Temps - 2019-08-07

(Barry) #1
MERCREDI 7 AOÛT 2019 LE TEMPS

Actualité 3

PROPOS RECUEILLIS
PAR STÉPHANE BUSSARD


t @StephaneBussard


La décision du gouvernement
Modi annoncée lundi de révoquer
l’autonomie constitutionnelle du
Cachemire n’en finit pas de faire
des vagues. A l’intérieur de l’Inde
tout d’abord, où le pouvoir de
Delhi met sous tutelle une région
à majorité musulmane sans la
consulter. Mardi, pour éviter
toute possible rébellion des auto-
rités locales, trois hauts respon-
sables politiques ont été assignés
à résidence. A l’extérieur aussi. Le
premier ministre pakistanais,
Imran Khan, dont le pays possède
l’arme nucléaire au même titre
que l’Inde, est catégorique: «Nous
nous battrons contre cette
[mesure] devant toutes les ins-
tances, y compris au Conseil de
sécurité de l’ONU.» Il
indique aussi vouloir sai-
sir la Cour pénale inter-
nationale, avant d’ajou-
ter: «Si le monde n’agit
pas aujourd’hui [...] alors la situa-
tion atteindra un stade dont nous
ne serons pas responsables.»
Directeur de recherche émérite
du CNRS et chercheur senior au
Asia Centre de Paris, Jean-Luc
Racine décrypte cette situation
complexe et explosive.


Comment qualifiez-vous la décision
du gouvernement indien?
C’est
manifestement une décision his-
torique qui va peser lourd. Mais
elle n’est pas surprenante. L’idée
figure dans tous les programmes
électoraux du Bharatiya Janata
Party (BJP) depuis des décennies.
Ceux-ci comprennent régulière-
ment trois éléments: le statut
constitutionnel du Cachemire, la
nécessité de construire un temple


[de Rama, un roi mythique de
l’Inde antique] là où fut détruite
la mosquée de Babri en 1992 et
enfin la volonté d’instaurer un
code civil uniforme. Pour le BJP,
la question du Cachemire est prio-
ritaire.

Pourquoi le premier ministre Modi
a-t-il pris cette décision mainte-
nant? Si Narendra Modi passe à
l’action, c’est parce qu’il sent qu’il
peut le faire. Lors des élections
législatives d’avril et mai derniers,
son parti a fortement
renforcé sa majorité à la
Chambre basse du parle-
ment. A la Chambre
haute, Modi n’a pas la
majorité, mais il est tout à fait à
même de créer des majorités de
circonstance. Ne l’oublions pas,
l’opposition indienne est très
affaiblie. Le Parti du Congrès n’a
plus de chef, Raul Gandhi a démis-
sionné. Un comité ad hoc doit se
réunir pour trouver un nouveau
leader. La direction du Parti du
Congrès n’a pas vraiment réagi à
l’annonce de la révocation. C’est
pourtant une question majeure
en Inde.

Quelles sont les conséquences de la
révocation de l’autonomie du Cache-
mire? Il y a tout d’abord un pro-
blème constitutionnel. Oui, le
statut d’autonomie était une ques-
tion temporaire et résultait d’un
accord conclu entre l’Etat princier

de l’époque et New Delhi. Mais il a
été inscrit dans l’article 370 de la
Constitution. L’abolition de l’ar-
ticle 35 A de la Constitution a aussi
de graves conséquences. Selon
cette disposition, les Indiens non
musulmans n’ont pas l’autorisa-
tion d’acheter des terres dans
l’Etat du Jammu-et-Cachemire et
ne peuvent pas non plus devenir
des fonctionnaires. Pour les
Cachemiris, cette abolition est le
feu vert à une immigration de
non-musulmans. Le président de
la République, avec l’appui du gou-
vernement indien, peut abolir
l’article 370. Mais il l’a fait sans la
moindre consultation les princi-
paux concernés. Aujourd’hui,
l’Etat du Jammu-et-Cachemire est
sous la férule du président indien
et l’Assemblée législative n’a pas pu
statuer sur la question. Le redé-
coupage de l’Etat [en deux entités,
le Ladakh et le Cachemire hima-
layen] touche aux structures fédé-
rales. Il doit être entériné par le
parlement. Mais il devrait l’être.
Même des partis pourtant très
opposés au premier ministre le
suivent sur le dossier du Cache-
mire.

La décision de Modi va-t-elle susci-
ter des remous en Inde? Elle risque
de créer des divisions accrues. Les
milieux économiques estiment
qu’il n’y a pas de raison d’accorder
un statut particulier au Jam-
mu-et-Cachemire. Ils y voient des
opportunités d’investissements.
D’autres voient en revanche un
risque pour l’unité de l’Inde en
retirant quelques privilèges à une
minorité musulmane. Il y aura des
appels devant la Cour suprême,
mais il reste qu’un Etat est rétro-
gradé au statut de territoire. C’est
étonnant. Les partis politiques du
Jammu-et-Cachemire jouaient

pourtant le jeu des élections sur
le plan tant local que national.

Le Cachemire, zone très militarisée
disputée entre le Pakistan et l’Inde,
risque-t-il de sombrer dans une
guerre? Une guerre me paraît très
peu probable. Les deux Etats pré-
fèrent les actions rapides et
brèves jusqu’à ce qu’une action
internationale permette d’éviter
le pire. Mais les forces insurrec-

tionnelles, affaiblies, pourraient
être renforcées.

Le président Trump a proposé une
médiation entre l’Inde et le Pakistan
pour le Cachemire. Oui, le président
américain a sorti cette proposition
de son chapeau. Pour libérer un
pilote prisonnier, c’est possible
d’avoir une médiation étrangère.
Mais sur le statut du Cachemire,
c’est hors de question. En 1972, Zul-

fiqar Ali Bhutto et Indira Gandhi
avaient conclu l’accord de Simla
précisant que cette question ne
serait réglée que de façon bilatérale.
Modi avait promis de reprendre le
dialogue avec le Pakistan. Mais il ne
l’a jamais engagé de façon sérieuse.
New Delhi n’a pas l’intention de le
faire tant que le Pakistan ne mettra
pas en prison les auteurs d’attaques
terroristes dans le Cachemire et à
Bombay en 2008. ■

Un train en partance, dimanche, dans une gare du Jammu-et-Cachemire. Des milliers d’Indiens et de touristes ont fui la région
ce week-end, après y avoir été invités par le gouvernement de New Delhi. (CHANNI ANAND/AP PHOTO)

«La révocation du


statut du Cachemire


va peser lourd»


INDE Après l’annonce lundi de la révocation de l’autonomie


du Jammu-et-Cachemire, seul Etat à majorité musulmane, New


Delhi a assigné plusieurs politiques à résidence. Le Pakistan va


recourir aux instances internationales. Décryptage par Jean-Luc


Racine, directeur de recherche émérite du CNRS


JEAN-LUC RACINE

INTERVIEW

FLORIAN DELAFOI
t @FlorianDel


«Donald Trump prône l’unité contre
le racisme». Le titre, qui s’affichait en
une du prestigieux New York Times , a
enflammé les réseaux sociaux. Le dis-
cours du président américain, prononcé
suite au massacre d’El Paso, visait à
condamner la haine et le suprémacisme
blanc. Une prise de parole suffisante
pour changer la perception de Donald
Trump? De nombreuses personnalités
ont dénoncé une lecture faussée de sa
déclaration, rappelant ses frasques et
l’essence du trumpisme. Plus encore,


elles s’inquiètent d’un manque de pro-
fondeur historique.
Le locataire de la Maison-Blanche qua-
lifie l’immigration d’invasion. Le mois
dernier, il attaquait quatre élues démo-
crates à coups de tweets racistes. L’une
des politiciennes visées, Alexandria Oca-
sio-Cortez, a d’ailleurs critiqué le choix
du New York Times : «Que cette première
page nous rappelle à quel point la supré-
matie des Blancs est favorisée par la
lâcheté des institutions dominantes.»

Un exercice périlleux
Une vague de réactions accompagnée
d’une menace. Plusieurs internautes ont
affirmé vouloir mettre fin à leur abon-
nement au vénérable quotidien, jusqu’à
appeler leur communauté en ligne à les
suivre dans cette démarche. Le titre a
finalement été modifié dans la deu-
xième édition papier. Une nouvelle for-
mule plus nuancée: Donald Trump
s’attaque à la haine, mais pas aux armes

à feu. «Le premier titre n’est jamais
apparu sur le site, seulement dans la
première édition papier», s’est défendue
Danielle Rhoades, vice-présidente de la
communication du journal.
Ce choix jugé maladroit illustre la dif-
ficulté des médias à couvrir l’actualité
de la présidence. Un exercice périlleux
présenté dans le documentaire Mission
vérité – Le «New York Times» et Donald
Trump, de Liz Garbus (proposé par Arte),
qui présentait une plongée dans le quo-
tidien du journal après l’investiture du
président républicain. La rédaction
empoignait ce «sujet en or» non sans
difficultés. L’imprévisibilité du chef de
l’Etat, ses provocations à répétition et sa
politique demandent une attention de
tous les instants. Le film montrait notam-
ment les rapports de force entre la direc-
tion de New York et le bureau de Was-
hington au sujet de la première page. Le
titre de l’édition du lendemain était déjà
un objet de discorde. ■

Le «New York Times», Donald


Trump et le difficile art du titre


MÉDIAS Le quotidien américain a indi-
qué que le président se positionnait
contre le racisme. Publié en une du jour-
nal, le titre a déclenché une salve de
critiques. Une polémique qui montre la
difficulté des médias à couvrir l’action
d’un président hors norme


Rome durcit le ton contre les ONG

Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU s’est
dit mardi «inquiet» après l’adoption par le parlement italien
d’une loi plus répressive contre les ONG qui récupèrent des
migrants en Méditerranée. La Commission européenne a
pour sa part annoncé son intention «d’analyser» la nouvelle
législation italienne afin de «vérifier sa compatibilité avec le
droit européen», a précisé un de ses porte-parole. Le texte
adopté par la Chambre des députés et par le Sénat accorde
au ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, des pouvoirs
élargis pour interdire les eaux territoriales aux navires ayant
secouru des migrants, confisquer les bateaux des ONG et
imposer à leurs commandants des amendes pouvant aller
jusqu’à 1 million d’euros. AFP

Pékin promet le feu à Hongkong

«Ceux qui jouent avec le feu périront par le feu.» Au
lendemain d’une journée de chaos à Hongkong, Pékin a
adressé mardi son plus ferme avertissement en date aux
manifestants locaux qui défient depuis deux mois le régime
communiste. «Ne sous-estimez jamais la ferme
détermination et la puissance immense du gouvernement
central», a lancé lors d’une conférence de presse le porte-
parole du Bureau des affaires de Hongkong et Macao du
gouvernement chinois, Yang Guang. AFP

EN BREF

Anti-touristes
sous enquête
en Espagne
La police
espagnole
enquêtait mardi
sur des actes de
vandalisme menés
par une
organisation
d’extrême gauche
militant contre le
tourisme de
masse.
Ce mouvement
montre dans une
vidéo deux
militants au
visage masqué en
train de taguer,
crever les pneus et
casser au marteau
le pare-brise de
voitures de
location. AFP

MAIS ENCORE
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