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Les gens d’ici l’appellent l’immortelle des dunes.
Quand elle éclôt, l’été, ses petites fleurs jaunes dégagent un
parfum chaud et épicé qui, pour le promeneur averti, rap-
pelle le curry. Immortelle, pourquoi au fait? Ses racines
sont solides et très profondes. Et « quand une racine prend,
à Noirmoutier, elle a des chances de durer », paraît-il. Un peu
à l’image du couple Jacques Demy-Agnès Varda, dont les ra-
cines familiales et artistiques poussent sur cette île de Ven-
dée depuis plus de quatre-vingts ans. Précisément au bourg
de La Guérinière, au centre. C’est là qu’enfant Jacques De-
my, qui habitait Nantes, venait souvent passer week-ends et
vacances avec ses parents, adeptes du camping sauvage
dans les dunes — il continuera adolescent. Plus tard, à la fin
des années 1950, il y emmènera Agnès Varda qui, comme
lui, tombera amoureuse du lieu. « Il cherchait une maison-
nette de pêcheur, on a trouvé un moulin abandonné », raconte
Agnès Varda dans Les Plages d’Agnès (2008). Ils rachètent le
moulin en 1962 et lancent d’importants travaux. Planté en
haut des dunes, il offre une vue splendide sur la mer et un
accès direct à la plage. Le couple y séjournera de nom-
breuses fois avec ses enfants, Rosalie (Varda) et Mathieu
(Demy) — Rosalie a même passé une année à l’école du vil-
lage. Mais le moulin Nicou, son nom officiel, sera bien plus
qu’un simple lieu de détente pour cette famille d’artistes.
« Jacques et moi [...], on aimait cette île. Y vivre. Y écrire. [...]
Elle m’inspirait. » (Les Plages d’Agnès, toujours). C’est là que
Jacques Demy va écrire dans les années 1960 Les Parapluies
de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne.
« J’étais enfant à l’époque, mais je me souviens de Michel
Legrand et de Jacques Demy en train d’inventer ce qui devien-
dra Les Demoiselles, confie Marc Tourneux, yeux bleu
océan, rencontré dans la cuisine du moulin voisin (on en
compte quatre à La Guérinière), que sa famille possède
encore. Michel Legrand était bien sûr au piano, Jacques se
tenait juste à côté. Tous les gamins jouaient ensemble, un petit
groupe très sympa s’était créé. Tout était ouvert, on circulait
beaucoup les uns chez les autres. Il n’y avait pas de chichis. »
Michel Legrand reviendra plusieurs fois avec ses deux fils.
Pour beaucoup, pas de doute : la chanson Les Moulins de
mon cœur, qui ouvre L’Affaire Thomas Crown, de Norman
Jewison (1968), lui a été inspirée par le moulin des Demy-
Varda. Le piano où il a composé trône encore dans le salon.
Le bureau donne sur la mer. Apaisant et inspirant. « Jacques
Demy se voyait comme la mer, gris et bleu », dit Agnès Varda,
encore dans Les Plages. La Guérinière servait aussi à souf-
fler, après les tournages. Des voisins se souviennent avoir ☞
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