Temps - 2019-08-07

(Barry) #1

RACHEL RICHTERICH


t @RRichterich


L’accalmie de mardi semblait presque
irréelle, tant les séances folles se sont
enchaînées sur les marchés financiers
depuis jeudi. Après avoir plongé en fin de
semaine, les bourses américaines, euro-
péennes et asiatiques ont creusé leurs
pertes lundi. Dow Jones et Nasdaq per-
daient entre 3 et 3,5%, enregistrant leur
pire séance depuis le début de l’année
après une semaine mouvementée. Le SMI
cumulait plus de 3% de repli depuis ven-
dredi. En parallèle, l’or, le franc et le yen
jouaient leur traditionnel rôle de refuge;
de même que les obligations, l’emprunt à
dix ans de la Confédération atteint -0,9%,
un plus bas historique. Et l’indice de vola-
tilité a doublé en l’espace d’une semaine.
Cet embrasement généralisé, que cer-
tains observateurs n’ont pas hésité à qua-
lifier de «carnage», est le résultat de trois
facteurs déclencheurs.


1• DES DOUTES SUR
L’INDÉPENDANCE DE LA FED


Première étincelle, mercredi dernier,
quand la Réserve fédérale américaine
(Fed) annonçait une baisse de ses taux
d’intérêt d’un quart de point pour les
fixer dans une fourchette de 2 à 2,25%.
«Le point troublant n’était pas la baisse,
qui était attendue et n’a d’ailleurs pas
provoqué d’intenses remous sur les mar-
chés. C’était la manière dont elle a été
annoncée», soulève Philippe Schindler,
directeur de la société de conseil en inves-
tissement Heravest.
Le président de la Fed, Jerome Powell, a
en effet semblé embarrassé au moment
de justifier sa décision lors de son discours
à la presse, car l’économie américaine est
jugée solide, avec un niveau de chômage
au plus bas, qui n’imposait pas une telle
mesure. «Les marchés n’ont pas apprécié
un discours qui est apparu comme
ambigu», renchérit Gianluca Tarolli de
chez Bordier & Cie.
Avec ces mesures, présentées comme
préventives au vu des craintes grandis-
santes pour la conjoncture mondiale,
Jerome Powell aurait-il en fait cédé aux
pressions continues de Donald Trump en
ce sens? «Cela jette le doute sur l’indépen-
dance de la banque centrale par rapport
au politique», pointe Philippe Schindler.


2• TRUMP OUVRE LE FEU
Moins de vingt-quatre heures plus tard,
le président américain allumait la mèche
en annonçant sur Twitter de nouveaux


droits de douane de 10% sur les 300 mil-
liards de dollars d’importations chinoises
jusque-là épargnées. Ces taxes frapperont
des produits de grande consommation
comme les téléviseurs à écran plat ou les
baskets.
Cette nouvelle salve dans le conflit com-
mercial a créé la surprise, dans un
contexte jusqu’à présent émaillé de négo-
ciations et de trêves. «Depuis quelques
semaines, la tendance était à l’apaise-
ment. Les déclarations de Trump dur-
cissent le conflit et augmentent la proba-
bilité de récession», avertit Gianluca
Tarolli.

3• LA RIPOSTE DE PÉKIN
Ces inquiétudes ont semblé se confir-
mer lundi, après que la Chine a décidé de
lâcher la bride de sa monnaie. Le ren-
minbi a alors plongé de 2%, à 7 yuans pour
1 dollar. Un seuil inédit depuis plus de dix
ans, qui a été interprété par de nombreux
observateurs comme une riposte de Pékin


  • un yuan plus faible rend les produits
    chinois plus compétitifs à l’exportation,
    en dépit des taxes douanières. «La Chine
    semble accepter désormais la possibilité
    de répondre de manière plus frontale aux
    attaques de Washington», note Philippe
    Schindler.
    «La crainte qu’ont exprimée les marchés
    financiers suite à cela, c’est que la guerre
    commerciale, qui frappe les échanges, ne
    soit désormais doublée d’une guerre des
    devises», souligne Jérôme Schupp, de
    chez Prime Partners.
    Si les conséquences que provoquerait
    un tel scénario restent difficiles à mesu-
    rer, les dégâts causés par le bras de fer
    auquel se livrent les deux plus grandes
    puissances mondiales sont déjà visibles
    sur l’économie réelle, pointe Jérôme
    Schupp.  En témoignent les derniers
    indices manufacturiers, censés refléter
    la santé des industries: «A l’exception du
    Canada et des Etats-Unis, ils sont partout
    dans le rouge. Y compris en Suisse»,
    constate l’analyste.
    La guerre commerciale semble loin de
    s’apaiser. «C’est une guerre pour la domi-
    nance non pas militaire, comme à l’époque
    de la guerre froide, mais technologique»,
    constate Philippe Schindler. «Dans un
    contexte de commerce mondialisé, la
    moindre attaque sur le front des échanges
    a des effets considérables. Les marchés
    vont devoir s’habituer à de nouvelles esca-
    lades dans le conflit», conclut-il. Sans
    doute aussi au scénario d’une récession
    mondiale, dont les contours semblent
    désormais se préciser. ■


–0,4%

LES LOYERS DES LOGEMENTS EN SUISSE ONT
RECOMMENCÉ À BAISSER EN JUILLET PAR
RAPPORT À JUIN, APRÈS QUATRE MOIS DE
HAUSSE. Le recul se monte à 0,4% en moyenne
nationale, indique mardi le site Immoscout24.
Par rapport à juillet 2018, la baisse est de 0,8%.

MATTEO SALVINI
Vice-premier ministre
italien
Il a plaidé mardi pour un
déficit public au-dessus des
2% du produit intérieur brut
en 2020, laissant craindre
un nouveau bras de fer avec
Bruxelles. Le budget italien
doit être présenté d’ici
au 30 septembre.

Les trois déclencheurs du «carnage boursier»


MARCHÉS La chute des actions, doublée d’une ruée sur les obligations et autres valeurs refuges de ces derniers jours,


est le fruit d’une escalade en trois étapes dans la guerre commerciale qui oppose Washington et Pékin


GHISLAINE BLOCH
t @BlochGhislaine


Sophia Genetics franchit un pas supplé-
mentaire. Désormais, l’entreprise basée
à Saint-Sulpice (VD) active dans l’analyse
des données médicales se lance dans les
essais cliniques. Elle a annoncé mardi une
collaboration avec la société ADC Thera-
peutics, une entreprise de biotechnologie
américaine basée au Biopôle d’Epalinges


et qui a annoncé, en juillet dernier, la
levée de 303 millions de dollars.
Active dans l’oncologie, ADC Therapeu-
tics développe plusieurs produits desti-
nés à traiter des maladies comme la leu-
cémie et les lymphomes. «Notre
technologie sera utilisée pour analyser
les patients qui participent à un essai cli-
nique de phase II. Cet essai a pour but
d’étudier l’efficacité du traitement chez
des personnes souffrant de lymphome
diffus à grandes cellules B, en rechute ou
réfractaires au traitement», précise Tarik
Dlala, vice-président marketing au sein
de la start-up vaudoise.
La technologie de Sophia Genetics per-
mettra d’analyser près de 4000 gènes

(biomarqueurs) provenant des cancers et
circulant dans le sang des patients. «Nous
allons établir une sorte d’empreinte digi-
tale des tumeurs. Le but est de  com-
prendre les caractéristiques des patients
qui répondent le mieux au traitement. En
identifiant les biomarqueurs liés à cette
réponse, l’objectif à long terme est de per-
sonnaliser la prise en charge des patients
et d’accélérer le développement de nou-
veaux médicaments», ajoute Tarik Dlala,
qui rappelle que 80% des essais cliniques
échouent «faute de recruter les bons
patients».
La start-up vaudoise, fondée en 2011,
serait en discussion avec d’autres sociétés
de biotechnologie. Parallèlement, sa tech-

nologie continue d’être adoptée par de
nombreux hôpitaux pour dépister avec
toujours plus de précision des cancers et
autres maladies héréditaires. Elle tra-
vaille avec plus de 980 établissements
dans 81 pays pour aider les cliniciens à
traiter les données génomiques et radio-
miques (analyse de l’imagerie médicale à
grande échelle). Une grande partie de ses
clients se trouvent aux Etats-Unis, où
Sophia Genetics a installé un siège régio-
nal à Boston.

Centre de R&D en France
Sophia Genetics compte actuellement
300 collaborateurs, dont 120 en Suisse, 50
aux Etats-Unis et 50 en France. Elle a

ouvert en avril 2018 un centre de recherche
et développement dans le Pays basque
français, où les effectifs ont fortement
augmenté en quelques mois. Jurgi
Camblong, le directeur et fondateur de
Sophia Genetics, aurait-il l’intention de
regrouper toute la recherche et le dévelop-
pement (R&D) sur son site d’Izarbel? L’en-
treprise lausannoise a l’avantage d’y béné-
ficier d’un crédit d’impôt recherche qui
réduit l’impôt par la déduction d’une par-
tie des dépenses engagées pour développer
ses activités. «Nous venons de tripler notre
surface à Saint-Sulpice, ce n’est pas pour
déménager en France, réfute Tarik Dlala.
Des engagements ont lieu partout, en
Suisse comme ailleurs.» ■

Sophia Genetics se lance dans les essais cliniques


BIOTECH La start-up vaudoise travaille
avec près de 1000 hôpitaux. Fait nouveau:
elle collabore aussi avec l’industrie bio-
tech en vue d’accélérer le développement
de nouveaux médicaments


SMI
9553,
–0,47%

l

Dollar/franc 0,9781 k

Euro/franc 1,0945 k

Euro Stoxx 50
3291,
–0,58%

l

Euro/dollar 1,1198 l

Livre st./franc 1,1878 k

FTSE 100
7171,
–0,72%

l

Baril Brent/dollar 59,66 l

Once d’or/dollar (^1469) k
Economie&Finance
ANOUCH SEYDTAGHIA

t @Anouch
Une baisse de 2,2% jeudi, de 2,1%
vendredi avant un plongeon de 5,2%
lundi. L’action d’Apple – qui était en
hausse de 1,5% mardi à l’ouverture de
Wall Street – souffre de la guerre
commerciale sino-américaine. Les
cinq géants américains de la tech –
Facebook, Microso, Amazon, Goo-
gle et Apple – ont vu leur capitalisa-
tion fondre de 162 milliards de dollars
au total lundi. Avec -53 milliards, la
marque à la pomme est celle qui est
la plus sensible au conflit actuel. Et
pour cause: les quatre autres multi-
nationales n’ont quasiment aucune
présence en Chine. Non seulement
Apple y fait assembler la majorité de
ses produits, mais en plus, les
consommateurs chinois achètent
20% de ses iPhone.
La firme dirigée par Tim Cook
craint avant tout de voir ses appareils
fabriqués en Chine renchérir. Son
appel à l’administration américaine,
demandant des exceptions de taxa-
tion pour certains produits, dont ses
ordinateurs Mac, s’était heurté à une
fin de non-recevoir de Donald Trump.
Via Twitter, le président américain
avait conseillé à la société de produire
ses ordinateurs aux Etats-Unis.
Actuellement, environ 95% des
iPhone sont assemblés en Chine.
Profitabilité en baisse
A priori, Apple va prendre sur lui
les surcoûts induits par la hausse des
droits de douane, qui doivent entrer
en vigueur le 1er septembre. «Si les
Etats-Unis décident de taxer à hau-
teur de 10% des biens chinois d’une
valeur de 300 milliards de dollars,
nous prévoyons, à court et moyen
terme, qu’Apple absorbe la majorité
des coûts liés à ces surtaxes. Les prix
des appareils sur le marché améri-
cain ne changeront pas», écrit dans
une note un analyste de la société
d’investissement TF International
Securities, basée à Hongkong. Dans
ce cas, selon un analyste de la société
américaine de gestion Wedbush, la
profitabilité d’Apple pourrait baisser
de 4% en 2020. ■
TECHNOLOGIE La multinationale
ne devrait pas répercuter les nou-
velles taxes sur le prix de ses appa-
reils
Apple, première victime de Donald Trump
SEMAINE MOUVEMENTÉE

Sources: Bloomberg
















0





Indices boursiers

-3,7%
-5,9%
-5,7%

22.07.19 06.08.

SMI
Nasdaq
Dow Jones

PLUS BAS HISTORIQUE

Sources: Bloomberg

-0,

-0,

-0,

-0,

-0,

-0,

-0,

Taux des obligations suisses à 10 ans

-0,87%

06.02.19 06.08.

NIVEAU INÉDIT

Sources: Bloomberg

6,

6,

6,

7,

7,

7,

Change dollar/yuan

7,

24.07.19 06.08.

VALEUR REFUGE

Sources: Bloomberg

1,

1,

1,

1,

1,

Change euro/franc

1,

24.07.19 06.08.

-5,23%
Avant de rebondir à l’ouverture
des marchés mardi, l’action
d’Apple avait perdu 5,23%,
soit 53 milliards de dollars,
de capitalisation la veille.

6,7 millions
C’EST, EN EUROS, LE PAIEMENT DE LA LÉGENDE DU
FOOTBALL FRANZ BECKENBAUER À MOHAMMED BIN
HAMMAM, ALORS CADRE À LA FIFA, À LA VEILLE DE LA
COUPE DU MONDE 2006 EN ALLEMAGNE. Trois membres
de la Fédération allemande de football sont aussi accusés
par la justice suisse d’avoir caché le but réel de l’opération.

(MIKE SEGAR/REUTERS)

MERCREDI 7 AOÛT 2019 LE TEMPS
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