Liberation - 2019-08-12

(Sean Pound) #1
obligation de conformité au code
mondial antidopage. On peut penser
ce qu’on veut mais il y a des conven-
tions internationales derrière, il faut
les respecter. Et le Conseil d’Etat a
tout validé.»
Marie-George Buffet, ancienne mi-
nistre des Sports, à l’origine de la
création de l’AMA en 1999, et le sé-
nateur socialiste Jean-Jacques Lo-
zach, rapporteur de la commission
d’enquête sénatoriale sur l’efficacité
de la lutte antidopage de 2013, ont
saisi l’Inspection générale de la jeu-
nesse et des sports«pour une mis-
sion de contrôle et d’enquête afin
d’évaluer les conditions de l’évolu-

tion du dispositif des Cirad et de leur
statut».
Ils ont également demandé par
courrier à la ministre des Sports que

leur soit transmis le fameux audit.
«A ce jour nous n’avons pas eu de ré-
ponse de la ministre,nous confie
Marie-George Buffet.Il nous semble
nécessaire que les parlementaires en
soient informés. D’autant que nous
devons ratifier l’ordonnance du
19 décembre. Il serait donc utile de
pouvoir lire cet audit pour s’en faire
une idée.»
A qui donc la lourde tâche de trans-
férer l’audit au Parlement? Le pas-
sage de patate chaude est maîtrisé
à la perfection. Le ministère des
Sports, en la personne de Skander
Karaa, répond ainsi:«Nous ne som-
mes par les destinataires de cet

audit, donc nous ne pouvons pas le
transmettre. Peut-être que MmeBuf-
fet et M. Lozach auraient dû envoyer
leur lettre à l’AFLD.»Le directeur de
l’Agence, Mathieu Teoran, se dit
prêt à le faire, sous condition:«Nous
ne voulons pas mettre ce document
sur la place publique. Si des parle-
mentaires le demandent, on leur
communiquera selon les canaux ins-
titutionnels.»
LUCA ENDRIZZI

(1) Damien Ressiot est désormais à la tête
du département des enquêtes et du ren-
seignement de l’AFLD, dont la création a
été annoncée le 31 juillet.

Clémence Calvin lors des championnats d’Europe 2018, à Berlin.PHOTO JULIEN CROSNIER. KMSP. DPPI

E

n avril, lors de l’affaire de la maratho-
nienne Clémence Calvin, qui avait
échappé à un contrôle à Marrakech, plu-
sieurs médias, dontLibération, avaient évoqué
un gros couac entre l’Agence française de lutte
contre le dopage (AFLD) et l’Office central
de lutte contre les atteintes à l’environnement
et à la santé publique (Oclaesp, un service de
la gendarmerie s’occupant notamment des
affaires de dopage). En allant contrôler l’athlète
au Maroc, où elle s’entraîne, une délégation
de trois personnes emmenée par Damien Res-
siot, le directeur des contrôles de l’AFLD
lui-même, a court-circuité l’enquête des gen-
darmes qui visaient l’athlète depuis longtemps

et ne souhaitaient pas l’interpeller si vite
afin de démanteler un réseau de trafic de
produits dopants.
Dans des mails queLibérations’est procurés,
Ressiot invite les conseillers interrégionaux an-
tidopage (Cirad) à cesser toute collaboration
avec l’Oclaesp, où lui-même a travaillé avant
d’intégrer l’AFLD. Ces mails datent pourtant de
l’époque où les Cirad ne dépendaient pas hié-
rarchiquement de l’AFLD; leur travail sur le
terrain les conduisait régulièrement à collabo-
rer avec l’Oclaesp. Ainsi, le 1ermars 2016, Da-
mien Ressiot écrit aux Cirad:«Les relations avec
l’Oclaesp ne sont pas au top, en tout cas entre
moi et eux. X m’a reproché de ne pas les (avec Y)
avoir invités durant l’ensemble des deux jour-
nées à Paris, et d’avoir fait intervenir la Proc sur
l’article 40 plutôt que lui-même. Je les avais
invités à dîner avec nous, déjeuner le mardi puis
à intervenir. Mais ils ont annulé leur présence
en raison de cette “indélicatesse”. Je ne sais qu’en

penser[dans ce mail, X et Y sont des représen-
tants de l’Oclaesp, ndlr].»
Sept jours plus tard, autre mail de Ressiot aux
Cirad:«Même si je ne comprends pas le diktat de
DSB2[le service du ministère en charge du do-
page],l’arrogance de l’Oclaesp (qui n’est pas une
gare de triage), le petit jeu assez étonnant de
Jean-Pierre Verdy, [son prédécesseur à l’AFLD]
qui distille des infos (sauf à moi) [...]. La pro-
chaine fois si j’estime que les douanes ou les Stups
sont plus légitimes, je le suggérerai au Parquet.»
Deux ans plus tard, les relations ne se sont
pas arrangées entre Ressiot et l’Oclaesp, comme
en témoigne ce nouveau courrier du 31 jan-
vier 2018, toujours adressé aux Cirad:«Je vous
remercie de ne pas transmettre à l’Oclaesp de
dossiers ou d’informations relatives à de futurs
dossiers dès réception des RAA[un résultat de
contrôle anormal, avant un contrôle positif
avéré],qui plus est sans me prévenir.»
L.En.

Affaire Calvin: pourquoi l’AFLD

a court-circuité les gendarmes

Des mails consultés par
«Libération» révèlent les vives
tensions entre l’Agence française de
lutte contre le dopage et le service
qui piste les trafiquants.

SPORTS

ment. On doit
être toujours plus performants. En
tout cas on essaye!»Parler de perfor-
mance au ministère des Sports n’est
sans doute pas inapproprié, mais la
solution que propose Skander Ka-
raa laisse sceptique des sources pro-
ches de l’AFLD:«Quand on propose
nos services à des pays qui ne sont
pas dotés d’une agence nationale an-
tidopage, il faut savoir qu’on court
un gros risque de ne pas être payé.
Ces pays, souvent du continent afri-
cain, n’ont pas les fonds pour ça ou
ne vont pas les allouer à la lutte an-
tidopage, qui n’est pas leur prio-
rité...»


OÙ EST-IL,
CE MAUDIT AUDIT?
De leur côté, les Cirad sont d’autant
plus frustrés que ce fameux audit de
l’AMA, daté de mai 2018 et deman-
dant leur transfert à l’AFLD, ils ne
l’ont pas vu. Seuls quelques techno-
crates de l’Agence et du ministère
des Sports y ont eu accès.«Nous
avons organisé des réunions par té-
léphone pour donner lecture de
l’audit aux Cirad. De toute façon, ils
étaient déjà soumis à l’autorité fonc-
tionnelle de l’AFLD»,plaide Michel
Lafon, chef de bureau à la direction
des sports au ministère.
Pour les Cirad, ces réunions télé-
phoniques ont été prises comme un
manque de transparence.«On nous
chamboule notre métier et on ne
nous présente même pas le texte qui
est à la base de ces changements. On
a demandé à plusieurs reprises de
pouvoir lire l’audit, ou du moins les
parties qui concernent nos fonc-
tions : nos demandes n’ont jamais
abouti. Il se peut qu’il y ait eu des er-
reurs de transmission, la position
entre la Direction régionale des
sports et l’AFLD étant peut-être un
brin compliquée pour des étrangers
comme les auteurs de l’audit. Pour-
quoi donc ne pas nous communiquer
l’audit et en discuter de façon se-
reine ?»
Mathieu Teoran regrette la situation
sans trouver la solution pour dissi-
per ce flou:«On a l’impression qu’il
y a des doutes sur les remarques pré-
sentes dans l’audit. Un climat de sus-
picion s’est créé, mais l’audit existe
bel et bien. Les agents du ministère
et de l’Agence n’ont pas le droit ab-
solu de se voir communiquer ce type
de document. Cela peut se faire à la
demande d’une organisation syndi-
cale, demande qui n’a pas eu lieu à
l’AFLD.»
Michel Lafon, lui, sort l’argument
massue :«En vue de Paris 2024,
nous nous devons d’être exemplaires
sur le chapitre de la lutte antido-
page.»Sous-entendu, à cinq ans de
la grand-messe olympique, pas
question de se mettre en faute vis-à-
vis de l’AMA avec des querelles
franco-françaises. Lafon, comme
son collègue Skander Karaa, affirme
avoir eu possession de ce document
pour travailler à l’ordonnance
du 19 décembre 2018, qui transpose
ses recommandations dans le droit
français(lire page précédente).
«Nous ne sommes pas amusés à met-
tre dans l’ordonnance des choses dif-
férentes de celles qui sont dans
l’audit et qui n’étaient pas obligatoi-
res,insiste Karaa.Cela relève d’une


Suite de la page 17


Les Cirad sont

d’autant plus

frustrés que l’audit

de l’Agence

mondiale
antidopage, ils ne

l’ont pas vu...

18 u Libération Lundi12 Août 2019

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