SUD OUEST bassin d\'Arcachon du Mardi 13 Août 2019

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SUD OUESTMardi 13 août 2019


Un été Sud-Ouest


Carnets de route


Valérie Deymes
[email protected]


«B


onjour ceux qui ar-
rivent! Faut mon-
ter le réveil, les pe-
tits! Bon, allez, ap-
prochez-vous... »
Jean Lannes réprimande gentiment
les derniers arrivants. Le soleil n’est
pas encore levé et les « retardatai-
res » en question n’ont avalé que
huit malheureuses minutes sur ce
rendez-vous matinal programmé à
6 h 30 sur le port d’Arcachon.
Une vingtaine de touristes est
tombée du lit bravant la flemme lé-
gitime du vacancier rodé au far-
niente et aux soirées à rallonge, le
sommeil qui colle encore aux yeux
et l’atmosphère odorante des lieux.
Ça sent le poisson. Et pour cause : la
petite troupe a choisi de découvrir la
criée arcachonnaise. Stéphanie,
Lyonnaise à l’année, locale de l’étape
l’été, a réveillé trois de ses cinq en-
fants, convaincue que la « décou-
verte de son environnement et des
métiers » fait partie de l’éducation
et du plaisir à vivre avec les autres.
Elle et sa petite famille ne vont pas
être déçus : Jean, 84 printemps, a sa
manière d’agrémenter le menu,
d’écailler le superflu, de pimenter
l’essentiel et de faire en sorte que
l’estomac du visiteur soit titillé par


une furieuse envie de daurade ou
de sole... même aux aurores.

Les difficultés liées aux passes
Pas question de lambiner. « Ici, il n’y
a pas d’heure. Quand un bateau ap-
pelle pour livrer sa pêche du jour,
même à 4 heures du matin, il faut
l’accueillir », lâche le retraité de l’en-
seignement qui joue les guides tou-
ristiques depuis vingt ans. À 6 h 30,
soles, bars, merlus, seiches, calamars
ou encore baudroies, les stars de la
criée du Bassin, ont été débarquées
et ont déjà été triées, à l’œil ou à la
balance, par taille. Les cagettes éti-
quetées sont sur le chemin de la
salle des ventes. Pour aujourd’hui,
la ressource est un peu maigre :
« 6,3 tonnes. Ce n’est rien quand tu
sais qu’en moyenne chaque année,
1 800 à 2 000 tonnes de poissons
sont pêchées et vendues à la criée

d’Arcachon. Ça positionne notre
port à la 15e place nationale en vo-
lume, 3e^ place en prix, car ici, on pro-
pose du poisson noble issu d’une
pêche courte. On ne peut pas pê-
cher plus à cause des passes qui ren-
dent difficiles les entrées et sorties
du Bassin. Du coup, 100 jours par an,
les bateaux restent à quai et on fait
venir le poisson de Royan (17) ou de
Pasajes (Espagne). Car les acheteurs,
eux, sont là, le lundi et le jeudi... »,
explique Jean, a capella.
Il connaît bien la chanson mais la
ponctue d’humeurs et lui apporte
un ton, une chaleur, un plaisir de
transmettre que le vacancier sem-
ble apprécier.

Revue d’effectifs à nageoires
Tout d’un coup, le silence de la mer
s’impose. La troupe entre dans la
salle des ventes. Vingt-cinq ache-
teurs, des mareyeurs, des centrales
d’achat, des poissonniers et des res-
taurateurs assis dans un petit am-
phithéâtre, surplombent le tapis
roulant où les lots défilent. Sur un
écran, le nom du bateau, l’espèce
proposée et le prix de départ s’affi-
chent. Ce dernier commence par
dégringoler pour remonter au fil
des enchères.
Pas de cris. Pas de sons. Seuls les
chuchotements de Jean au creux
des oreilles de ses protégés retentis-
sent dans la criée. Chaque acheteur,
discrètement, actionne ou non le
bouton sous son siège, suivant l’inté-
rêt qu’il porte à la pêche exposée.
Les vacanciers voient le kilo de sole
s’envoler à plus de 22 euros... On

laisse les pros faire leur marché. Jean
embarque les curieux dans les
chambres froides où les lots ache-
tés sont conditionnés par le person-
nel du Port avant de partir vers leur
destination commerciale.
Et c’est parti pour le show du
froid : l’octogénaire enfile les gants
et se lance dans une revue ich-
tyenne peu banale, au gré de sa pio-
che dans les cagettes prêtes à partir.
« Tu crois que la sole est née plate? Eh
bien, non elle naît comme une sar-
dine, ce n’est qu’au bout de quel-
ques mois qu’elle devient plate et
donc nage à l’horizontale. » « À quoi
reconnaît-on une daurade royale? À
sa couronne! Elle l’a là, au-dessus
des yeux, un diadème jaune! » « Ce
petit poisson, c’est quoi? »

Dans l’assemblée, on se risque à ré-
pondre : « Une solette? » « Non! Une
solette, ça n’existe pas! C’est une lan-
gue d’avocat ou, de son vrai nom,
un céto. Une chair bien plus fine
que la sole. » On en profite pour dis-
socier le turbo du barbu, le merlan
du merlu, Jean est intarissable. Le
voilà qui ouvre la gueule d’un spé-
cimen au physique quelque peu
disgracieux et plonge la main dans

l’antre gluant : « Tu crois trouver la
langue au fond? Tu trouves encore
une rangée de dents. C’est la bau-
droie. Elle n’est pas belle, mais ses
joues sont un délice! »
Et quand le guide ne déploie pas
les nageoires d’un grondin ou n’ex-
pose pas aux regards médusés de la
jeune classe un requin – « Vas-y, ca-
resse-le, il a la peau toute douce » –, il
aligne quelques chiffres : « La criée
d’Arcachon compte 12 fileyeurs, qua-
tre chalutiers, six vedettes côtières
et 20 bateaux intra-Bassin. Une flot-
tille qui mobilise 200 hommes (et
deux femmes seulement embar-
quées). Sachant qu’un homme en
mer fait vivre quatre hommes à
terre. »
La visite touche à sa fin. Les touris-
tes sont ravis. Jean ne baisse pas pa-
villon, il engage un dialogue avec
ceux qui l’ont écouté pendant une
heure et demie. On évoque la res-
source halieutique en Atlantique
Nord-Est et la pêche « qu’on essaie
de pratiquer de manière durable ».
On en profite pour mettre une tape
sur le nez des Chinois et leur prati-
que industrielle de masse et on
constate que l’élevage prend le pas
sur le poisson capturé en mer...
Le jour s’est levé. Le port n’est plus
seul à s’activer. Jean repart, vareuse
sur le dos, cahier sous le bras. Sté-
phanie a pris ses coordonnées. Le
guide a d’autres visites dans sa be-
sace et il sait, indiscutablement, ra-
conter les histoires...

Renseignements sur :
http://www.arcachon.com

L’office de tourisme d’Arcachon propose


aux vacanciers de visiter la criée, à l’aube. On


a plongé dans l’ambiance et suivi le guide, Jean


Quand le vacancier renifle


le poisson au p’tit déj’


Au gré de la pioche dans les cagettes, Jean présente des spécimens à son auditoire. Ici, un petit requin : « Vas-y, caresse-le! » PHOTO CLAUDE PETIT/ « SUD OUEST »


« La flottille mobilise


200 hommes. Sachant


qu’un homme en mer


fait vivre quatre


hommes à terre »


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