Liberation - 2019-08-12

(Sean Pound) #1

E


t si l’affaire de la marathonienne Clé-
mence Calvin s’effondrait pour vice de
procédure? Cette issue est loin d’être
improbable en raison de l’imbroglio sur la
ratification de l’ordonnance du 19 décem-
bre 2018«relative aux mesures relevant du do-
maine de la loi nécessaires pour parfaire la
transposition en droit interne des principes du
code mondial antidopage»,et modifiant le
code du sport... L’ordonnance transpose dans
le droit français les mesures du code mondial
antidopage, rédigées par l’Agence mondiale
antidopage (AMA). Elle attend toujours d’être
ratifiée par le Parlement.
Pournepass’êtregéolocaliséecommedoivent
le faire tous les sportifs de haut niveau, et
s’être soustraite à un contrôle antidopage de
manière rocambolesque, le 27 mars, en faus-
sant compagnie à une équipe de trois mem-
bres de l’Agence française de lutte antidopage
(AFLD) venus spécialement à Marrakech,
Clémence Calvin a écopé en avril d’une sus-
pension provisoire. Une peine prononcée par
l’AFLD en vertu des nouvelles dispositions du
code mondial, transférant le pouvoir de pro-
noncer les sanctions des fédérations des spor-

tifs concernés (en l’occurrence la Fédération
françaised’athlétisme)auxagencesnationales
antidopage. Si les faits s’étaient produits avant
le 19 mars –date d’entrée en vigueur des nou-
velles règles–, la Fédé aurait été compétente
pour sanctionner Calvin. Problème, l’ordon-
nance n’ayant pas été ratifiée quand l’AFLD a
frappé, sa décision pourrait être contestée.

Vaudeville
C’est l’avis de Cécile Chaussard, maître de con-
férences à l’université de Bourgogne, et spé-
cialiste des questions liées au dopage:«Quand
une ordonnance n’est pas ratifiée, elle a juste
une valeur réglementaire. Lorsqu’on la ratifie,
elle devient une loi et ce, de manière rétro-
active. Mais tant que l’ordonnance n’est pas ra-
tifiée, on reste dans une situation d’insécurité
juridique, ce qui rend très incertaine la compé-
tence de l’AFLD en matière de sanction à la
place des fédérations. La compétence en
matière de sanction est fixée par la loi et seule
une autre loi peut la changer.»
L’histoire de la ratification de l’ordonnance
de décembre 2018 tient elle-même du vaude-
ville. Prévue mi-juillet, à l’occasion du pas-
sage à l’Assemblée de Roxana Maracineanu,
elle n’a finalement pas lieu. Ce jour-là, la dé-
putée communiste Marie-George Buffet, très

impliquée dans la lutte antidopage, monte au
créneau pour défendre la souveraineté de
l’Etat en la matière, qu’elle estime menacée,
notamment par les préconisations de l’AMA
(lire ci-contre). «Ce jour-là, Roxana Maraci-
neanu ne parle pas de l’ordonnance qui aurait
dû être évoquée pour la ratification,confirme
l’ex-ministre des Sports (1997-2002).Le soir,
je reçois un coup de fil du ministère me disant
que c’était une catastrophe, qu’il fallait prépa-
rer un amendement pour la ratification. Le
lendemain, la présidente de l’AFLD m’appelle
pour me demander la même chose. Pour ne pas
fragiliser l’Agence, car la lutte antidopage me
tient à cœur depuis longtemps, je prépare et
je dépose donc l’amendement pour favoriser
la ratification de l’ordonnance. Mais l’amen-

dement est jugé irrecevable, car cavalier[ins-
crit a posteriori dans une loi qui ne concerne
pas le même sujet, ndlr].Le gouvernement
pouvait tout à fait le déposer aussi, mais il ne
l’a pas fait. Résultat, il faudra a priori atten-
dre 2020 désormais pour la ratification de l’or-
donnance.»L’AFLD, et plus largement la lutte
antidopage, pourraient sortir grandement fra-
gilisées de cette situation, les nouveautés pré-
conisées par l’audit de l’AMA puis dans l’or-
donnance étant donc en œuvre depuis mars
sans avoir été adoptées par le Parlement!

«Un acte grave»
La procédure de «composition administra-
tive» (l’équivalent d’un plaider coupable),
introduite par l’ordonnance du 19 décem-

ENQUÊTE

Par
LUCA ENDRIZZI

Quand

l’antidopage

français joue

avec la loi

L’ordonnance du 19 décembre conférant le

pouvoir de sanction des fédérations sportives

à l’Agence française de lutte contre le dopage n’a

toujours pas été ratifiée par le Parlement. Un

flou juridique qui pourrait permettre à l’athlète

Clémence Calvin, suspendue après un contrôle

inopiné en mars, de contester cette décision.

SPORTS

16 u Libération Lundi12 Août 2019

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