Temps - 2019-08-07

(Barry) #1
MERCREDI 7 AOÛT 2019 LE TEMPS

Actualité 5

YELMARC ROULET
t @YelmarcR


Ils ne sont pas du même bord et
ils ne se connaissaient pas. C’est
au sein de Mensa qu’ils se sont
rencontrés, cette société qui ras-
semble partout dans le monde les
personnes à quotient intellectuel
élevé. Aujourd’hui qu’ils briguent
tous deux un siège au Conseil
national, pour les élections fédé-
rales du 20 octobre, ils n’hésitent
plus à se présenter comme «can-
didats à haut potentiel».
Chantal Donzé, 48  ans, qui
enseigne l’économie et le droit au
Gymnase d’Yverdon-les-Bains,
figure sur la liste du PDC Vaud. En
2015, cette Biennoise d’origine
s’était présentée aux élections
dans le canton de Berne, avec des
arguments nettement plus clas-
siques. Elle s’était beaucoup
impliquée dans sa ville pour la
mise en œuvre de la filière
bilingue jusqu’à la fin du secon-
daire. Aujourd’hui, elle estime
qu’il n’y a aucune raison de taire
son appartenance aux 2% de la
population pouvant revendiquer
un QI supérieur à 131 sur l’échelle
de Wechsler.


Raoul Sanchez, 57  ans, est
membre de l’UDC. Il siège depuis
2016 à l’exécutif communal d’Ey-
sins, sur La Côte vaudoise, où il
dirige le dicastère des transports
et des espaces verts. Ingénieur en
informatique, il a travaillé pen-
dant quinze ans comme chef de
projet au siège genevois des
Nations unies, avant d’être consul-
tant indépendant.
Bien sûr, ils n’ont pas les mêmes
idées politiques. Chantal Donzé
assure qu’elle s’élève régulière-
ment contre les positions de
l’UDC. Elle a rejoint les démo-
crates-chrétiens par tradition
familiale, appréciant «les valeurs
humanistes et solidaires autant
que l’équilibre entre responsabi-
lité individuelle et intervention
de l’Etat» de ce parti. Raoul San-
chez se souvient du déclic. C’était
en 1992, au moment du vote sur
l’Espace économique européen
(EEE): «J’ai réalisé que l’UDC était
le seul parti à défendre la souve-
raineté de la Suisse.»

«Clairement un atout»
Ces divergences n’empêchent
pas la connivence de se créer,
comme c’est souvent le cas à les
entendre, entre personnes à haut
potentiel. Une connivence qui les
a poussés à contacter ensemble
Le Temps. «C’est en faisant des
postulations de cadre pour l’ad-
ministration fédérale que j’ai fini

par croire à l’importance de ce
facteur dans mon profil, explique
Chantal Donzé, qui a travaillé
durant dix ans comme écono-
miste dans plusieurs offices fédé-
raux. Cette spécificité est assez
rare, elle est très valorisée dans
certains pays, aux Etats-Unis
notamment.» Raoul Sanchez, lui,
détecté «haut potentiel» dès son
enfance, n’en parle que depuis

peu. «Pour moi, jusqu’à présent,
cela a plutôt été un sujet tabou.
Sans doute parce qu’en Suisse
nous n’aimons pas trop nous mon-
trer.»
Mais en politique, en campagne
électorale, est-ce bien opportun
d’en parler? «C’est clairement un
atout, assure Chantal Donzé. Cer-
tains candidats font valoir leur
richesse, leur statut social, leur
âge ou leur expérience. Nous,
nous avons un potentiel intellec-
tuel qui permet de cerner rapide-

ment un interlocuteur ou un dos-
sier, ce qui peut faciliter la vie et
l’efficacité d’un parlementaire.»
«Ce n’est pas pour nous en vanter,
explique de son côté Raoul San-
chez, mais pourquoi ne pas le
dire? Cela peut aider d’autres à
témoigner, et à surmonter les
réactions négatives qu’il peut y
avoir à ce sujet.»

Un fort besoin d’information
Les êtres dotés de ce QI supé-
rieur se reconnaissent à leur fort
besoin d’information, à leur rapi-
dité d’assimilation (des langues
par exemple), à leur capacité de
synthèse. En société, ils peuvent
se tenir un peu sur la réserve, faire
preuve d’un humour un peu
décalé, et leur tendance à travail-
ler seul peut nuire à l’esprit
d’équipe, note Raoul Sanchez.
«J’ai repéré des élèves à haut
potentiel, ce qui avait échappé à
mes collègues», assure Chantal
Donzé.
Mais, au fait, à combien se
monte le quotient intellectuel de
nos interlocuteurs? «Ah, je ne
veux pas vous le dire», s’exclame
Raoul Sanchez, comme en
réponse à une question indis-
crète. Quant à Chantal Donzé, elle
dit ne pas se souvenir précisé-
ment d’un chiffre qui peut varier
selon les méthodes de mesure. Les
candidats HP ont aussi leur
coquetterie. ■

Des candidats aux fédérales


affichent leur haut potentiel


VAUD Dans une démarche com-
mune et inédite, la PDC Chantal
Donzé et l’UDC Raoul Sanchez
avancent leur QI élevé comme un
bon argument de campagne


Selin Gören et Albertine Grbic, deux regards sur la conférence de Lausanne. (IMSENG SONIA)

«Ce n’est pas pour

nous en vanter,

mais pourquoi ne

pas le dire?»
RAOUL SANCHEZ

SONIA IMSENG
t @SoniaImseng


«A Istanbul, les grévistes du
climat sont avant tout des jeunes
de moins de 15 ans.» C’est avec
cette description que Selin
Gören, 18 ans, parle du mouve-
ment en faveur du climat dans
son pays. Là-bas, les jeunes de
son âge et les adultes ne sont pas
les plus déterminés à se mettre
en grève pour cette cause. «J’es-
saie d’inclure des personnes plus
âgées dans notre combat, car cela
nous aiderait à avoir plus de visi-
bilité et de légitimité», explique
cette étudiante turque. Tout l’in-
verse au fond de ce qui se passe
en Suisse: «Nous sommes en
grande majorité des étudiants en
études supérieures et nous cher-
chons à sensibiliser les plus
jeunes», compare Albertine
Grbic, 17 ans, membre du collec-
tif vaudois pour la grève du cli-
mat. C’est l’une des différences
que peuvent constater ces deux
militantes dans leur combat.


Marqué par les élections
Selin Gören est à Lausanne pen-
dant une semaine pour participer
au sommet international du cli-
mat, Smile for Future. En logeant
chez Albertine Grbic, elle a décou-
vert l’organisation suisse du mou-
vement. «Je me rends compte à
quel point la mobilisation est forte
ici, et très bien organisée, cela me
permettra de ramener des idées
pour mon pays, note l’étudiante
turque. Chez nous, contrairement
à ce qui se passe en Suisse, il n’y a
pas de rencontre nationale ou
même à l’échelle d’une grande
ville. Il s’agit toujours de rassem-
blements par petits groupes ou
par école.»


Dialogue turco-suisse sur le climat


SOMMET Selin Gören fait la
grève à Istanbul, Albertine Grbic
dans le canton de Vaud. En discu-
tant de leur expérience, les jeunes
militantes constatent certaines
différences


En Suisse, le contexte politique
est marqué par les prochaines élec-
tions fédérales, et «un jeu s’ins-
talle». «C’est celui qui parlera le
plus du climat qui sera le plus à
même d’être élu, critique Albertine
Grbic. Nous sentons que, pour cer-
tains, c’est hypocrite.» Cette suren-
chère est à l’opposé de ce qui se
passe en Turquie, où «les prises de
position publiques des politiciens
en faveur du climat ne se font
presque jamais entendre, par
crainte de représailles». Le soutien
viendrait surtout du côté des partis
d’opposition, comme le Parti répu-
blicain du peuple (CHP).
Dans un pays connaissant une
aussi grande instabilité politique
et économique que la Turquie, n’y
a-t-il pas d’autres priorités que l’en-
vironnement? «C’est vrai, répond

Selin Gören. Il est difficile de faire
comprendre l’urgence de la situa-
tion climatique, alors qu’il y a tant
d’autres problèmes.» Mais l’un
n’empêche pas l’autre, ajoute l’étu-
diante, car «il y a des connexions:
en luttant pour le climat, nous
sommes aussi dans une démarche
anticapitaliste». Une inter-
connexion qui parle également à
Albertine Grbic: «Nous avons
besoin de changements globaux,
de changer les mentalités. Nous
devons tous nous battre ensemble
pour le climat, en incluant d’autres
luttes», confirme-t-elle.

Combat de luxe?
Les critiques qui reprochent aux
écologistes de mener «un combat
de luxe, pour des privilégiés» sont
connues dans les deux pays, et

également rejetées. «Cette bataille
concerne tout le monde. Quelques
informations très concrètes per-
mettent à chacun de comprendre
l’urgence de la situation, même
sans avoir un niveau d’éducation
supérieur», clame Selin Gören,
qui constate une prise de
conscience de plus en plus large
dans son pays. Pour Albertine
Grbic, c’est avant tout une ques-
tion de curiosité, «pas de milieu
social ou de croyance politique».
Les deux filles se retrouvent
dans leur motivation et l’envie
d’agir. «Cela nous donne toute
notre énergie. Ce sommet nous
permet de nous inspirer des
autres et de créer des relations qui
sont avant tout humaines»,
conclut Albertine Grbic, avec l’ap-
probation de Selin Gören. ■

BORIS BUSSLINGER
t @BorisBusslinger

«Je compare mon salaire avec
ceux qui me l’offrent, les contri-
buables. Vu ainsi, c’est un très bon
salaire.» Serge Gaillard, le direc-
teur de l’Administration fédérale
des finances, touche 20 000 francs
chaque mois. Une somme qu’il
juge exagérée par rapport à ses
besoins, ainsi qu’il l’a confié aux
journaux du groupe Tamedia,
dans une interview parue mardi.
Au-delà de son propre revenu,
l’ancien secrétaire général de
l’Union syndicale suisse (USS)
dénonce l’augmentation continue
des gains des plus hauts fonction-
naires de l’Etat.
«Les salaires des cadres ne
devraient pas augmenter davan-
tage que la moyenne», argumente
Serge Gaillard. Selon lui, «ce
genre d’évolution contribue à
diminuer l’acceptation des élites
par la population» et risque
d’avoir «un effet corrosif sur notre
structure sociale».

Un mythe
Souvent mise en avant par les
défenseurs des hautes rémunéra-
tions de l’Etat, la difficulté de
dénicher des profils compétents
pour les postes à responsabilité
ne serait par ailleurs qu’un mythe:
«Pour un job intéressant et sûr, il
arrive que les candidats soient
prêts à se priver de 50 000 francs

par an», affirme Serge Gaillard
dans la même interview. Même en
proposant des salaires inférieurs,
le directeur assure ainsi n’avoir
«jamais eu de peine à remplir un
poste de cadre».
Président  de la Conférence
des  directeurs cantonaux des
finances, le conseiller d’Etat
jurassien Charles Juillard com-
prend les remarques de Serge
Gaillard. Du moins en partie. «Il
est vrai que les cadres de l’admi-
nistration sont très bien payés»,
analyse le politicien PDC. «De
plus, la Confédération, tout
comme certains cantons fortu-
nés, ont les moyens de pratiquer
les prix du marché en sortant des
grilles salariales», souligne-t-il.

Perles rares
Une politique que son canton
n’applique pas. «Mais au vu des
difficultés, nous réfléchissons à
la flexibiliser», précise l’argentier
jurassien. Car si Serge Gaillard
affirme qu'il est toujours parvenu
à trouver la perle rare, même en
pratiquant des salaires plus bas,
«son commentaire s’inscrit dans
un cadre où, de manière générale,
l’employeur est très généreux».
Le ministre cantonal vit, lui,
dans une situation bien diffé-
rente: «Dans mon Département
des finances, nous avons beau-
coup de peine à recruter des spé-
cialistes dans certains domaines.
L’informatique par exemple, ou
encore la fiscalité. Les salaires que
nous pouvons offrir sont nette-
ment inférieurs à ce qu’offre le
secteur privé.» Un problème que
la riche administration fédérale
ne connaît vraisemblablement
pas. ■

RÉMUNÉRATIONS Le directeur
de l’Administration fédérale des
finances assure qu’il est possible
de recruter des cadres à des
salaires moindres. Ce qui fait
envie à certains cantons

Serge Gaillard dénonce

les hauts salaires

SYLVIA REVELLO
t @sylviarevello

Les mauvaises nouvelles se
suivent et se ressemblent pour
Matthias*, antispéciste âgé d’une
vingtaine d’années, incarcéré
depuis fin novembre 2018 à
Champ-Dollon. En début de
semaine, le Tribunal des mesures
de contrainte a de nouveau pro-
longé de deux mois la détention
préventive du jeune militant soup-
çonné d’avoir caillassé des bouche-
ries et des fast-foods et vandalisé
l’abattoir de Perly au printemps


  1. Ses soutiens, collectifs antis-
    pécistes, gauche radicale et asso-
    ciations étudiantes, manifesteront
    mercredi matin devant le Palais de
    Justice à Genève pour dénoncer
    un «acharnement judiciaire et
    politique». A leurs yeux, Matthias
    est «l’otage d’un système législatif
    qui protège des intérêts écono-
    miques au détriment de la
    dignité humaine et animale».
    «Neuf mois de prison pour des
    dommages à la propriété, c’est
    clairement disproportionné»,
    tance le nouvel avocat de Mat-
    thias, Olivier Peter, qui précise
    qu’un recours sera déposé.
    Membre de l’étude genevoise
    Interdroit, il s’est spécialisé dans
    la défense des droits fondamen-
    taux des activistes. «Compte tenu
    de ce qui est reproché à Matthias,
    soit des faits ayant eu lieu à l’ex-
    térieur, une assignation à domi-


cile serait largement suffisante»,
estime-t-il.
Dans sa décision, le Tribunal des
mesures de contrainte invoque
uniquement le risque de récidive
et non plus le risque de collusion.
«La justice considère l’apparte-
nance à un mouvement antispé-
ciste comme un facteur aggra-
vant, dénonce Olivier Peter.
Autrement dit, si mon client
reniait ses convictions, il pourrait
sortir.» Une «situation absurde»,
selon lui, l’antispécisme étant une
«philosophie légale et légi-
time». L’avocat va même jusqu’à
évoquer un risque de persécution:
«On part du principe qu’un antis-
péciste est potentiellement dan-
gereux. Il en va pourtant de la
liberté de conscience.»

Dans l’attente d’expertises
En juin dernier, le procureur
chargé du dossier, Adrian Hol-
loway, justifiait la durée de la
détention par des expertises com-
mandées à l’Institut forensique
de Zurich qui tardaient à arriver.
Impossible, pour l’heure, d’en
connaître les résultats.
«Aujourd’hui, le Ministère public
demande deux mois supplémen-
taires afin de rédiger l’acte d’ac-
cusation à transmettre au Tribu-
nal pénal. L’enquête paraît donc
terminée», conclut Olivier Peter,
ce qui rend une nouvelle prolon-
gation «d’autant plus incompré-
hensible» à ses yeux. Depuis le
début de son incarcération, Mat-
thias se plaint d’une alimentation
inadaptée. D’après son avocat, elle
lui causerait aujourd’hui des pro-
blèmes de santé. ■

* Prénom d’emprunt

GENÈVE Soupçonné d’avoir cail-
lassé des boucheries et vandalisé
un abattoir, le jeune activiste
vient de voir sa détention préven-
tive prolongée de deux mois. Il a
changé d’avocat

Détention prolongée

pour un antispéciste
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