Temps - 2019-08-10-11

(Grace) #1
SAMEDI 10 AOÛT 2019 LE TEMPS

Récit du samedi 3

POUR LE TEMPS)


RétroBus, largement soutenue par la Loterie Romande ces dernières années,

L’homme qui porte RétroBus

marque de Moudon, risquent de
polluer gravement la nature et
occupent sans vraies raisons des
zones économiques importantes».
Entre-temps, RétroBus a acquis
un quatrième terrain à la sortie
nord de la ville et dépose une
demande de permis de construire
pour une nouvelle halle. Pour l’as-
sociation, ce nouvel espace va régler
tous les problèmes: «Il s’agit de la
dernière étape de notre concept
muséographique», soutient Hen-
ri-David Philippe – ce qui rappelle
le document envoyé à la commune
en 2009. Pour la ville de Moudon,
c’est la halle de trop.
Malgré une opposition collective
des élus, la municipalité délivre le
permis en question mais l’assortit de
conditions, notamment celle qu’au-
cun bus ne soit stationné à l’exté-
rieur. «Nous avons dû aller jusqu’à la
préfecture pour recevoir ce permis
car les délais légaux étaient échus,
regrette Henri-David Philippe. A
cause de ce retard, nous avons dû
reporter le début des travaux et nous
prévoyons désormais que le bâtiment
soit terminé début 2020.»
La municipalité semble penser
autrement. Dans sa réponse au pos-
tulat, elle écrit: «Si le permis [...] est
délivré, rien ne garantit que la
construction sera réalisée rapide-
ment, d’autant [qu’un précédent
permis délivré en 2016] portant sur
un projet similaire n’a jamais été
utilisé, ce qui a amené la municipa-
lité à constater sa péremption.»
Car, en fin de compte, sans nou-
veau financement de la Loterie

Romande, est-il simplement pos-
sible d’imaginer de nouveaux bâti-
ments? «Bien sûr, ça ne joue pas de
rôle», avance Henri-David Philippe.
Il ajoute néanmoins quelques
minutes plus tard ne pas exclure de
solliciter à nouveau l’institution,
jugée comme «un soutien décisif
jusqu’ici».

Il ne donne aucun détail sur le
financement de son association
mais précise qu’il n’a jamais reçu de
subventions publiques, ce que
confirment les différentes autorités
(villes, canton) contactées par Le
Temps. Selon nos informations,
outre les cotisations des 135
membres de l’association (un chiffre
inchangé depuis 2009), des entre-
prises comme le constructeur soleu-
rois de bus Hess lui versent quelques
milliers de francs par année.

Option radicale
En mars dernier, la commune
enclenche la deuxième vitesse. Elle
envoie un courrier recommandé à

l’association et lui donne 60 jours
pour débarrasser les centaines de
bus situés à l’extérieur des hangars.
La lettre n’est jamais retirée et la
commune réexpédie sa décision en
courrier A.
«Ils ont accumulé des bus sans
discernement, résume l’actuelle
syndique de Moudon, Carole Pico.
Ils ont exagéré. Les gens de Rétro-
Bus aimeraient aujourd’hui qu’on
les rencontre mais, maintenant, on
ne peut plus trouver d’arrange-
ment ni revenir en arrière. D’ici à
fin août, nous prendrons notre
décision et elle sera définitive.
L’option officielle est celle d’une
exécution par substitution, soit les
déplacer sur un autre site aux frais
de l’association.» Une alternative
pourrait être envisagée: celle de la
destruction pure et simple des bus
en question.
Inconcevable, pour Henri-David
Philippe. «Ce serait une erreur gra-
vissime, une ignorance par rapport
à ce que représente ce patrimoine
industriel. Nous comptons sur la pos-
sibilité de renouer le dialogue avec
Moudon. Dans l’autre cas de figure,
nous ferons opposition, ce qui nous
donnera peut-être l’occasion de nous
faire entendre par la commune.»
«Les trolleybus vont-ils bientôt
envahir Moudon? C’est en tout cas le
souhait de l’association RétroBus»,
commençait, en 2006, un article de
24  heures. Il y a fort à parier que
lorsque Google Maps mettra ses vues
aériennes de Moudon à jour, ces bus
auront totalement disparu. Dans un
nouveau hangar ou à la ferraille. ■

Derrière RétroBus se trouve Henri-Da-
vid Philippe. Ce juriste passionné de
trolleybus est né en 1970 à Corcelles
(NE). Enfant, il parcourait déjà son
appartement à quatre pattes en clignant
des yeux pour imiter les véhicule de
transports publics – une anecdote qu’il
raconte dans L’Impartial du 17 mars


  1. Avec son meilleur ami Laurent
    Maeder, à l’adolescence, ils sillonnent
    la Suisse et même l’Europe pour visiter
    des «villes à trolleybus».
    Contacté, Laurent Maeder souligne
    être resté lié à Henri-David Philippe
    jusqu’au début des années 2000. «J’ai
    fait partie de RétroBus au début mais
    j’ai pris mes distances avec l’association
    car j’ai réalisé qu’ils récoltaient tout et
    n’importe quoi», dit-il aujourd’hui.
    «Récemment, j’ai vu qu’il y avait
    quelques soucis dans la presse et j’ai
    repris contact mais Henri-David Phi-
    lippe m’a assuré qu’il ne s’agissait que
    de fake news ...» Laurent Maeder,
    aujourd’hui caissier de l’Association
    neuchâteloise des amis du tramways,
    dit «comprendre» l’énervement de Mou-
    don car «il est vrai qu’une telle accumu-
    lation de vieux bus peut poser pro-
    blème». Il ne souhaite cependant pas
    prendre position par méconnaissance
    du dossier dans son ensemble.


«En conflit avec personne»
Henri-David Philippe est venu mer-
credi presque trois heures au Temps
répondre à nos questions en compagnie
de deux membres de son comité. En
début de rencontre, il a menacé de quit-
ter la rédaction si l’enregistreur restait
enclenché. Henri-David Philippe habite
à Lausanne et se dit très attaché à Mou-
don. Il a travaillé à différentes reprises
dans des entreprises de transport public
en Suisse romande. Lorsqu’on l’inter-

roge sur le différend actuel, il répond
«n’être en conflit avec personne». Mais
il pointe un élu du doigt, Olivier Barraud
(aujourd’hui vice-syndic de Moudon),
qui serait à l’origine de la mise à mort
du projet de ligne de bus et, aujourd’hui,
des complications pour construire la
quatrième halle. Une vendetta person-
nelle? Contacté, Olivier Barraud réfute
ces accusations et précise «que les déci-
sions concernant cette affaire sont
prises par l’ensemble de la municipalité,
appuyée à plusieurs reprise par le
Conseil communal».
Concernant la présence des bus à l’ex-
térieur des halles, Henri-David Philippe
affirme que les membres de l’association
«sont les premiers à vouloir que ces bus
soient à l’intérieur». Sur les risques envi-
ronnementaux, il se veut rassurant. «Il
n’y en a aucun. Toutes les batteries sont
débranchées et les véhicules sont par-
faitement propres. Il ne sont d’ailleurs
pas empilés dans une décharge, mais
parqués au millimètre près.» Le dégât
d’image? «Si vous passez près des
anciennes fonderies de Moudon, vous
vous rendez bien compte qu’il y a des
choses qui dérangent bien plus que des
bus derrière une haie de thuyas.»
Pour mener à bien son projet, il dit
avoir répertorié, en Suisse, tous les véhi-
cules qu’il entend garder – au total entre
200 et 220 – «qui représentent l’histoire
des transports publics suisses entre
1930 et 2000». Avec la construction de
la quatrième halle, il assure que tout
rentrera dans l’ordre et que son projet
initial de «mise en valeur statique et
dynamique» des bus sera mené à bien.
Aujourd’hui, déjà plusieurs centaines
de véhicules stationnent dans et autour
des hangars. Combien exactement?
Henri-David Philippe a refusé d’articu-
ler un chiffre. ■

Impossible de savoir
avec exactitude
combien de bus
vivent leur paisible
retraite à Moudon,
mais il y en a des
centaines.
(OLIVIER VOGELSANG
POUR LE TEMPS)

Certains des voisins

de ces hangars

n’apprécient guère

de voir ces

antiquités rouiller

et polluer devant

chez eux
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