Liberation - 2019-08-12

(Sean Pound) #1
La cuisse
d’un cycliste
australien.
L’AMA amende
régulièrement
le code mondial
antidopage.
PHOTO
MICHEL BIROT

bre 2018, et inaugurée malgré elle par Clé-
mence Calvin, peut-elle être considérée
comme une procédure illégale, puisqu’elle
n’est adossée, à ce jour, sur aucun texte de loi?
«Il faudra en discuter avec les juristes, mais, de
toute façon, le report de la ratification des or-
donnances est un acte grave»,se désole Marie-
George Buffet. Commentaire amer aussi de la
part d’un ancien conseiller interrégional anti-
dopage, qui s’insurge de la refonte, pour être
en conformité avec le code mondial, du sys-
tème français des contrôles antidopage qui,
pourtant, faisait ses preuves:«Cette refonte de
l’antidopage a été menée avec beaucoup d’ama-
teurisme. Le dispositif dont nous faisions par-
tie est bousillé et la confiance envers l’AFLD est
quasiment déjà réduite à zéro.»•


«Depuis 2014,

nous avons obtenu

des résultats.

Là, on va détruire
un maillage

du territoire

construit grâce

à un travail

de fourmi.»
Un conseiller interrégional
antidopage

Un système en plein

marasme

Un audit confidentiel
de l’Agence mondiale,
des rancœurs passées
qui mettent à mal
la lutte, des agents
privés de leur
autonomie...
Rien ne va plus dans
l’antidopage français.

L

a lutte antidopage revient
dans l’actualité en France,
non seulement grâce (ou à
cause) de l’affaire Clémence Calvin,
la meilleure marathonienne trico-
lore, impliquée dans une affaire de
contrôle inopiné, mais aussi, de ma-
nière bien moins spectaculaire, par
la remise en cause du système fran-
çais par l’Agence mondiale antido-
page (AMA). L’autorité internatio-
nale suprême édite et amende
régulièrement le code mondial anti-
dopage. Une bible que la France ne
respecterait d’ailleurs pas à la lettre,
selon un audit que l’AMA a elle-
même diligenté en 2018, et dans le-
quel elle liste les anomalies qu’elle
a signifiées à l’Agence française de
lutte contre le dopage (AFLD).
Entité de droit privé créée en 1999
sur les cendres de l’affaire Festina,
l’AMA est basée en Suisse et au Ca-
nada. Là-bas, certains estiment
qu’il faut mettre à bas un dogme
bien ancré selon lequel la lutte anti-
dopage relève de l’Etat. La France se
soumettra-t-elle ou ira-t-elle au
schisme? C’est l’enjeu de la bataille.
L’audit de l’AMA, hautement confi-
dentiel, dézinguerait par le menu le
système de lutte fédéralisé à la fran-
çaise. Retour sur les épisodes d’un
feuilleton dont l’épilogue pourrait
être rien moins que le désengage-
ment des pouvoirs publics de la
lutte contre le dopage...

DES NOUVEAUTÉS PAS
TOUTES CONSENSUELLES
Parmi les nouveautés du code mon-
dial antidopage, en vigueur depuis
le 1ermars: un transfert du pouvoir
desanctionnerlesathlètescontrôlés
positifs des fédérations vers l’AFLD.
C’est désormais une commission
ad hoc de l’AFLD qui prononce les
sanctions. Soit une remise en cause
de la base même de l’organisation
des contrôles en France, qui fonc-
tionnait pourtant très bien. Jus-
qu’au 1ermars, ils dépendaient de
14 conseillers interrégionaux anti-
dopage (Cirad), agents de l’Etat agis-
sant en France métropolitaine et
outre-mer, sous l’autorité d’une Di-
rection régionale de la jeunesse, des
sports et de la cohésion sociale.
Depuis 2014, et jusqu’au 1ermars
dernier, ces 14 fonctionnaires agis-
saient au plus près de leur territoire,
dans une optique de décentralisa-
tion. Leurs liens avec leur hiérar-
chie et l’AFLD ne les empêchaient
pas de travailler de manière auto-

nome. Les Cirad signaient par
exemple de leur main les ordres de
mission des contrôleurs qui allaient
effectuer les prélèvements. Les in-
formations qu’ils ont pu récolter sur
le terrain ont souvent donné d’ex-
cellents résultats, tant sur le sport
de haut niveau qu’amateur, où le
dopage sévit également, qui plus est
sur une population qui n’est pas
dans les radars médicaux et expose
d’autant plus sa santé.
Est-ce l’exemple de la Russie, où
l’Etat organisait le dopage tout en
contrôlant l’antidopage, qui a
échaudé l’AMA? L’agence impose à
présent que le personnel qui œuvre
à la lutte contre la tricherie soit tota-
lement indépendant de l’Etat. Il
faut rappeler que, depuis sa créa-
tion, l’AFLD est une agence indé-
pendante, financée cependant à
hauteur de 90% sur fonds publics.
Les anciens Cirad, s’ils veulent con-
tinuer leur travail, doivent donc se
ranger complètement sous la hou-
lette, même hiérarchique, de
l’AFLD. Certains Cirad, queLibéra-
tiona contactés, sont furieux.«On
nous enlève notre autonomie,assure
l’un d’eux.Nous ne pourrons plus si-
gner les ordres de missions des con-
trôleurs, ni travailler au plus près
du terrain. Depuis 2014, nous avons
obtenu des résultats. Là, on va dé-
truire un maillage du territoire
construit grâce à un travail de
fourmi.»
Pour ajouter de la grogne à la grogne
des Cirad, leur agent traitant à
l’AFLD est un certain Damien Res-
siot, directeur du département des
contrôles (1). Ancien journaliste spé-
cialiste du dopage àl’Equipe,où il a
sorti de nombreuses affaires, il s’est
reconverti, fort de ses connaissan-
ces, dans la lutte antidopage. Avant
d’intégrer l’AFLD, en 2016, il a vécu
un bref et mouvementé passage à
l’office de gendarmerie chargé des
dossiers liés au dopage, l’Oclaesp,
où, d’après les récits que nous avons
recueillis, et après époussetage de la
langue de bois, on ne le regrette pas.
«Il a laissé un bordel innommable, il
est caractériel, lunatique, pas rigou-
reux du tout»,déclare une source,
qui préfère rester anonyme.

Le prédécesseur de Ressiot, Jean-
Pierre Verdy, en poste à la direction
des contrôles de 2006 à 2015, se
montre péremptoire à son sujet:«Je
m’en veux d’avoir mis en place Da-
mien Ressiot. Je n’ai découvert
qu’après ses gros problèmes de ma-
nagement. A l’époque, j’étais arrivé
à gérer 400 préleveurs : ce ne sont
pas des moutons, ce sont de grands
professionnels.»Verdy, qui n’est
plus le bienvenu à l’AFLD, ajoute:
«Les Cirad sont des gens super com-
pétents dans leur métier. Le système
français est l’un des meilleurs au
monde. Le changer, pourquoi pas,
mais pour en faire quoi? Pour aller
où ?»Les Cirad étaient très souvent
en relation avec les services des
douanes, des brigades des stups et
avec l’Oclaesp. Aujourd’hui, les re-
lations de Ressiot avec ses anciens
collègues gendarmes sont telle-
ment exécrables qu’il interdit
même aux Cirad de travailler avec
eux, comme le montrent des mails
queLibérations’est procurés(lire
page 18).

À L’AFLD, DU CALME,
TOUT VA BIEN
Face à cette montée de tension, Ma-
thieu Teoran, directeur général de
l’AFLD, se veut rassurant:«Tout se
passe bien pour les quatre Cirad qui
ont accepté le détachement provi-
soire chez nous et qui, en janvier,
vont être embauchés par l’AFLD s’ils
le souhaitent.»Le directeur de
l’Agence poursuit:«De toute façon,
les accords internationaux pris en
amont obligent notre pays à se sou-
mettre au code mondial antidopage
et aux directives de l’AMA. Nous
n’avons pas le choix. Les Cirad ont
bien travaillé sur le territoire, de fa-
çon décentralisée, mais bon, c’est
l’éternel débat entre centralisation
et décentralisation. On va perdre
quelque chose dans la proximité,
mais on va gagner en coordination.»
Et d’ajouter que«ceux qui ne sont
pas contents de ce changement sont
une infime minorité».
Au problème de fond s’en ajoute un
de fonds. L’AFLD doit trouver les
moyens de payer les Cirad qu’elle
emploiera directement à partir du
1 erjanvier. Or son budget est resté
stable depuis des années, autour de
8 millions d’euros. Il pourrait donc
ne pas suffire pour embaucher
d’autres personnels et poursuivre le
développement de son activité, qui
va forcément augmenter en vue de
Paris 2024. Mais l’heure n’est pas
franchement à la distribution d’ar-
gent public...
Sur la question du financement de
ces nouveaux postes, Skander Ka-
raa, conseiller spécial auprès de la
ministre des Sports, Roxana Mara-
cineanu, est clair :«Il faut que
l’AFLD puisse développer des recet-
tes propres en proposant ses services
à l’étranger, c’est l’un des axes pour
son propre finance- Suite page 18

Libération Lundi12 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u 17

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