Temps - 2019-08-10-11

(Grace) #1
LE TEMPS SAMEDI 10 AOÛT 2019

4 Actualité


ANTONINO GALOFARO, ROME
t @ToniGalofaro


La Ligue de Matteo Salvini a
déposé vendredi au Sénat une
motion de défiance contre le gou-
vernement de Giuseppe Conte.
Le chef de la formation d’extrême
droite, déjà au pouvoir avec le
Mouvement 5 étoiles (M5S), vise
des élections anticipées au plus
vite. Prétextant de «fortes diffé-
rences de points de vue» avec son
partenaire, l’actuel ministre ita-
lien de l’Intérieur aspire à avoir
seul les «pleins pouvoirs» en
capitalisant des intentions de
vote qui frôlent cet été les 40%.
Ses paroles rappellent à certains
un discours tenu en 1922 par
Benito Mussolini, quelques jours
après être devenu président du
Conseil des ministres.


Une motion du Mouvement 5
étoiles contre la ligne ferroviaire
Lyon-Turin, bien que rejetée par
les sénateurs cette semaine, a été
pour Matteo Salvini le refus de
trop. «Les Italiens ont besoin de
certitudes et d’un gouvernement
en action, non de «Monsieur
Non», a dénoncé jeudi une note
de la Ligue, ouvrant formellement
la crise politique après une ren-
contre entre son secrétaire fédé-
ral et le président du Conseil.
Outre ce chantier bloqué, le
ministre de l’Intérieur supporte
également très mal l’opposition
du M5S à une plus grande auto-
nomie, réclamée par référendum,
de la Lombardie et de la Vénétie,
dirigées par la Ligue.
Luigi Di Maio, le chef du Mou-
vement 5 étoiles, compte bien
entraver la route de son ancien
allié. Il se dit «prêt» pour de nou-


velles élections mais seulement
après l’approbation d’une
réforme constitutionnelle rédui-
sant d’un tiers le nombre de par-
lementaires. Le texte, approuvé
en deuxième lecture au Sénat
mi-juillet, est attendu sur les
bancs des députés le 9 septembre.
Mais le chef étoilé appelle à l’ap-
prouver «tout de suite». «Les pol-
trone [sièges parlementaires] ne
nous intéressent pas», répond
Luigi Di Maio à Matteo Salvini, qui
accuse les élus de préférer les

vacances estivales à un affronte-
ment dans les urnes.

Des disputes sur tout
La Ligue et le Mouvement 5 étoiles
se disputent sur tout depuis qu’ils
ont accédé au pouvoir en juin 2018.
Un «contrat pour le gouvernement
du changement», signé un mois
auparavant et exécuté par l’avocat
Giuseppe Conte, devait pourtant
régir leur improbable alliance. Les
deux partis s’étaient mis d’accord
en amont sur de nombreuses ques-

tions, des politiques économiques,
fiscales, migratoires ou environne-
mentales à la politique étrangère.
Ils avaient aussi promis ensemble
des réformes concernant les
retraites et la «flat tax».
Le M5S a réussi à introduire un
revenu minimum profitant
aujourd’hui à quelque 900 000
familles. Les conditions d’obten-
tion de ce subside ont été durcies
par la Ligue, peu favorable à ce
genre d’aide sociale. Cela n’avait
pas empêché Luigi Di Maio d’exul-

ter en septembre, heureux d’avoir
«aboli la pauvreté». Un accord sur
le budget 2019 permettant de déga-
ger des fonds pour la réforme était
tout juste trouvé. Mais la loi de
finances avait ensuite été rejetée
sous pression de la Commission
européenne afin de respecter le
pacte de stabilité.
Les tensions entre Rome et
Bruxelles ont jalonné cette année
de gouvernement eurosceptique.
Mais les relations entre l’Italie et
ses partenaires européens se sont

surtout détériorées à cause de la
politique migratoire de Matteo
Salvini. Ce dernier avait promis
de limiter l’arrivée de clandestins
sur les côtes de la Péninsule. Il a
ainsi fermé les ports, provoquant
notamment l’affaire «Diciotti», du
nom du navire militaire duquel il
a empêché des migrants de des-
cendre, forçant leur redistribu-
tion à travers le continent. La
justice l’a accusé de séquestration
de personnes. Mais en février, les
voix du M5S ont permis au
ministre de maintenir son immu-
nité parlementaire.

Un appui grandissant
Depuis lors, le rapport de force
entre les deux pôles de l’exécutif
s’est inversé en faveur de la Ligue
jusqu’à son résultat historique de
34% lors du scrutin européen,
contre 17% pour les 5 étoiles, qui
perdaient ainsi près de la moitié des
voix réunies un an plus tôt lors des
élections législatives. Fort d’un
appui populaire grandissant les
semaines suivantes, Matteo Salvini
a maintenu sa ligne radicale sans
se laisser impressionner par un
scandale de détournement de
fonds électoraux et des accusations
de supposés financements russes.
Si l’homme fort de la scène poli-
tique italienne bénéficie d’un
large soutien, il ne se trouve pas
pour autant devant un boulevard
électoral. Avant d’arriver aux
urnes, la route est encore tor-
tueuse. Le premier ministre doit
d’abord démissionner ou affron-
ter le vote de confiance du parle-
ment convoqué par la Ligue à une
date encore non définie. Le pré-
sident de la République, Sergio
Mattarella, arbitre de la crise, doit
ensuite consulter les partis à la
recherche d’une majorité alter-
native, pour permettre à la légis-
lature d’arriver à son terme prévu,
en 2023. C’est seulement en cas
d’échec que le chef de l’Etat
pourra décider de dissoudre les
Chambres et de convoquer de
nouvelles élections. Matteo Sal-
vini est bien décidé à gêner son
travail pour le contraindre à choi-
sir cette dernière option. ■

Matteo Salvini en conférence de presse à la Chambre des députés. Il rêve de convertir au parlement sa domination dans les sondages. (YARA NARDI/REUTERS)

Maeo Salvini aspire aux «pleins pouvoirs»


ITALIE Las de partager le pouvoir avec le Mouvement 5 étoiles, le chef de la Ligue s’est porté candidat au poste de premier ministre.


L’Italie est de nouveau plongée dans l’incertitude politique, un an après la formation d’un exécutif inédit


DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN
t @delphnerbollier


Clemens habite dans la banlieue sud
de Berlin, à Königs Wusterhausen.
Chaque week-end, lorsque le temps le
permet, cet homme de 52 ans se
baigne entièrement nu dans le lac
situé à quelques centaines de mètres
de chez lui. Il se mélange aux bai-
gneurs en maillot, comme c’est le cas
sur de nombreuses plages de la capi-
tale et plus largement de l’ancienne
Allemagne de l’Est.
«C’est un sentiment de liberté»,
confesse Clemens. «Nous avons tou-
jours fait du nudisme avec mes parents,
c’est devenu naturel», explique ce Ber-
linois né, grandi et socialisé sous le
régime communiste de la RDA. «A
l’époque, c’était normal de se baigner
nu, personne ne vous jugeait», se sou-
vient-il. Aujourd’hui, ses deux fils de 11
et 15 ans refusent de suivre son exemple.
«Trop gênant», confessent-ils.
La tradition du nudisme et du natu-
risme, connue en Allemagne sous les
trois lettres FKK ( Freikörperkultur , ou


«culture du corps libre»), serait-elle
en train de disparaître? C’est en tout
cas la crainte qui agite les associations
officielles et leurs 30 000 membres au
niveau national. «Nos membres sont
vieux et le deviennent de plus en plus»,
confirmait récemment dans la presse
Wilfried Blaschke, président de la
Fédération du naturisme (DFK). Kurt
Starke, chercheur en sexualité installé
à Leipzig, va plus loin. «Le naturisme
n’est absolument plus tendance»,
estime-t-il dans un entretien à l’agence
de presse DPA. Selon lui, cette pratique
serait devenue «démodée».
Le constat se confirme chaque année
davantage et laisse envisager la fin de
l’un des aspects les plus symboliques
de la socialisation en RDA, alors que
l’Allemagne célèbre cette année même
les 30 ans de la chute du Mur. Si la pra-
tique du nudisme et du naturisme s’est
officialisée en Allemagne au début du
XXe siècle, avec la création en 1901
et 1903 des premières associations, elle
s’est développée après la Première
Guerre mondiale, avant d’être inter-
dite sous le régime nazi.
Mais c’est après 1945 qu’elle a vraiment
pris son essor, surtout en Allemagne de
l’Est, sous le régime communiste, réputé
moins prude que son voisin de l’Ouest.
Effaçant les différences entre les classes
sociales, le naturisme représente la

«modernité», l’émancipation des
femmes et offre un espace de liberté.
Selon certaines estimations, un Alle-
mand de l’Est sur deux l’aurait à l’époque
pratiqué, le plus souvent sans passer par
une association comme c’était souvent
le cas en RFA. L’actuelle chancelière
Angela Merkel, qui a grandi en RDA, n’a
pas échappé à la règle, comme le confir-
ment des clichés d’elle dans le plus
simple appareil, publiés il y a quelques
années dans la presse.

Règle inversée
«A la réunification allemande, en
1990, nous comptions 2000 membres»,
commente Christian Utecht, président
de l’une des trois associations de natu-
ristes de Berlin. «Nous n’atteindrons
plus jamais ce niveau. C’est impossible.
Notre objectif est en revanche de main-
tenir nos effectifs actuels de
800 membres», reconnaît-il. Cet
adepte du naturisme, «qui déteste les
maillots de bain», regrette aussi que
les espaces réservés à cette pratique
se réduisent comme peau de chagrin.
«Même au bord de la Baltique, trouver
une plage est devenu aussi compliqué
que chercher une aiguille dans une
botte de foin», constate-t-il.
Les raisons de ce désamour? Elles
semblent multiples, à commencer par
la réunification entre les deux Alle-

magnes, qui a ouvert les plages de sable
blanc de la Baltique, bastion du natu-
risme, aux Allemands de l’Ouest et
augmenté la pression sociale. La régle-
mentation de la RFA stipulant que «là
où il n’est pas autorisé, le naturisme
est interdit» a remplacé la règle appli-
quée en RDA selon laquelle «là où il n’y
a pas d’interdiction, le naturisme est
autorisé». A Berlin, Christian Utecht
voit aussi le poids du «multicultura-
lisme» dans le déclin de cette pratique,
avec de plus en plus d’habitants venus
d’autres pays et peu habitués à se dévê-
tir entièrement.
Le chercheur de Leipzig Kurt Starke
évoque par ailleurs «le tabou de la
nudité». «Le corps est un instrument
de valeur que l’on ne montre pas aussi
simplement ou du moins pas gratui-
tement», juge-t-il. Chez les jeunes,
l’influence des médias sociaux semble
aussi jouer un rôle non négligeable.
«Les adolescents ne souhaitent pas
forcément être vus et reconnus de tous
sur Facebook en tenue d’Eve», avance
Christian Utecht. «La recherche du
corps idéal, avec toutes ces images
retouchées par Photoshop, contribue
aussi certainement à détourner les
jeunes», ajoute-t-il. De fait, les statis-
tiques des associations le montrent:
les 18-30 ans sont les moins représen-
tés sur les plages naturistes. ■

Le nudisme agonise dans son fief est-allemand


MŒURS Le naturisme perd en popu-
larité dans l’un de ses bastions histo-
riques sous la triple influence de la
réunification, de l’immigration et des
réseaux sociaux


François fustige

le souverainisme
Le pape François a fustigé le
souverainisme, une attitude de
«fermeture» qui «mène à la guerre», et a
jugé que le populisme avait un discours
«très proche», dans un entretien publié
vendredi dans La Stampa. «Le
souverainisme est une attitude
d’isolement. Je suis préoccupé parce qu’on
entend des discours qui ressemblent à
ceux d’Hitler en 1934. «Nous d’abord.
Nous... nous»: ce sont des pensées qui font
peur», a souligné le souverain pontife dans
le quotidien turinois. AFP

Agriculteurs et éleveurs

s’entretuent au Tchad

Au moins 37 personnes ont été tuées en
trois jours de combats entre agriculteurs
et éleveurs en début de semaine dans
l’est du Tchad, a annoncé vendredi le
président Idriss Déby Itno à la presse.
L’est tchadien, zone de transhumance et
région stratégique à la frontière avec le
Soudan, est régulièrement en proie à des
conflits entre éleveurs arabes et
agriculteurs autochtones ouaddaïens qui
se disputent terres et pâturages. AFP

EN BREF

En un an,


le rapport de force


entre les deux


pôles de l’exécutif


s’est inversé

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