Temps - 2019-08-10-11

(Grace) #1

RAM ETWAREEA


t @rametwareea


La controverse autour du par-
rainage du Pavillon suisse à l’Expo
2020 à Dubaï par Philip Morris est
à peine terminée qu’une autre
collaboration entre le Départe-
ment fédéral des affaires étran-
gères (DFAE) et la multinationale
du tabac fait jaser. En effet, l’am-
bassade de Suisse en Ukraine, qui
est aussi accréditée auprès de la
Moldavie, est intervenue le mois
dernier auprès du gouvernement
local pour s’assurer que le cigaret-
tier ait voix au chapitre dans un
projet de loi sur le tabac.
Tout a commencé par l’élection
en juin d’un nouveau gouverne-
ment moldave. Elu sur un pro-
gramme anticorruption, celui-ci
entend mener rapidement des
réformes dans tous les domaines
de la vie publique. En matière de
santé publique, l’Etat souhaite
affronter le problème du taba-
gisme qui touche 50% de la popu-
lation adulte. A titre de comparai-
son, la proportion est de 27% en
Suisse. Toutes les grandes entre-
prises du tabac y ont pignon sur
rue. L’une des propositions est
d’augmenter la taxe sur les ciga-
rettes ainsi que sur les produits
de tabac chauffés tels que l’Iqos
de Philip Morris.


«Important contribuable,
important employeur»

Dès lors, les cigarettiers entrent
en résistance. «Nous avons fait
appel à l’Ambassade de Suisse
pour demander que Philip Morris
ait la possibilité de contribuer,
comme toute autre partie pre-
nante, à une consultation
publique sur les propositions
législatives qui affecteraient les


fumeurs et nos activités, répond
la multinationale sise à Lausanne,
dans une note écrite au Temps.
Notre filiale locale est le principal
importateur de produits de tabac
chauffés en Moldavie.» Elle pré-
cise aussi qu’elle y est «un impor-
tant contribuable», «un impor-
tant employeur» et qu’il est «tout

à fait approprié que nous cher-
chions à faire entendre notre opi-
nion dans cette discussion».
Le DFAE est embarrassé par
cette nouvelle histoire qui révèle
un peu plus les liens entre Berne
et Philip Morris. Dans une
réponse au Temps , il relativise:
«L’ambassade suisse en Ukraine

a demandé s’il était possible de
s’assurer que la société Philip
Morris soit incluse dans le proces-
sus de consultation sur un projet
de loi qui pourrait affecter son
travail.» Le DFAE insiste sur le fait
que la lettre ne concernait que le
processus de consultation et que
l’ambassade ne s’est pas pronon-

cée sur le contenu du projet de loi,
qui relève du parlement moldave.

Le DFAE se défend
Le DFAE défend aussi sa
démarche. «L’une des tâches des
ambassades suisses est de repré-
senter les intérêts de l’économie
suisse dans leur pays d’accueil,

poursuit-il. C’est pourquoi il est
assez fréquent que les ambas-
sades soient contactées directe-
ment par des entreprises. Si une
entreprise suisse souhaite être
soutenue dans la protection de ses
intérêts, il appartient à l’ambas-
sade concernée de décider si et
sous quelle forme un tel soutien
est opportun.»

De toute évidence, cette nou-
velle affaire agace Philip Morris.
«Notre société locale en Moldavie
est une filiale d’une société
suisse, souligne l’entreprise.
Notre centre opérationnel mon-
dial, notre centre de recherche
et développement et un grand
centre de production sont basés
en Suisse. C’est pourquoi, il nous
paraît entièrement légitime de
nous adresser à une représenta-
tion suisse.»
En fin de compte, la lettre
envoyée à la présidente du par-
lement moldave, Zinaida Gre-
ceanii, est restée sans réponse.
Philip Morris a défendu sa posi-
tion lors des auditions publiques
au parlement moldave le 17 juil-
let. Sans succès. Le projet de loi
a été approuvé, sans amende-
ment, fin juillet. ■

En Moldavie, le tabagisme touche la moitié de la population adulte. (CARSTEN KOALL/GETTY IMAGES)

–0,2%

L’ÉCONOMIE BRITANNIQUE A SOUFFERT AU
DEUXIÈME TRIMESTRE AVANT LE BREXIT, AVEC
UNE BAISSE DE 0,2% DU PRODUIT INTÉRIEUR
BRUT À CAUSE DE PERTURBATIONS DANS LA
GESTION DES STOCKS DES ENTREPRISES. Il s’agit du
premier repli depuis le quatrième trimestre 2012.

Taux de chômage
stable en juillet
Le taux de chômage en
Suisse est demeuré
inchangé à 2,1% au mois
de juillet, restant à un
niveau historiquement
bas depuis novembre
2001, a indiqué vendredi
le Seco.

2,


2,


2,


3,


3,


Taux de chômage en Suisse

Source: Bloomberg

2,1%

31.12.16 31.07.

AU PLUS BAS


Quand Berne roule pour Philip Morris


TABAC L’ambassade de Suisse en Ukraine, qui est également accréditée pour la Moldavie, est intervenue auprès de Chisinau; elle a


voulu s’assurer que la multinationale du tabac basée à Lausanne puisse intervenir dans le débat sur un projet de loi sur la cigarette


SMI
9749,
–0,02%

l

Dollar/franc 0,9718 l

Euro/franc 1,0898 l

Euro Stoxx 50
3333,
–1,23%

l

Euro/dollar 1,1214 k

Livre st./franc 1,1738 l

FTSE 100
7253,
-0,44%

l

Baril Brent/dollar 58,59 k

Once d’or/dollar (^1502) k
Economie&Finance
La Commission de la Sécurité sociale
et de la santé publique du Conseil des
Etats se penchera lundi sur un projet de
loi sur les produits du tabac (LPTab).
Théoriquement, il vise à protéger le
citoyen contre les effets nocifs
liés à la consommation des pro-
duits du tabac et à l’utilisation
des cigarettes électroniques. Il
s’agit d’une deuxième version,
la première qui date de 2015 n’avait pas
trouvé une majorité au Conseil national.
Luciano Ruggia, chercheur à l’Institut
de médecine sociale et préventive de
l’Université de Berne et futur directeur
de l’Association suisse pour la prévention
du tabagisme, exige des restrictions plus
strictes à la publicité et au sponsoring.
En Suisse, 27% des plus de 15 ans fument.
Mais pour les 15-24 ans, c'est même 31,7%.
Quelle est la portée des discussions pré-
vues lundi prochain?
La commission
devrait finir la lecture du projet de loi
sur les produits du tabac avant son pas-
sage en plénière cet automne. Il faut
espérer que la version adoptée renfor-
cera la protection de la jeunesse contre
les produits du tabac en introduisant
des restrictions strictes à la publicité
et au sponsoring de la part de l’indus-
trie du tabac et du vapotage.
Le projet de loi qui sera débattu cet
automne a déjà été critiqué. Pourquoi?

Les principales critiques émanent des
milieux académiques et médicaux. Le
projet envoyé au parlement en
novembre 2018 ne vise même
pas à la réduction du nombre
de fumeurs en Suisse. Il affai-
blit les restrictions à la publi-
cité et laisse libre cours au
sponsoring et au parrainage de la part
de l’industrie. Si la nicotine crée une
forte dépendance, le texte de loi laisse
une fausse impression que les fumeurs
sont libres et responsables de leur
choix. Le Tribunal fédéral vient pour-
tant de rappeler que l’addiction est bien
une maladie au sens de la loi. Cela vaut
pour le tabagisme.
L’industrie du tabac, plus précisément
Philip Morris, a été au centre d’une contro-
verse autour de sa participation au Pavil-
lon suisse à l’Expo 2020 Dubai. Etes-vous
satisfait de son dénouement?
La décision
d’annuler ce sponsoring était juste et
inévitable. Cette controverse a mis en
évidence les méthodes des cigarettiers
qui tentent par tous les moyens de
s’acheter une respectabilité tout en
jouant les victimes quand ils perdent.
Contrairement à leurs allégations, les
cigarettes chauffées sont loin d’être une
panacée. Les experts qui ne sont pas
payés par l’industrie s’accordent sur le
fait que même s’il n’y a pas de combus-
tion, la pyrolyse observée dans le tabac
chauffé produit des gaz toxiques.
Vous semblez ne pas tenir compte de l’ap-
port de l’industrie du tabac à l’économie
suisse en termes d’entrées fiscales et d’in-
vestissements...
Le tabac coûte plus du
double de ce qu’il rapporte à l’écono-
mie suisse. L’industrie du tabac verse
chaque année près de 2 milliards d’im-
pôts à la Confédération et les cigaret-
tiers sont de gros contribuables au
niveau cantonal. Mais les dégâts du
tabagisme se montent à plus de 5 mil-
liards par an (1,5 milliard de francs de
coûts directs pour les caisses maladie
et 4 milliards de pertes de producti-
vité). Une loi sur les produits du tabac
garantissant une véritable protection
de la jeunesse permettrait d’épargner
plus de 600 millions par année. Alors
que l’augmentation des primes d’assu-
rance est une des principales préoc-
cupations de la population, renoncer
à une telle épargne serait incompré-
hensible aussi bien économiquement
que politiquement.
L’industrie du tabac est aussi créatrice
d’emplois...
Selon le Seco, il n’y a en
fait que 4500 employés de l’industrie
du tabac. Mais au-delà de l’emploi et
des questions financières, les coûts
humains méritent d’être rappelés:
9500 personnes décèdent chaque
année du tabac en Suisse (soit 15% de
l’ensemble des décès dans notre pays)
et plus de 400 000 personnes vivent
avec une BPCO, maladie incurable à
90% liée au tabagisme. En résumé,
chaque emploi dans l’industrie du
tabac entraîne au moins deux morts
et près de 100 malades chroniques
par année.
Qu’en est-il de l’initiative «Oui à la pro-
tection des enfants et des jeunes contre
la publicité pour le tabac»?
Cette initia-
tive a déjà récolté plus de 120 000 signa-
tures. C’est un signal fort de ce que la
population souhaite en matière de
limitation de la publicité de produits
qui affectent la jeunesse. Plus de 50%
des fumeurs décèdent prématurément.
L’industrie a toujours besoin de les
remplacer. Malheureusement, plus de
la moitié des fumeurs ont commencé
avant 18 ans. Cela démontre l’efficacité
du marketing, surtout numérique, qui
cible essentiellement les adolescents,
sans que la plupart des adultes et des
parents le réalisent. L’initiative est
donc un message clair de la population
à l’égard du monde politique et des
autorités. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR R. E.
CONTROVERSE Les milieux antitabac
exigent une plus forte protection
contre les effets nocifs. Premier débat
sur un projet de loi lundi en Commis-
sion du Conseil des Etats avant de pas-
ser en plénière en septembre. Luciano
Ruggia, chercheur à l’Université de
Berne, espère un durcissement de la
législation suisse
«Le projet de loi affaiblit les restrictions à la publicité sur le tabac en Suisse»

INTERVIEW
LUCIANO RUGGIA
FUTUR DIRECTEUR DE
L’ASSOCIATION SUISSE
POUR LA PRÉVENTION
DU TABAGISME
«Chaque emploi dans
l’industrie du tabac
entraîne au moins
deux morts et près
de 100 malades
chroniques par an»
Le DFAE est
embarrassé par
cette nouvelle
histoire qui révèle
un peu plus les
liens entre Berne
et Philip Morris

DONALD TRUMP
Le président américain a
averti vendredi que les
Etats-Unis n’étaient «pas
prêts» à conclure un accord
commercial avec la Chine,
évoquant même une
annulation des discussions
prévues en septembre à
Washington. Les bourses
ont plongé dans la foulée.
SAMEDI 10 AOÛT 2019 LE TEMPS

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