Temps - 2019-08-13a

(avery) #1

ADRIÀ BUDRY CARBÓ


t @ AdriaBudry


Genève aura son premier procès
pour corruption internationale. Le
milliardaire franco-israélien Beny
Steinmetz et deux de ses collabora-
teurs seront jugés pour «corruption
d’agents publics étrangers» et «faux
dans les titres» dans le cadre de
leurs affaires en Guinée-Conakry,
selon les charges retenues par le
pouvoir judiciaire genevois, et com-
muniquées lundi après-midi. L’acte
d’accusation a été remis au tribunal
correctionnel par le procureur
Claudio Mascotto. Le Ministère
public genevois requerra des peines
privatives de liberté allant de 2 à
10 ans.
Les faits se sont déroulés entre
 2005 et 2010. La justice genevoise
accuse l’homme d’affaires et les
deux autres prévenus «d’avoir
versé ou fait verser des pots-de-
vin» afin de décrocher des conces-
sions d’exploitation de gisements
de fer, au profit de sa société Beny
Stein metz Group Ressources
(BSGR), qui était à l’époque gérée
depuis Genève. L’intéressé a tou-
jours réfuté ces accusations. Son
avocat, Marc Bonnant, s’en prend
directement à un procureur qu’il
qualifie de «lourdement idéolo-
gique» et à un dossier d’instruction
qui «est une transposition en droit
de la lutte des classes».


Dix millions de dollars
de pots-de-vin

Pour la justice genevoise, ce
procès – qui devrait selon nos
informations se dérouler en 2020



  • est emblématique. Dans des
    affaires similaires, la société
    pétrolière Addax Petroleum et la
    banque HSBC avaient échappé à
    de retentissantes procédures
    pour corruption en versant res-
    pectivement 31  millions et
    40  millions dans les caisses
    publiques. Un arrangement,
    rendu possible en vertu de l’ar-
    ticle 53 du Code pénal, motivé
    principalement par les difficultés
    d’aboutir dans ces affaires impli-
    quant plusieurs juridictions.


Cela ne semble pas être le cas
cette fois. Le Ministère public
genevois, qui instruisait l’affaire
depuis six ans à la suite d’une com-
mission rogatoire guinéenne,
évoque 10 millions de dollars de
pots-de-vin, dont «une partie
aurait transité par des comptes
suisses». Cet argent aurait permis
de s’assurer la bienveillance de
l’ancien président guinéen Lan-
sana Conté (décédé en 2008). Et
d’évincer au passage un concur-
rent, le géant minier anglais Rio
Tinto, qui s’est depuis retourné,
avec le groupe brésilien Vale,
contre Beny Steinmetz.

C’est Mamadie Touré, quatrième
femme de Lansana Conté, qui a
reconnu avoir joué les bons offices
pour BSGR. Au passage, elle aurait
empoché au moins 1,5 million des
dix millions de dollars, sur un
compte hébergé par Julius Baer, par
la société Pentler, domiciliée dans
les îles Vierges britanniques mais
contrôlée par BSGR à travers un
dense réseau de structures offshore,
cartographié en 2013 par les médias
français Le Monde ou Mediapart et
l’ONG PublicEye. Selon nos infor-
mations, des dizaines de commis-
sions rogatoires, avec la Guinée,
l’Ukraine ou Israël, ont été néces-

saires afin de suivre les transactions
et d’identifier les bénéficiaires. Le
dossier d’instruction représente
quelque 170 classeurs fédéraux.
Selon le pouvoir judiciaire, de
fausses factures et de faux contrats
auraient ensuite été rédigés pour
justifier les différentes transactions.

La Guinée se retire,
grâce à Sarkozy
Aux côtés de Beny Steinmetz, qui a
quitté son appartement genevois du
quai du Mont-Blanc en 2016 à la suite
de la révision de son forfait fiscal,
deux autres individus passeront, eux
aussi, devant la justice du bout du lac.

Il s’agit d’un citoyen français, consi-
déré par la justice comme le «fixeur»
de BSGR en Guinée, et d’une Belge,
administratrice d’une demi-dou-
zaine d’entités liées à BSGR et rési-
dant en France voisine. Avocat du
premier, l’ancien bâtonnier Jean-
Marc Carnicé répond au Temps :
«Mon client conteste catégorique-
ment toutes les charges. Je plaiderai
l’acquittement.»
La Guinée ne sera finalement pas
représentée au procès. Après s’être
battue pour faire entendre son droit
à y figurer comme partie plaignante


  • ce qui a été validé en novembre
    2017 par la justice –, elle a annoncé


en février dernier avoir trouvé un
accord à l’amiable avec Beny
Steinmetz. Le milliardaire  avait
obtenu le retrait des poursuites
pour corruption en échange de sa
renonciation à ses droits sur le gise-
ment de Simandou, la chaîne de
montagnes du sud-est du pays qui
était au cœur de l’affaire.

Beny Steinmetz et l’Etat guinéen
ont d’ailleurs annoncé la reprise
de leur «partenariat» pour déve-
lopper les gigantesques réserves
de fer du pays. «Nous étions enne-
mis, maintenant nous sommes
amis», avait déclaré en février celui
qui a fait fortune dans le commerce
de diamants à Bloomberg. Selon
l’agence économique, cette récon-
ciliation après sept ans de dispute
porte la signature de Nicolas Sar-
kozy. Redevenu avocat, l’ancien
président français a profité de ses
relations avec les deux parties pour
jouer les intermédiaires.
Mais, pour la justice genevoise, cet
accord surprise ne change rien, la
corruption d’agents publics étran-
gers étant poursuivie d’office. Marc
Bonnant prévient, ironique: «On
fera venir la partie lésée et elle dira
qu’elle n’a pas été lésée. Le procès
se tiendra sans le corrupteur puis-
qu’il a été prouvé que mon client n’a
jamais versé un centime depuis ses
comptes, sans la corrompue et le
corrompu ultime puisque Mamadie
Touré n’y sera pas et que l’on ne
ressuscite pas les morts.» ■

Le magnat du diamant Beny Steinmetz était bénéficiaire d’un forfait fiscal à Genève jusqu’en 2016. Il y sera jugé pour des accusations de corruption liées à ses affaires
en Guinée-Conakry. (JACK GUEZ/AFP)

+0,9%

LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE DE LA RUSSIE S’EST
ACCÉLÉRÉE AU DEUXIÈME TRIMESTRE À 0,9% SUR
UN AN. Cette hausse est plus marquée que celle de
0,5% obtenue au premier trimestre, alors jugée
décevante, mais reste inférieure à la croissance
espérée par le Kremlin sur 2019 (+1,3%).

PIER CARLO PADOAN
Ex-ministre italien
de l’Economie (2014-2018)
Le député a mis en garde
lundi contre un risque de
crise économique et de
fortes tensions sur la dette
italienne, après l’éclate-
ment de la coalition au
pouvoir provoqué par
Matteo Salvini.

AMS ne convainc
pas les marchés
Le fabricant autrichien
de semi-conducteurs
AMS envisage à nouveau
le rachat d’Osram Licht.
L’annonce a été mal
accueillie en raison
d’incertitudes entourant
la transaction.

20


60


100


Action AMS, en francs

Source: Bloomberg

43,

12.08.17 12.08.

LOIN DU SOMMET


Beny Steinmetz sera jugé à Genève


JUSTICE Le milliardaire franco-israélien est accusé d’avoir versé des pots-de-vin afin de décrocher des droits miniers


en Guinée-Conakry. Avec cette affaire, le pouvoir judiciaire genevois organise son premier procès pour corruption internationale


SMI
9760,
+0,10%

k

Dollar/franc 0,9703 l

Euro/franc 1,0878 l

Euro Stoxx 50
3326,
-0,22%

l

Euro/dollar 1,1212 k

Livre st./franc 1,1715 l

FTSE 100
7226,
-0,37%

l

Baril Brent/dollar 58,57 k

Once d’or/dollar (^1505) k
Economie&Finance
La Guinée ne sera
finalement pas
partie plaignante
au procès. Elle a
annoncé en février
dernier avoir
trouvé un accord
à l’amiable avec
Beny Steinmetz
RACHEL RICHTERICH

t @RRichterich
C’est visiblement l’homme que l’on
attendait. Les récentes rumeurs sur sa
possible embauche à la tête d’ABB
avaient déjà causé quelque émoi sur les
marchés: à l’évocation du nom de Björn
Rosengren fin juillet, l’action du géant
zurichois de l’électrotechnique avait
gagné près de 3% sur la séance, tandis
que celle de son employeur actuel, le
groupe suédois d’ingénierie Sandvik,
perdait plus de 2%. La rumeur s’est
confirmée dans la nuit de dimanche à
lundi, le géant zurichois pourra bien
compter sur le Suédois de 60 ans dès le
mois de mars; son titre s’est aussitôt
envolé de 4% à l’ouverture de la bourse.
Un bilan salué chez Sandvik
Et pour cause, sa restructuration de
Sandvik, qui s’est concrétisée par une
décentralisation et des réductions de
coûts drastiques incluant la vente d’uni-
tés et la suppression de 2000 postes (sur
42 000), a fait grimper de 70% le cours de
l’action depuis son entrée en fonction en



  1. Un bilan qui en fait «le candidat
    idéal pour porter ABB vers l’avant», s’est
    félicité sur Twitter le président du
    groupe, Peter Voser.
    L’Argovien de 60 ans assure l’intérim à
    la direction générale du groupe zurichois


aux 147 000 employés depuis le départ
surprise d’Ulrich Spiesshofer en avril,
sous la pression des actionnaires. Ceux-ci
ont d’ailleurs salué la nouvelle de la nomi-
nation de Björn Rosengren, mais attendent
le nouveau patron au tournant: «Nous
pensons qu’il est la bonne personne pour
mener ABB dans la prochaine phase» de
sa transformation, a écrit dans un com-
muniqué Investor AB, son plus important
actionnaire avec 11,2% du capital.

«ABB souffre d’une incongruence
entre le potentiel de ses activités dans
l’industrie 4.0 et ses résultats finan-
ciers souvent mitigés ou décevants»,
commente Nicolas Bürki, de Mirabaud
Asset Management. L’ex-Brown Boveri
annonçait en décembre l’abandon de
ses activités historiques dans le trans-
port d’énergie pour se centrer sur la
robotique et l’automatisation indus-
trielle.

Une mue dont les effets tardent
à se concrétiser
Une décision entérinée par la vente de
son unité Power Grids au groupe japo-
nais Hitachi. Mais les effets de la mue
tardent à se concrétiser. Au deuxième
trimestre, la rentabilité du géant helve-
tico-suédois s’est cependant érodée et
les analystes ont jugé décevants les

résultats de sa division robotique et
automation, qui constitue le cœur du
futur groupe.
Dès lors, actionnaires et investisseurs
comptent sur le nouveau directeur
général pour accélérer la refonte du
groupe. Et si l’a priori lui est favorable,
la conjoncture ne l’est pas. «Le contexte
économique est en net ralentisse-
ment», avertit Frédéric Potelle, de Bor-
dier & Cie, en témoignent les derniers
indices manufacturiers, baromètres de
la santé de l’industrie, en net repli.
Peut-être devra-t-il adapter ce plan,
conçu et annoncé par d’autres, à ce
volet conjoncturel, estime l’analyste.
«Les sept mois qui séparent l’annonce
de lundi de son entrée en fonction
rajoutent à l’incertitude et pourraient
être longs pour les impatients», conclut
Nicolas Bürki. ■

L’«homme idéal» sur lequel ABB joue son avenir

INDUSTRIE Le Suédois Björn Rosengren
a été nommé pour diriger le géant tech-
nologique basé à Zurich. Fort d’une expé-
rience confirmée dans les restructurations,
il aura la lourde tâche d’accélérer la
refonte du groupe, dans un contexte éco-
nomique en net ralentissement

BJÖRN ROSENGREN
FUTUR DIRECTEUR GÉNÉRAL
DABB

MARDI 13 AOÛT 2019 LE TEMPS
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