LES ÎLES NOIRMOUTIERLES ÎLES NOIRMOUTIER
L’ART DE LA PATATE
Contrairement à l’idée reçue, la passion d’Agnès Varda
pour la patate ne vient pas de Noirmoutier, dont le
tubercule est pourtant l’un des symboles. Mais d’une
expérience singulière pendant le tournage des Glaneurs
et la Glaneuse. « Elle s’est rendu compte qu’en germant
les pommes de terre font des ramiications, qu’on peut
les replanter, et donc qu’il y a une vie après la vie »,
raconte Inès Allorant, qui a travaillé avec elle. « C’est
avec un tas de pourriture que j’ai fait mon entrée dans
le groupe des artistes visuels », s’amusait Agnès Varda.
croisé Catherine Deneuve (« j’ai nagé avec elle dans la pis-
cine », sourit Marc Tourneux), Françoise Dorléac, Marcello
et Chiara Mastroianni, Serge Gainsbourg, Michel Piccoli,
Yves Montand (des scènes de César et Rosalie et de Garçon !,
de Claude Sautet, se déroulent sur l’île), Danielle Darrieux
(qui y avait une maison), Jean Marais... Un vent de Festival
de Cannes sou ait parfois à Noirmoutier. Ou plutôt une
très légère brise, tant la simplicité était de mise. A l’image
de Jacques Demy, mort en , qui a laissé ici le souvenir
d’un homme facile d’accès et d’une immense gentillesse.
Noirmoutier, lieu de détente et d’inspiration pour les
Demy-Varda. De tournage aussi. L’île a
beaucoup traversé et nourri l’œuvre
d’Agnès, quasiment depuis ses débuts.
Dès , elle y tourne Les Créatures,
avec Catherine Deneuve et Michel Pic-
coli. Un lm à l’inquiétante étrangeté,
où un écrivain façonne son roman au
hasard de rencontres réelles ou imagi-
naires. On y retrouve beaucoup de
lieux emblématiques de Noirmoutier :
le couple Deneuve-Piccoli emprunte
le célèbre passage du Gois, unique ac-
cès à l’île à l’époque (le pont ne sera
cons truit qu’en ), et encore, seule-
ment à marée basse (« Jacques et moi,
on aimait arriver dans l’île quand la
marée venait à peine de libérer la route »,
dans Les Plages d’Agnès). Piccoli y
déambule entre le bois de la Chaise et
ses villas n e cossues, la plage des
Dames et ses petites cabines en bois
(qui a aussi servi de décor, plus récem-
ment, aux Vacances du Petit Nicolas),
la tour Plantier, qui domine tel un
(faux) phare la petite plage de l’anse
Rouge, le fort Saint-Pierre, fief au-
jourd’hui de l’école de voile... Un véritable hommage à l’île
et à Jacques Demy (le lm lui est d’ailleurs dédié), qu’Agnès
Varda voulait remercier de lui avoir fait découvrir.
Mais la réalisatrice ne s’est pas arrêtée au décor. Elle s’est
aussi intéressée aux habitants. Les Glaneurs et la Glaneuse
() évoquent ainsi le quotidien des pêcheurs à pied du
passage du Gois. Dans Quelques veuves de Noirmoutier (),
elle interroge des îliennes de tous âges et tous milieux sur la
façon dont elles vivent la solitude au quotidien. Inès Allo-
rant est de celles-là. « J’avais perdu mon mari peu de temps
avant le lm, raconte-t-elle devant un café à la librairie située
près du château. Agnès s’est intéressée à un sujet di cile et à
une parole jusque-là tue ou méconnue. » Et qui touchait la ci-
néaste au plus près : dans la séquence de n, bouleversante,
Agnès Varda est assise seule sur la plage de La Guérinière à
marée basse, une chaise vide à côté d’elle. On l’entend chan-
tonner Démons et merveilles. Puis apparaît la silhouette, tel
un gentil fantôme, de Jacques Demy, étendu sur le sable et
a chant un sourire discret. « Elle avait un rapport très fort à
la mer, elle a vécu son adolescence à Sète, poursuit Inès Allo-
rant. Elle a toujours aimé les plages, là où se mélangent le ciel,
la terre et la mer. » Après le lm, Inès continuera de travail-
ler pour Agnès, assurant la régie sur chaque événement se
déroulant à Noirmoutier. « Je faisais of-
ce de petite main, et parfois de cuisi-
nière. Agnès a toujours mélangé sa vie
personnelle et sa vie d’artiste. Quand elle
pelait des pommes dans un lm, on en
faisait une tarte et on la mangeait le
soir! Et puis, tourner à Noirmoutier lui
permettait aussi d’y passer huit jours.
Les miroirs qu’elle installe au début des
Plages d’Agnès, ça se passe sous ses fe-
nêtres! Pas folle, la guêpe! » Elle a par
exemple participé à l’œuvre vidéo Le
Tombeau de Zgougou, hommage au
chat chéri de la famille Demy-Varda (sa
tombe recouverte de coquillages se
trouve dans le jardin du moulin), qui
constituait l’une des attractions de
« L’Île et Elle » à la Fondation Cartier en
. Pour entrer dans l’exposition, le
visiteur devait franchir symbolique-
ment une barrière du Gois puis traver-
ser un rideau sur lequel le célèbre pas-
sage était projeté. Des cabanes de
pêcheurs reconstituées abritaient ins-
tallations, extraits de films, photos
d’insulaires... Ne manquaient que les
petites maisons blanches d’un étage aux volets (souvent)
bleus si typiques de l’île pour s’y croire totalement.
Agnès Varda s’est toujours intéressée aux cabossés de la
vie. « A La Guérinière, on a accueilli trois couples de migrants ;
elle prenait des nouvelles », con e la maire, Marie-France Lé-
culée. On la croisait souvent au marché, elle allait à la ren-
contre des gens, qu’elle regardait dans leur vie et leurs di cul-
tés. Elle était attachée à l’authenticité de l’île et de ses habitants. »
Tout comme son ls, Mathieu Demy. Il a tourné deux scènes
de son premier lm, Americano (), au Gois et au cime-
tière marin de l’Herbaudière. Le réalisateur prépare un nou-
vel opus — il était récemment en repérage sur l’île. Il y est
question de grands-parents accueillant leurs petits-enfants à
Noirmoutier pour les vacances. Dans Jacquot de Nantes, le
lm hommage à Jacques Demy sorti en , quelques mois
après sa mort, Varda scrute au plus près la maladie de son
époux. Plans très serrés sur ses mains, son visage. Il regarde
la mer, prend du sable dans la main. Elle lme les vaguelettes
et l’écume en gros plan tout en avançant dans l’eau. La camé-
ra se relève et arrive sur le corps de Jacques, qui regarde la
mer puis... disparaît. C’est sur cette plage adorée de La Gué-
rinière encore qu’elle a donné une conférence sur les oiseaux
aux enfants du village, quelques semaines avant sa mort, le
mars dernier. La commune devrait la rebaptiser « plage
d’Agnès », en hommage à l’autre « immortelle des dunes » •
En , les Demy-
Varda achètent
et rénovent un
moulin abandonné
à La Guérinière.
Il accueillera
quantité d’artistes
en villégiature.
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