Temps - 2019-08-07

(Barry) #1
LE TEMPS MERCREDI 7 AOÛT 2019

20

C’


est un petit nid de verdure et
de silence comme on en rêve.
Une de ces résidences pari-
siennes si joliment appelées
«Villa», abritées derrière de
grands portails. On sonne. Le
plus beau sourire du 20h de
TF1, les yeux noirs pétillants
et le charme nature de la
journaliste surgissent. «Ins-
tallez-vous à votre aise.» L’ac-
cueil est simple et chaleureux.
Comment Laurence Ferrari et Renaud
Capuçon ont-ils déniché ce paradis? «Une
simple annonce.» La maîtresse de maison
échange sans chichis, tout en collaborant
à l’installation du photographe. Une ral-
longe cherchée dans la cave, l’emplace-
ment idéal discuté pour la séance, le piano
épousseté, des bouteilles sorties du frigo

et quelques verres apportés sur un plateau:
l’hôtesse est au four et au moulin. Dans la
cuisine ouverte, sa sœur et la fille que la
présentatrice a eue de son premier mariage
discutent avec une amie. «Tu as besoin
d’aide?» «Non, merci.» Vie de famille...
Quand le musicien descend de l’étage,
toujours aussi avenant malgré un vilain
rhume, la ruche bourdonne dans le soleil
matinal. «J’aime rentrer à la maison. C’est
un havre de paix. Un indispensable cocon
dans ma vie d’hôtels et d’avions. En un
jour, je m’y régénère. Ce lieu incroyable,
où Laurent Fabius est né, m’apaise com-
plètement.»
Pause photo. L’occasion rêvée pour
détailler l’espace aéré et clair, tapissé de
livres et de CD. Côté lecture, Laurence
dévore jusqu’à trois recueils par jour, pro-
fessionnellement ou par goût. «La littéra-

ture occupe une place centrale dans ma
vie. Quand j’aurai atteint l’âge de la liberté,
j’écrirai sans doute.» Versant musique,
Renaud a composé une impressionnante
discothèque murale avec ses musiciens ou
compositeurs d’élection (Giulini, Boulez,
Barenboim...) «Leur présence m’accom-
pagne. L’admiration, la connivence artis-
tique ou l’amitié qui me lie à certains
depuis plus ou moins longtemps me sont
chères.» «Il va falloir faire un peu de vide,
s’amuse la belle femme blonde. Avec les
nouveaux supports et pratiques informa-
tiques, les CD deviennent obsolètes. Et
les livres sont trop envahissants. La place
gagnée nous permettra d’améliorer la
décoration.» Ce que femme veut...
Mariés depuis 2009, parents d’un petit
Elliott un an plus tard, on imagine que
les deux célébrités se connaissaient avant

de se rencontrer. «Pas du tout. Nous nous
sommes vus la première fois lors d’une
soirée organisée par le ministre Michel
Barnier, qui avait invité un lot de person-
nalités savoyardes.»

Quand deux Savoyards
se rencontrent
Coup de foudre immédiat? Les deux
époux laissent comprendre que «l’inté-
rêt» s’est développé après un premier
dîner organisé de concert. On ne saura
pas qui des deux a fait le premier pas. «Vu
nos métiers très prenants et les inces-
sants voyages de Renaud, nous avons
échangé une véritable correspondance
informatique qui nous a révélé les mêmes
valeurs fondamentales, des sensibilités
et des caractères très proches.» Longueur
de temps...

Quand deux Savoyards se rencontrent,
que se passe-t-il? «Il y a un fonds com-
mun. Culturellement, une région génère
des références partagées. Une forme de
langage commun.» Aix-les-Bains et
Chambéry se rejoignent donc à Paris. Et
à Aix-en-Provence au Festival de Pâques
de Renaud, autre territoire béni pour eux,
par «sa lumière, ses parfums, sa chaleur,
ses paysages et sa légèreté de contact et
de vie».
Où se verraient-ils plus tard? «Sur les
bords du Léman! Ce serait comme une
forme de retour aux sources pour y vivre
les années tardives», dit-elle. «Ce n’est
pas un hasard si j’ai pris la classe de vio-
lon à la HEM de Lausanne, la direction
des Sommets musicaux de Gstaad et der-
nièrement celle de l’Académie Menuhin
à Rolle... Je me sens à la maison là-bas»,
avoue-t-il.
En attendant, Laurence et Renaud ne
touchent pas terre. Mais s’ancrent sur
leurs affinités et leurs différences. Ce qui
les a rapprochés: la «lumière», premier
qualificatif commun de leur vision de
l’autre. Puis l’énergie qui les habite, la
passion pour leur métier et leur admira-
tion réciproque.
«La scène le transfigure dans une
concentration incroyable. Sa virtuosité,
sa façon de transcender les partitions,
de tout donner et de libérer sa sensibilité
après des heures de travail acharné
m’ébahissent. Je retombe amoureuse de
lui à chaque fois. Je chéris la poésie qui
nourrit son art.»
Pour Renaud, c’est «l’aura et la force»
de Laurence qui l’impressionnent.
«Quand elle se met en marche, elle est
inarrêtable. Sa capacité à entraîner les
équipes, sa simplicité, sa gentillesse et sa
puissance de travail sont inspirantes. Son
sens de l’organisation, sa concision, sa
rigueur et sa discipline me canalisent.»

La violence du 20h
La rivalité ou la compétition ne les
concernent pas. «A aucun moment.
Aimer c’est se réjouir du succès de
l’autre.» Pour autant, la notoriété n’a pas
été équitablement vécue. «C’est un man-
teau qu’on ne peut jamais quitter. J’ai
beaucoup connu la surexposition média-
tique. Je savais qu’en choisissant de pré-
senter le 20h de TF1, ce serait éprouvant.
J’avais averti Renaud...»
Le musicien a pourtant été frappé de
plein fouet. «Cela n’a rien à voir avec le
succès du monde classique, qui est plus
restreint et partage les mêmes codes. Je
n’imaginais pas à quel point c’était lourd.
Presque violent. J’ai mis du temps à m’y
adapter. Avec le temps, ça s’est calmé.»
Il a aussi fallu s’adapter aux cadences
infernales des deux métiers. Le sport et
une hygiène de vie stricte en sont les
remèdes. Ski et course ensemble: Lau-
rence et Renaud retrouvent là une har-
monie. Avec les vacances en famille en
point d’orgue.
Les différences, les positions politiques
ou les divergences de goûts ne consti-
tuent pas un problème. «Notre couple
n’est pas fusionnel mais complémentaire.
Si Renaud ne danse pas et que j’aime bou-
ger sur ABBA, s’il préfère les films fran-
çais et moi la cinématographie améri-
caine, s’il est fasciné par la figure de
Mitterrand alors que moi pas, cela ne
nous éloigne pas.»
La famille demeure le pilier de leur rela-
tion. «Comme l’air ou l’eau, le cœur de la
vie.» Et le lien passe encore par la
musique, que Laurence Ferrari a prati-
quée au piano et à laquelle elle voue un
véritable amour. En devenant récemment
présentatrice de l’émission Entrée des
artistes sur Radio classique, en parrai-
nant le Festival de Rocamadour ou en
réalisant la programmation des pro-
chaines Rencontres d’Annecy, la présen-
tatrice entre dans le monde de l’artiste.
«Par goût personnel, précise ce dernier.
Je n’y suis pour rien.» On sourit. ■

Demain: Adrien Barazzone et Lionel Baier

LAURENCE FERRARI ET RENAUD CAPUÇON

TRIBULATIONS D’EGO (3/5) Virtuoses chacun dans leur domaine, la journaliste

et le violoniste donnent de l’allure à ce qu’ils touchent.

Confidences de deux amoureux de musique et de hauteur

SYLVIE BONIER t @SylvieBonier

«Nous avons échangé une véritable correspondance informatique, qui nous a révélé les mêmes valeurs

fondamentales et des sensibilités très proches»

Allegro amoroso

(ALEXANDRE HAEFELI POUR LE TEMPS)
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