Île
fait bon
être
gay
Di cile de déambuler en talons aiguilles sur un pon-
ton de bois. A Fire Island, une ne langue de terre posée face
à l’océan Atlantique, à deux heures de New York, des drag-
queens perchées sur de vertigineux souliers relèvent pour-
tant tous les soirs le dé , alors que le soleil se couche à l’ho-
rizon. Certaines se rendent au Blue Whale, un bar bruyant
à l’entrée du port, pour animer une loterie. D’autres à l’Ice
Palace, une boîte un peu fatiguée qui surplombe la piscine
de l’hôtel voisin, pour un spectacle en play-back. Les vacan-
ciers qui reviennent de la plage les saluent, comme si de rien
n’était. A Fire Island, il en va ainsi depuis près d’un siècle.
L’île sauvage, où l’on ne se déplace qu’à pied ou en water
taxi (les voitures sont bannies), a mérité son surnom de
« paradis gay ». Dans les hameaux de Cherry Grove et des
Pines, les drapeaux arc-en-ciel de la communauté LGBT
(lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) ottent au fron-
ton des maisons et à la proue des bateaux. La majorité des
habitants — une poignée l’hiver, mais environ cinq mille
l’été — est homo, tout comme les visiteurs. « Quand je suis
venu ici la première fois, en , ça a été un choc! rigole Carl
Luss, un ancien avocat de ans, qui nous reçoit dans sa
petite maison en bois de Cherry Grove. J’avais fait mon co-
ming out depuis dix ans, mais je n’avais jamais vu une telle li-
berté en dehors des boîtes de nuit new-yorkaises. Ici, les
hommes se tenaient la main, s’embrassaient. Certains se bala-
daient à moitié nus. Nous étions ouvertement homos, et ça ne
dérangeait personne, bien au contraire! »
Depuis, l’avocat s’est fait aux coutumes locales. Passion-
né d’histoire, il est surtout devenu la mémoire de l’île, celui
fait bon
être
Île
fait bon
être
gay
À deux heures de New York, les habitants de
Fire Island vivent leur homosexualité sans
entrave, les drag-queens passent inaperçues.
Et la fête bat son plein depuis plus d’un siècle.
Lucas Armati Photos Tom Bianchi
Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19