LE TEMPS MARDI 13 AOÛT 2019
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Les voiles d’Hermès Trismégiste
E
té 2012. L’Express publie un
article dans lequel il demande
aux membres de sa rédaction
quelle a été leur plus éprou-
vante expérience de lecture. Le
panthéon des lettres à la fran-
çaise en tremble: «Je n’ai pas
dépassé la 30e page de Du côté
de chez Swan [sic]. Après avoir
buté sur une phrase de 20
lignes, j’ai décidé de ne jamais
relire du Proust. J’ai tenu parole»,
explique un rédacteur en chef adjoint.
Un journaliste en a plutôt contre Claude
Simon et La Route des Flandres: «Trois
flash-back dans une phrase, qui fait
généralement une dizaine de pages et
ouvre une parenthèse, puis une autre, et
quand elle se referme, on ne sait plus
laquelle est concernée.»
Pourquoi un lecteur laisse-t-il tomber
un livre? Parce que ce livre aura égaré son
lecteur. En raison d’un style ou de réfé-
rences trop abstrus, du fait d’une
construction aberrante – ou parce qu’il
est ennuyeux comme la mort. Ce dernier
écueil mis à part, on dira d’un texte contre
lequel on cogne qu’il est «hermétique».
Dans l’usage courant, cet adjectif ne
retient que quelques éléments de sa signi-
fication originelle – qui renvoie à la Grèce
antique et au Corpus hermeticum, une
série de textes attribués au légendaire
Hermès Trismégiste, textes proposant
une alternative mystique aux systèmes
de pensée rationalistes légués par Platon
et Aristote (on résume ici au-delà du rai-
sonnable, bien entendu). Comme le
remarquait Umberto Eco, un des points
de cette doctrine indique «que plus notre
langage est ambigu et polyvalent», mieux
il peut nommer les choses. C’est cette
notion contre-intuitive qu’on conserve
aujourd’hui: une parole ou un texte
seront dits hermétiques parce que leur
sens glisse et nous échappe – pour un
temps, ou ad aeternam.
Pourquoi ne comprend-on pas un texte?
Eco, encore lui, rappelait que la lecture
est une opération qui met deux vertus du
lecteur à contribution: l’étendue de ses
compétences linguistiques (sa capacité
à déchiffrer une langue) et celle de son
«encyclopédie personnelle» (ce qu’il sait
du monde, ce qu’il sait du statut du texte
qu’il lit ou entend, etc.) Qu’une de ces
capacités défaille, et l’interprétation
d’une œuvre en sera entachée – c’est en
partie parce que les enfants prennent
Le Petit Chaperon rouge pour argent
comptant (et non pour un conte) qu’il les
remue autant. Et que dire du Petit Poucet?
Perrault est un sadique.
Ce pacte de lecture («Comprends-moi
si tu peux», semble dire l’auteur) est la
plupart du temps implicite. Mais certains
écrivains jouent de ce contrat, soit en
rendant le sens de leur texte difficilement
saisissable (ils seront alors dits hermé-
tiques, de Maurice Scève à James Joyce),
soit en explicitant, à l’occasion de
manière perverse, ce qu’ils attendent de
leur lecteur. Dans l’Occitanie médiévale,
les troubadours usaient ainsi de modes
d’écriture plus ou moins complexes – le
«trobar leu» donnait une poésie légère,
mais le «trobar clus» (fermé) requérait
beaucoup plus d’efforts de compréhen-
sion. Rabelais ne cessait de tendre des
chausse-trappes à son lecteur – «un
homme de bon sens croit tousjours ce
qu’on luy dict», répète-t-il en nous racon-
tant des craques. Moins sarcastique,
Montaigne disait qu’un «suffisant lec-
teur» (comprenez: à l’esprit agile) pouvait
découvrir dans un texte des richesses que
l’auteur lui-même n’avait pas eu
conscience de glisser. Un dernier
exemple? «Ce Conte s’adresse à l’Intelli-
gence du lecteur qui met les choses en
scène, elle-même.» Belle mise en garde,
que Mallarmé place en 1869 en exergue
d’ Igitur ou la folie d’Elbehnon; mais c’est
aussi un pari qui peut intimider les
clients des librairies. ■
Pour aller plus loin: Ariane Bayle, «Romans
à l’encan: de l’art du boniment dans la littérature
au XVIe siècle»; Umberto Eco, «Les Limites de
l’interprétation»; ou, du même: «Lector in fabula.
Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative
dans les textes narratifs».
MOTS FLÉCHÉS N° 31 d’Albert Varennes ([email protected]) SUDOKU N° 31
Solution mots fléchés n° 30 Solution sudoku n° 30
SUR LE BOUT DES LANGUES (7/8) Il y a des livres qu’on laisse tomber parce qu’ils nous malmènent les neurones.
Et les écrivains peuvent quelquefois être de bien cruels professeurs de gmnastique intellectuelle
PHILIPPE SIMON t @PhilippeSmn
(DESSIN ORIGINAL DE MATTHIAS RIHS POUR LE TEMPS)
8 2 7 1 3 6 5 4 9
4 6 1 5 7 9 8 2 3
3 5 9 2 4 8 1 6 7
7 9 4 8 2 1 3 5 6
2 1 3 7 6 5 9 8 4
5 8 6 4 9 3 7 1 2
6 7 8 3 1 4 2 9 5
1 4 2 9 5 7 6 3 8
9 3 5 6 8 2 4 7 1
$ $ $ M $ $ F $ $ A $ E $
C R O A S S E M E N T S $
$ A U S T E R I T E $ P C
$ C R O U P I E R E $ O U
$ I L $ D I A N E $ F I V
A N E M I A S $ S A R R E
$ E R I E $ T E $ $
$ $ $ S U $ C L E F
G A L A S $ H U M E
$ C A N E R O Q U E
$ C U T $ R $ T $ U U $ $
$ A T H L E T I S M E $ O
$ P A R A B O L E $ T O M
B A R O Q U I S M E $ I I
$ R E P U S $ I P P O N S
T E T E E $ E T E I N T E
ASSORTIMENT
DE POMMES,
POIRES
ET FRAISES
TITULAIRE
DU BREVET
CANTON
BANDE
DE POSEURS
ABRITE
SON
ANAGRAMME
SUR LE BORD
À BORD AS DE PIC
CHAUFFAGE
CENTRAL EINSTEINIUM
AUSSI
PASSAGÈRE
QUE
PROVISOIRE
ACCIDENT
DE LA ROUTE
TRANSPORT
PUBLIC
SERVICE
ANCIEN
LAISSANT
TOUT VOIR
INTERVEN-
TION DES
PLUS HAUTES
INSTANCES
SERVICE
PLUS
MODERNE
TRANS-
SIBÉRIEN
EST
INCOGNITO
COULEUR
DE ROBE
PLUMES
AUX ANGES
OU AU
SEPTIÈME
CIEL
SERREMENT
D’AMOUR
GROSSE
COUPURE
SE LÈVE
POUR
PRENDRE
LA PAROLE
SIGNES
DE
DANGER
PANAX
ET PANACÉE
INCITANT
À
L’EXCITANT
UNE VOIX
OU UN
INSTRUMENT
PHYSIQUE
AU LYCÉE
PROBLÈMES
D’AIR
SUSCEPTIBLE
DE ROMPRE
LE CHARME
PETITE PARTIE
DU DOLLAR
TOUCHE
AU GRISBI
MISE SUR
D’AUTRES
PRONOM
POSSESSIF
PARFOIS
PRIS ENTRE
DEUX FEUX
GIBIER
À PATTES
DONNE
À CONNAÎTRE
N’EST PAS
PRIS AU
SÉRIEUX
TOUTES EN
TRAPPES ET
EN ATTRAPES
MÉMORISÉ
VALAIS
SOLIDEMENT
FIXÉE
ŒIL
EX-ORBITÉ
FRÈRES
DE SANG EN
AMÉRIQUE
PATRON
FLEUVE
PIEDS GRECS
HOMMES
DE RÖHM
GRAND
ANCIEN
CONSTANTE DE RAIES PARÉS CANTONDEMI-
PLUS QU’UNE
QUADRATURE
DANS UN
CERCLE
SEXUELLE-
MENT
TRANS-
MISSIBLE
2 1 9 6 7
5 1 4
3 1 5
9 7 3
6 3 8 2 4 7 9
5 6
6 4
9 5
4 9 2 6