Liberation - 2019-08-12

(Sean Pound) #1

IDÉES/


Esclaves fugitifs,

la mort

aux trousses

Sans leurs évasions, la nation américaine
n’existerait pas. Leur désobéissance
bouleversa le «statu quo» et interpella les
consciences. Mais pour mettre fin au système
dément d’un pays qui enfante ses propres
demandeurs d’asile, près de quatre ans de
guerre civile seront nécessaires.

A

u Panthéon des figures de
la culture populaire amé-
ricaine, l’évadé figure en
bonne place. De Bonnie and
Clyde auFugitifcampé par Harri-
son Ford, il est une déclinaison
glorieuse du hors-la-loi solitaire
qui se soustrait à l’arbitraire des
hommes et à leurs Alcatraz. Par
l’évasion, il arrache une liberté de
contrebande, rétive à l’autorité,
et devient américain. Tout cela
relève bien sûr de la fable
patriote. Or, il existe bien un type
de fugitif sans lequel la nation
américaine n’existerait pas, un
évadé à la peau sombre dont
l’échappée et l’exil provoquèrent
la plus grande guerre américaine
et la naissance de la République
américaine moderne.
Dès leur arrivée sur les côtes
nord-américaines au début
du XVIIesiècle, les esclaves arra-
chés à l’Afrique ont fomenté leur

libération. Si les révoltes et les
actes quotidiens de dissidence
furent légion, la première forme
de résistance à leur assujettisse-
ment fut de briser leurs fers pour
s’évader, fuir la terreur et l’exploi-
tation qui eurent rapidement
force de loi dans les Etats du Sud
des Etats-Unis. Leur désertion
était un acte politique intolérable
à l’ordre du temps : ils étaient la
possession des maîtres, un bien
de propriété, un cheptel lucratif.
Thomas Jefferson lui-même (le
rédacteur des lignes mémorables
de la Déclaration d’indépen-
dance) publia dans la presse des
avis de fuite d’esclave, promet-
tant notamment récompense à
celui qui lui ramènerait un cer-
tain Sandy, qui lui appartenait.

RÉFUGIÉS POLITIQUES
La guerre d’indépendance et la
fondation de la République

A gauche, l’activiste abolitionniste Harriet Tubman vers 1880 et son mari. Elle a contribué à la libération de centainesd’esclaves.PHOTO WILLIAM CHENEY. PHOTO12/ALAMY


TENTATIVE D’ÉVASIONS (1/9)

Bien sûr toutes les cavales ne se terminent pas, comme au cinéma, sur une
île paradisiaque. Mais s’évader est un fantasme intime et universel. Le désir
de liberté peut emprunter divers chemins, de la drogue au jeuen passant
par le rêve insulaire. L’évasion peut être avidité (évasionfiscale) ou nécessité
(migrer en dernier recours). Et demain, peut-être, objectif Lune.

20 u Libération Lundi12 Août 2019

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