Sept saisons : une
longévité devenue
rare sur nos écrans
alimentés en conti-
nu par de nouvelles
séries. Première production phare de
Netflix, Orange Is the New Black a su te-
nir la distance et tire sa révérence sans
perdre la force de ses engagements.
Arrivée en 2013, la série carcérale de
Jenji Kohan (créatrice de Weeds) a, bien
avant #MeToo, ouvert son foisonnant
casting à des femmes rendues invi-
sibles par les diktats hollywoodiens.
Sans jamais être de simples étendards,
les détenues de Litchfield, de tous âges,
origines et corpulences, ont engagé
une révolution dans un paysage « hété-
ronormé » et peuplé de héros blancs.
Au fil des saisons, la série ne s’est pas
contentée de dénoncer les aberrations
du système judiciaire, elle s’est affir-
mée comme une observatrice critique
des temps troublés que traversent les
Etats-Unis. Retour sur les combats
d’Orange Is the New Black à travers la
trajectoire de quelques personnages.
Dernière saison
d’Orange
Is the New Black :
le centre de
rétention où sont
placées les
immigrées en
attente d’expulsion.
78
Série
JoJo Whilden
QUATRE déTENUES cLéS
d’ UN MoNdE vERRoUiLLé
Les héroïnes de la fameuse série carcérale ont chacune dévoilé une part
sombre de l’Amérique... jusqu’à cette ultime saison, charge anti-Trump acide.
y
Orange
Is the New Black
Saison 7
Netflix
Tasha Jefferson,
diTe TaysTee
danielle Brooks
dès les premiers épisodes, on de-
vinait chez Taystee une intelligence
rare, trahie par son sens de l’humour
et par son goût pour la lecture. Joviale,
la jeune femme n’en était qu’au début
d’une douloureuse évolution, dont
le déclencheur sera la mort de Pous-
sey, sa meilleure amie, asphyxiée
sous le poids d’un gardien. Référence
directe aux violences policières qui
ciblent des Afro-Américains désar-
més, la mort de ce personnage atta-
chant devient la pierre angulaire de la
série. derrière les murs, Taystee
porte la voix du mouvement de pro-
testation Black Lives Matter et ne ces-
sera, dès lors, d’incarner les injus-
tices subies par les minorités. Accusée
à tort du meurtre d’un maton, la
jeune femme est condamnée à la pri-
son à perpétuité à la fin de la saison 6.
Façon bouleversante d’affirmer par la
fiction que les erreurs judiciaires ne
doivent rien au hasard.
Tiffany doggeTT,
diTe PennsaTucky
Taryn Manning
Jenji Kohan a le talent de renverser
le jugement porté sur ses héroïnes.
doggett en est la preuve la plus écla-
tante. Proche des suprémacistes
blanches, toxico abreuvée de fana-
tisme religieux, la teigneuse Pennsatu-
cky figure au début parmi les plus
détestables détenues de Litchfield.
Mais il suffit de quelques flash-back
pour faire resurgir le passé d’une petite
fille broyée par la rapacité des adultes.
Se dessine ainsi le portrait d’une femme
maltraitée, violée, privée de toute es-
time d’elle-même... Son histoire tourne
autour de la question du consentement,
ce qui permet à Jenji Kohan de décryp-
ter les ressorts de la culture du viol.
nicky nichols
naTasha lyonne
La rousse aux sarcasmes ravageurs,
amante dévouée, est une adepte du
plaisir pour toutes. Loin d’être une
exception à Litchfield, Nicky incarne
une sexualité féminine libre. dans
Orange Is the New Black, rien n’est ta-
bou. on se souvient des débats des
détenues sur leur anatomie, des
ébats passionnés, volés à l’oppression
pénitentiaire. Jenji Kohan a mis au
centre de son récit des personnages
relégués à la marge, à l’instar de So-
phia (l’actrice transgenre Laverne
cox), préoccupée par l’éducation de
son fils, jamais réduite à sa sexualité.
Militant pour les droits des personnes
LGBTQ, la série s’est employée à creu-
ser l’histoire et la psychologie de
chaque détenue pour combattre les
préjugés et s’autoriser à en rire.
Blanca flores
laura góMez
Grande latino hirsute qui discute
avec « le diable » dans les toilettes,
Blanca apparaît comme un personnage
secondaire, comique et inquiétant.
Fausse piste : futée et dotée d’une im-
mense force de caractère, elle est prête
à tout pour retrouver son fiancé (le
« diablo »). Menacée d’expulsion, elle
mène, avec d’autres, l’ultime combat
de la série, contre la politique anti-im-
migration de Trump. Familles séparées,
droits bafoués, déni d’humanité : der-
rière les statistiques et la haine, Orange
Is the New Black s’acharne, encore une
fois, à rendre visible l’invisible. Et s’en
va le poing levé. — Isabelle Poitte
Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19