Liberation - 2019-08-12

(Sean Pound) #1

A


Lille, les esprits s’échauffent
à huit mois des municipa-
les: tous les prétendants à la
mairie rêvent de dégommer la
statue du commandeur, Martine
Aubry. Jamais le jeu électoral, aux
cartes rebattues avec un PS laminé
et une droite éparpillée, n’a paru
aussi ouvert. Car oui, Lille, socia-
liste depuis 1955 et dirigée par
l’ancienne ministre du Travail de-
puis dix-huit ans, pourrait tomber
au printemps dans une autre
escarcelle.
Lors des élections européennes de
mai, LREM est arrivé en tête
(22,08 %) chez les électeurs lillois,
talonnée par les Verts (21,71 %). Le
PS n’a récolté qu’une méchante cin-
quième place, avec 8,31 % des suf-
frages, derrière le Rassemblement
national (13,85 %) et La France in-
soumise (10,2 %). De quoi aiguiser
les appétits face à une Martine
Aubry, qui boucle son troisième
mandat, fragilisée. Pas assez de
renouveau dans son équipe, usure
du pouvoir, coupure avec les ac-

teurs locaux et les habitants : tous
ses challengeurs accordent leurs
critiques.

CONFLIT OUVERT
Fine mouche, la principale intéres-
sée laisse dire et maintient le sus-
pense. Martine Aubry n’a pas en-
core annoncé qu’elle briguerait un
quatrième mandat mais personne
n’imagine qu’elle n’y aille pas. Elle
devrait, en toute logique, se décla-
rer lors de sa traditionnelle rentrée
politique, lors de la braderie de Lille
à la fin du mois. L’édile avait pour-
tant dit qu’elle ne se représenterait
pas. A 69 ans, Martine Aubry aurait
bien voulu passer la main mais la
nouvelle donne politique ne lui
laisse guère le choix. Celui qu’elle
avait choisi comme dauphin, Fran-
çois Lamy, a été sèchement éjecté
de la photo lors des législatives
de 2017. L’ancien député n’a recueilli
que 10,4% des voix dans la première
circonscription, finalement rem-
portée par le candidat de La France
insoumise Adrien Quatennens, face
à Christophe Itier, transfuge du PS
et macroniste de la première heure.
Il n’y a donc plus qu’elle pour
conserver Lille dans le giron socia-

liste, même si le sénateur et ancien
ministre de Hollande, Patrick Kan-
ner, s’est déclaré tenté.
Côté gauche, les Verts vont partir en
solo pour montrer leurs muscles. La
France insoumise, aussi, qui estime
avoir un beau coup à jouer dans la
capitale des Flandres. Le mouve-
ment de Jean-Luc Mélenchon n’a
pas encore dévoilé ses intentions. Le
nom d’Adrien Quatennens circule
toujours même s’il dit encore se po-
ser la question. En réalité, c’est au
centre que les couteaux sont sortis
le plus tôt, avec une véritable guerre

d’investiture dans le camp présiden-
tiel. Depuis des mois, Valérie Petit,
députée nordiste LREM, croyait les
jeux faits. Proche de Gérald Darma-
nin, elle est étiquetée centre droit, ce
dont elle se défend, revendiquant
son passé écolo. Mais elle a été fina-
lement doublée sur la ligne de l’in-
vestiture par Violette Spillebout, qui
a été... directrice de cabinet de Mar-
tine Aubry avant de rejoindre la
SNCF en 2013. Les deux femmes, qui
se connaissent sur le bout des
doigts, sont en conflit ouvert, la
maire n’ayant jamais pardonné à
celle qui aurait pu être sa dauphine
d’être passée à l’ennemi macroniste.
Pour obtenir le blanc-seing de
LREM, Violette Spillebout s’est lan-
cée dans une campagne en mode
rouleau compresseur, en multi-
pliant les réunions publiques pour
occuper le terrain face à une rivale
prise par ses fonctions de députée.
Sur les fonds du parti, note
d’ailleurs Valérie Petit qui s’étrangle
et dénonce des«pratiques hors-jeu»
avec des«petites amitiés partisanes
héritées du passé».
On est loin, déplore la parlemen-
taire, de la promesse originelle d’En
marche sur le renouvellement poli-
tique et du rassemblement au-delà
des clivages. Valérie Petit ne déco-
lère pas contre tous ces anciens so-
cialistes passés à LREM.«L’investi-
ture de Violette Spillebout est une
caution donnée à la gauche de La Ré-
publique en marche»,abonde Jean-
René Lecerf, le président divers
droite du conseil départemental du
Nord, qui est conseiller municipal
d’opposition à Lille. Son analyse : il
faudrait rétablir l’équilibre après les
européennes, lors desquelles LREM
a nettement penché à droite. D’où
une stratégie de gauchissement,
dont Lille serait un exemple.«Ils ont
sans doute estimé à Paris que Lille
n’était pas prenable,reprend Jean-
René Lecerf.Pourtant, Valérie Petit
aurait pu rassembler de la droite hu-
maniste au centre gauche. Violette
Spillebout ne rassemblera jamais la
droite et le centre droit, à quelques
exceptions personnelles près.»

CONDITIONS HOULEUSES
La néocandidate renvoie le patron
du département sèchement dans
ses cordes:«Ce n’est pas à Jean-René
Lecerf de décider qui se rassemble
autour d’un candidat.»Valérie Petit,
créditée de 11% dans un sondage lo-
cal soit le double du score de Spille-
bout, parle de son côté d’un«choix
défaitiste»de LREM et«envisage sé-
rieusement»de quitter le parti. In-
terrogée sur sa rivale, Violette
Spillebout affirme lui avoir proposé
une place sur sa liste mais Valérie
Petit dément :«J’ai juste reçu un
SMS qui me proposait de se rencon-
trer et de discuter.»La députée se
donne l’été pour réfléchir.
Ancien ministre du Logement sous
Chirac et candidat Les Républicains
à Lille, Marc-Philippe Daubresse se
réjouit de ce scénario :«Violette
Spillebout couvre le terrain du centre
gauche et des déçus d’Aubry.»Autre-
ment dit : à lui la droite et le centre
droit, même si son investiture, assez
improbable, a été obtenue dans des
conditions houleuses. L’homme
ayant été pendant près de trente ans

maire de la commune voisine de
Lambersart, la droite lilloise n’a pas
apprécié le parachutage. Ce qui a
conduit Thierry Pauchet, qui pré-
side le groupe d’opposition munici-
pal Un autre Lille, à créer sa propre
liste. La droite part donc divisée et
Jean-René Lecerf en a pris son parti:
«Avec le cadeau qui lui a été fait de
l’investiture de Violette Spillebout,
Martine Aubry me paraît difficile-
ment battable.»D’ailleurs, Lecerf ne
s’en cache pas, entre Spillebout et
Aubry au second tour, il voterait
pour la seconde :«Chaque fois que
j’ai eu besoin d’elle sur des questions
d’intérêt général, elle a été présente.»
Il ne reste plus à Martine Aubry qu’à
officialiser sa candidature. Marc-
Philippe Daubresse a peu de doutes:
«Il faut connaître le caractère de
Martine Aubry. La candidature de
Violette Spillebout va sans doute l’in-
citer encore plus»à y aller.•

Par
STÉPHANIE MAURICE
Correspondante à Lille

Municipales

à Lille : et à la

fin c’est Aubry

qui gagne?

Dans la capitale des Flandres, la guerre

des investitures pour prendre la tête de la mairie

en 2020 fait rage, alors même que de nombreuses

candidatures n’ont pas encore été officialisées.

Si elle se présente, l’actuelle édile devra affronter

son ex-directrice de cabinet, passée chez LREM.

FRANCE

«L’investiture

de [l’ex-directrice
de cabinet de

Martine Aubry]

Violette Spillebout

est une caution

donnée à la gauche
de LREM.»
Jean-René Lecerfprésident
du conseil départemental

10 u Libération Lundi12 Août 2019

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