratique s’ajoutant
à la précédente. D’abord, le cinéma, la communion col-
lective dans une salle publique. Puis la TV et les supports
physiques, une consommation dans l’espace privé, le
salon le plus souvent, face à l’écran unique. Enfin, le
visionnement presque tout le temps, et surtout partout.
L’appétit pour les séries pousse à s’irriter de ne pas pou-
voir les absorber tout de suite, même sur ce trottoir, là,
maintenant. C’est un triomphe du genre, mais qui a quand
même un goût saumâtre. ■ N. DU.

Les séries tout le temps,

partout

(LEAWO.ORG)

La série

offre une

exploration

urbaine

américaine

d’une haute

qualité

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Jackie (Kevin Bacon) et DeCourcy (Aldis Hodge) veulent ébranler le système judiciaire gangréné de la ville.
(CLAIRE FOLGER/SHOWTIME)

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