Télérama Magazine N°3630 Du 10 Août 2019

(Nancy Kaufman) #1


À LIRE


L’Avenir de l’eau,


éd. Fayard, .


Géopolitique


du moustique,


éd. Fayard, .


Beaumarchais,


un aventurier


de la liberté,


éd. Stock, à paraître. ☞


Orsenna n’a longtemps été que le nom de la ville ima-


ginaire, vaguement méditerranéenne, du Rivage des Syrtes,


de Julien Gracq. Depuis deux décennies, c’est désormais


un archipel en expansion, aux contours mouvants, que


l’on redécouvre à chaque excursion sur erik-orsenna.com.


Dans ce pays numérique à l’iconographie désuète, l’île de


la Capitainerie voisine avec celles des Romans et de Tous


les Voyages, celle de la Grammaire avec celle des Biogra-


phies. Récemment, cette dernière s’est s’enrichie de nou-


veaux habitants : un certain Pierre Augustin Caron de


Beaumarchais vient de rejoindre les sieurs Louis Pasteur et


Jean de La Fontaine. Et gare aux moustiques qui, après le


coton, l’eau et le papier, ont envahi l’île de Tous les Voyages!


A la barre, l’écrivain et vieux loup de mer Eric Arnoult — dit


Erik Orsenna — a rme que le « devenir-archipel » de notre


vieille Terre est inéluctable. Ses ascendances cubaines, son


enfance sur l’île de Bréhat, ses incursions répétées à Gorée,


au large de Dakar, donnent de la force à son propos. Navi-


gateur intrépide, Erik Orsenna nous parle de la montée des


eaux qui menace les deltas, des populations aéroportées


qui envahissent les îles les plus lointaines, de cet imagi-


naire îlien qui nous inquiète, certes, mais continue de nous


faire rêver. A l’abordage!


Ma famille paternelle avait deux îles.


Une île mythique, Cuba. Mon grand-


père, enfant d’un couple de Cubains de


Bréhat! Neuf mois par an, on était à Pa-


ris. Mais pour moi, ce qui comptait,


c’était la Bretagne. Noël à Quimper, où


habitait la sœur de ma grand-mère, et tout l’été à Bréhat. On


prenait la route du nord en voiture, et, une fois que l’on était


à hauteur du Mont-Saint-Michel, la vie commençait. Dans


une ville, on ne voit pas les saisons, rien ne bouge. A Bréhat,


je regardais fasciné le paysage changer tout le temps, l’île se


rétrécir, s’étendre, car sur ses rivages les marnages — ampli-


tudes de marées — comptent parmi les plus importants du


monde :  mètres! Là-bas on vit avec le cycle des marées et


le décalage des cycles, car marées hautes et basses se pro-


duisent toujours à des heures di érentes. M’est entré dans


la tête que la réalité était le mouvement.


Santiago, homme extrêmement conservateur, était pour-


tant fasciné par la prise de pouvoir de Fidel Castro : les Cu-


bains reprenaient les manettes, chassaient les Américains!


Voyageur de commerce, il vendait des locomotives en Uru-


guay, avait pour habitude d’embarquer sur une ligne mari-


time italienne qui partait du Havre, faisait escale à Mar-


seille et gagnait Montevideo. Le frère de mon père,


architecte, est parti en  pour le Brésil a n de travailler


avec Oscar Niemeyer. On était des Latinos! Pour moi,


l’Amérique latine était une île géante, avec une sorte


d’avant-garde, Cuba. Et quand j’ai lu les romanciers sud-


américains, je me suis dit : c’est ma famille!


D’où vient


votre passion


pour les îles?


Et la deuxième


île?


LES ÎLES DE BRÉHAT À GORÉE LES ÎLES DE BRÉHAT À GORÉE


Erik

Orsenna

Erik

Orsenna

Amoureux de la Bretagne, magnétisé par l’Antarctique,


l’écrivain d’origine cubaine dispose de points


d’ancrage dans toutes les mers du monde. Un univers


luctuant dont il mesure les richesses et les fragilités.


Propos recueillis par Vincent Remy


Photo Olivier Metzger pour Télérama


Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19
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