Le premier film de
Quentin Tarantino,
Reservoir Dogs (1992),
trahit déjà quelques-
unes de ses obses-
sions, dont les questions interethni-
ques et les rapports femmes-hommes.
Pourtant, on n’y trouve que des
hommes blancs. Ou presque. Un Noir
pilote la mission d’un flic chargé d’infil-
trer une bande de gangsters. Leur bra-
quage tourne mal, et les deux seules
apparitions féminines en payent les
conséquences, dégagées sans ménage-
ment de leur voiture par les bandits en
fuite. Revanche, cinq ans plus tard :
l’héroïne de Jackie Brown (1997) 1 est
une femme noire, jouée par Pam Grier,
quand bien même elle était blanche
dans le roman d’Elmore Leonard (Rum
Punch) adapté par Tarantino. Avec ce
film, le cinéaste propose un contre-
champ à Reservoir Dogs, où les person-
nages se caractérisaient principale-
ment par leur racisme et leur misogynie
— y compris envers Pam Grier, évoquée
lors d’une conversation décousue.
Jackie, hôtesse de l’air dans une mi-
nable compagnie aérienne, prend tout
à coup le pouvoir. Elle se retourne
contre un vendeur d’armes, Ordell
( Samuel L. Jackson), dont elle faisait
passer l’argent du Mexique en Califor-
nie pour arrondir ses fins de mois.
Question machisme, Ordell n’a rien à
envier aux Dogs. Moins de racisme, en
revanche, chez ce Noir ami des Blancs.
Tarantino se garde bien de proposer
une guerre des races, il lance plutôt
la revanche des femmes, avant Kill Bill
et Boulevard de la mort. Cette révolu-
tion, Jackie l’opère en pointant un
flingue sur les parties intimes d’Ordell.
Voici la virilité de ce machiste invétéré,
vendeur d’armes, menacée par le gun
d’une bonne femme...
C’est d’autant plus savoureux qu’on
a fait connaissance avec cet Ordell de-
puis trois quarts d’heure. Opposition
essentielle dans la peinture des person-
nages : quand on ignorait jusqu’aux
prénoms des messieurs de Reservoir
Dogs, Tarantino passe une bonne heure
à nous présenter les acolytes de Jackie
Brown. « Qui êtes-vous? » demande-t-
elle, méfiante, au chargé de caution ve-
nu la sortir de prison. Pour enfoncer le
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Cinéma
t On aime un peu... y ... beaucoup u ... passionnément r ... pas du tout I Pas vu mais... faut voir
MiraMax FilMs
FEMME AU VOLANT, œUVRE AU TOURNANT
Presque tout oppose les machos de Reservoir Dogs, premier film de Tarantino, et l’héroïne de choc de Jackie Brown.
y
Jackie Brown
et Reservoir Dogs
Jeu 20.50 et 23.20
TCM Cinéma
Face à Jackie Brown
(Pam Grier), racistes
et misogynes de tout
poil en prennent
pour leur grade.
clou, on voit même la carte d’identité
de Max Cherry (Robert Forster).
Mais si les Dogs se résument a priori
à une couleur, pas besoin de savoir le
prénom de Mr Pink et de Mr Brown
pour évaluer leur dose de machisme et
de racisme, ni d’entendre parler
Mr Blonde pour savoir qu’il s’agit d’un
psychopa the (l’oreille découpée du po-
licier, c’est lui). Le grand sujet du film est
de savoir qui sont ces gens, et ce qui dé-
finit un homme. Le verbe, les actes, les
deux? La question de l’identité est cen-
trale chez Tarantino — jusqu’à Once
Upon a Time in... Holly wood, dont les hé-
ros sont un acteur et sa doublure (lire
p. 59). « La seule chose dont vous pouvez
parler, c’est de ce que vous allez faire »,
leur avait ordonné leur chef. Impos-
sible. Ils doivent garder leur identité se-
crète, mais ces hommes ne peuvent
s’empêcher de l’ouvrir, d’en dire sur
eux, malgré eux, au fil de nombreux
flash-back. De leur braquage, on ne
verra rien, et c’est là une autre diffé-
rence avec Jackie Brown, où l’arnaque fi-
nale est non seulement le climax du film,
mais se dévoile selon trois points de vue
différents. Pas de flash-back, pour au-
tant, dans Jackie Brown, dont le procédé
narratif aussi propose un miroir défor-
mant à Reservoir Dogs : voici le premier
film quasi linéaire de Tarantino.
Conséquence : alors que Reservoir
Dogs, tout de suite après le générique,
était animé par une urgence, Jackie
Brown s’offre le plaisir gourmand, ma-
lin, d’étirer paresseusement le temps...
A l’image de l’entrée en scène de Pam
Grier, dans un splendide et majes-
tueux travelling de droite à gauche qui
ne semble jamais vouloir se terminer.
De droite à gauche... Se dirigerait-elle
vers le passé pour corriger Reservoir
Dogs? — Michel Bezbakh
Pendant le mois d’août, OCS donne carte
blanche à Quentin Tarantino pour présenter
les films qui l’ont le plus influencé.
1 Jacky Brown est aussi diffusé sur
Ciné+ Premier samedi 10 août à 20h50.
LiRe notre rencontre avec Quentin
Tarantino dans le précédent numéro.
Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19