ÉDITIONS DELCOURT, 2019 DIDIER TRONCHET
Partir de l’autre côté du monde, fuir la ville, se réfu-
gier sur une île (presque) déserte... Ce rêve récurrent chez
les urbains stressés, Didier Tronchet l’a fait. En , avec
Antoine, son ls de ans, le dessinateur a passé près d’un
an sur Nosy Nato, l’île aux Nattes, au large de Madagascar.
Un îlot de kilomètres carrés en plein océan Indien, un
« confetti » où l’auteur de Jean-Claude Tergal a découvert la
vie sans Internet, avec peu d’électricité, le nouveau visage
de son ls, ainsi qu’un personnage éminemment étrange :
lui-même. De cette expérience, il vient de tirer Robinsons,
père & ls, une BD témoignage où il décrit de manière enle-
vée, attachante et souvent drôle son quotidien, et tente sur-
tout d’expliquer ce qu’il appelle « la puissance secrète des
îles », leur capacité à révéler ce que la vie moderne s’acharne
à occulter, nos doutes, nos limites, notre part d’ombre.
UNE FASCINATION ANCIENNE
« Un jour, un ami m’a montré des photos de l’île où il ha-
bitait. Des plages désertes, du sable blanc, des cocotiers, un
lagon aux eaux transparentes, pas d’hôtels ni de tourisme
de masse, bref la quintessence du paradis. Nous revenions
tout juste d’un séjour de trois ans en Equateur, j’avais ans,
pas d’engagements, je me suis dit que c’était le moment de
vivre un vieux rêve. Grâce au Cned, qui assure l’enseigne-
ment o ciel de l’Education nationale, j’ai trouvé une petite
structure pour les enfants francophones sur l’île voisine de
Sainte-Marie. Seule “contrainte”, Antoine devait prendre
tous les jours la pirogue pour se rendre à l’école... Je suis
parti sur un coup de tête, sans intention littéraire, juste avec
le vague projet d’expérimenter le sentiment que pouvait
procurer la vie sur une île. C’est une fascination ancienne,
un poison dormant. J’ai grandi près de Béthune, dans le
Pas-de-Calais, dans une famille de mineurs. Enfant, je lisais
et relisais les albums de Tintin et Robinson Crusoé, en me
promettant d’aller un jour sur place. Mes proches ne com-
prenaient pas cette aspiration pour le grand dehors. Je me
souviens de ma tante me disant : “Pourquoi il bouge tout le
temps ton Tintin? Il n’est pas bien chez lui ?” »
MAUVAISE CONSCIENCE
« Je suis parti sans savoir quand je reviendrais. C’est la
seule façon que j’ai trouvée pour mener cette expérience le
plus honnêtement possible. Il fallait absolument que je
piège mon cerveau d’Occidental. Dès lors qu’il y aurait eu
une date de retour, ce formidable empêcheur de vivre en
rond aurait découpé le temps en tranches, créé des
échéances, des subterfuges et faussé ma perception. L’île
est un fuseau horaire où tout s’arrête. Coupé du monde,
sans Internet, avec peu d’électricité, on y perd rapidement
À LIRE
u
Robinsons
père & ils, de
Didier Tronchet,
éd. Delcourt,
p., , €.
« Ici, on peut « Ici, on peut « Ici, on peut
Propos recueillis par Stéphane Jarno
facilement facilement
partir à partir à partir à
la dérive »la dérive »
Sur un coup de tête, l’auteur de BD Didier
Tronchet a embarqué avec son ils pour une
île paradisiaque... sans Internet. À Nosy Nato,
au large de Madagascar, il n’y avait rien à faire,
à part vivre. Et c’était tout le problème!
Cette riche expérience lui a inspiré un album.
Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19