Liberation - 2019-08-12

(Sean Pound) #1
L’

acte d’accusation à l’encontre de l’homme
d’affaires, publié le 8 juillet par la justice
américaine,dévoileunrouagemonstrueux
et parfaitement organisé.«Les victimes étaient ini-
tialement recrutées pour fournir des massages à
Jeffrey Epstein. Au cours de la rencontre, il intensi-
fiait la nature et la portée des contacts physiques,
se masturbait, demandait aux victimes de le cares-
ser et touchait les organes génitaux des victimes
avec ses mains ou avec des objets sexuels[...]Après
quoi il donnait à ses victimes des centaines de dol-
lars en espèce. Afin de maintenir et d’augmenter
son approvisionnement, il payait certaines de ses
victimes pour qu’elles recrutent à leur tour d’autres
mineures. Grâce à ce système, Jeffrey Epstein a eu
accès à des dizaines de filles supplémentaires.»

Rabatteuse.Avec ce mode opératoire, le milliar-
daire est accusé d’avoir agressé sexuellement des
dizaines de mineures –«dont les plus jeunes
n’avaient que 12 ans»– principalement dans ses
résidences de New York ou dans sa villa de Palm
Beach (Floride), entre 2002 et 2005. Mais qui, au

sein de son entourage proche, était au courant,
voire faisait partie intégrante du système Epstein?
Ghislaine Maxwell, la fille benjamine et riche héri-
tière de Robert Maxwell, ancien magnat de la
presse britannique disparu au large des Canaries
en1991?Audébutdesannées2000,elleestlacom-
pagne d’Epstein. Selon la justice américaine, plu-
sieurs personnes l’accusent d’avoir été une rabat-
teuse«délibérément investie». «En plus de
constamment trouver des filles mineures pour satis-
faire leurs désirs sexuels personnels, Epstein et
Maxwell ont également obtenu des filles pour les
amis et les connaissances puissantes d’Epstein»,
peut-on lire dans l’une des dépositions de la prin-
cipale plaignante dans cette affaire, Virginia Ro-
berts Giuffre, datée de 2015. Laquelle raconte éga-
lement avoir été agressée sexuellement par
Ghislaine Maxwell.
Adolescente de 15 ans au moment des faits, elle dit
avoir été contrainte de faire un massage à Jeffrey
Epstein en présence de sa partenaire, puis de
participer à des actes sexuels. Virginia Roberts
Giuffre avait d’ailleurs porté plainte contre elle

en 2015, avant de parvenir à un accord, deux ans
plus tard.

«Carnet».Autres noms de«potentiels conjurés»:
Sarah Kellen, Adriana Ross, Lesley Groff et Nadia
Marcinkova, les quatre assistantes de Jeffrey Eps-
tein dans les années 2000. Dans une des plaintes
du dossier judiciaire, on peut lire que«selon les
rapports de police et les différentes déclarations, ces
femmes [devaient] s’assurer qu’un carnet de rendez-
vous prévoyant deux ou trois fois par jour des mas-
sages avec de nouvelles recrues soit sans cesse rem-
pli».Desdocumentsaccusentplusspécifiquement
Sarah Kellen«d’avoir appelé les jeunes filles pour
s’assurer de leur disponibilité»lors des venues
d’Epstein à Palm Beach, et de les avoir conduites
dans la salle de massage. Selon leGuardian,Sarah
Kellen et Nadia Marcinkova auraient changé de
nom (Sarah Kensington et Nadia Marcinko) après
l’accord de 2007 entre Epstein et la justice. Interro-
gées dans le cadre de procédures judiciaires, les
quatre femmes ont invoqué leur droit au silence.
ANAÏS MORAN

Un mode opératoire rodé

«E

pstein est parti, mais la justice doit en-
core être rendue,réclamait samedi
Jennifer Araoz, qui accuse le milliar-
daire américain de l’avoir violée à l’âge de 15 ans,
après qu’elle a été recrutée à la sortie de son lycée.
J’espère que les autorités poursuivront en justice
ses complices et acolytes, et donneront des répara-
tions à ses victimes.»Une fois le choc de la nou-
velle de la mort d’Epstein passé, de nombreuses
femmes identifiées par la justice ou ayant témoi-
gné publiquement des abus sexuels perpétrés par
l’Américain quand elles étaient mineures ont
réagi pour demander que justice soit faite, malgré
la disparition du principal concerné.

«Lâche».Virginia Roberts Giuffre, une des jeu-
nes femmes aux accusations les plus virulentes,
a confié auNew York Timesse sentir soulagée
de savoir qu’Epstein ne blesserait plus jamais
personne. Elle se dit surtout en colère qu’après
autant d’années de lutte pour attirer l’attention
sur le milliardaire, il n’aura pas à répondre de ses
actes. Une autre plaignante, Alicia Arden, une

mannequin qui, en 1997, avait rapporté à la police
avoir subi des agressions sexuelles d’Epstein
alors qu’il s’était fait passer pour un dénicheur
de talents de la marque Victoria’s Secret, s’est ex-
primée:«Jeffrey Epstein s’est ôté la vie parce qu’il
était trop lâche pour faire face à la justice et à
ses accusatrices.»
Leurs inquiétudes ont été entendues. Quelques
heures après l’annonce de la mort de l’homme
d’affaires, le procureur du district sud de New
York, Goeffrey Berman, a réagi. Le 8 juillet, lors
de l’arrestation d’Epstein à la sortie de son jet
privé, il avait déclaré, presque ému:«Le compor-
tement allégué choque la conscience et, bien que
la conduite reprochée remonte à plusieurs années,
elle revêt toujours une importance capitale pour
les nombreuses [jeunes filles concernées] devenues
jeunes femmes. Elles méritent d’être entendues
par la justice. Nous sommes fiers de nous battre
pour elles en menant cette mise en examen.»Ber-
man n’a pas renié son engagement. Samedi, il a
tenté de rassurer :«Pour ces courageuses jeunes
femmes qui se sont déjà fait connaître, et pour les

nombreuses autres qui doivent encore le faire,
laissez-moi réitérer que nous restons engagés à
vous défendre, et notre enquête sur les actes dé-
crits dans la mise en examen, qui comprennent
un chef d’accusation de conspiration, se poursuit.»

Propriétés.Inculpé pour trafic sexuel de dizai-
nes de jeunes filles mineures, Jeffrey Epstein
avait plaidé non coupable et, depuis début juillet,
il attendait en prison son procès, prévu l’an pro-
chain. Selon David Boies, un avocat new-yorkais
représentant des plaignantes, dont Virginia Ro-
berts Giuffre,«Jeffrey Epstein n’a pas agi, et ne
peut avoir fait ce qu’il a fait, seul. La justice vou-
drait que ceux qui ont agi avec lui soient aussi te-
nus pour responsables».Une autre avocate, Lisa
Bloom, a expliqué à MSNBC vouloir s’attaquer
aux propriétés immobilières d’Epstein afin d’ob-
tenir des réparations financières pour ses clien-
tes. Elle a demandé aux exécuteurs testamentai-
res de geler les avoirs du milliardaire et de ne pas
commencer à les distribuer aux héritiers.
AUDE MASSIOT

Des plaignantes en quête de justice

A

vant même l’annonce samedi de son sui-
cide présumé, Jeffrey Epstein, inculpé
début juillet pour exploitation sexuelle de
dizaines de mineures, défrayait la chronique aux
Etats-Unis comme au Royaume-Uni. Pourquoi un
tel intérêt pour cet homme jusqu’alors largement
inconnu? Milliardaire ayant fait fortune à Wall
Street, son nom a été rapidement associé à d’in-
fluentes personnalités politiques, universitaires
et du monde des affaires.

«Prêtée».Les différents témoignages des victi-
mes et documents d’enquête rendus publics ven-
dredi sont jalonnés de noms aussi retentissants
que le prince Andrew, troisième enfant de la reine
Elisabeth. Ami de longue date d’Epstein, il est ac-
cusé d’avoir profité des services sexuels proposés
par l’homme d’affaires à ses invités. Ensuite, une
femme raconte avoir été forcée de participer à des
actes sexuels avec le prince dans la maison du mil-
liardaire de l’Upper East Side, à New York, tout

comme la principale plaignante dans cette affaire,
Virginia Roberts Giuffre, qui a confirmé ses pro-
pos. Le porte-parole de Buckingham a démenti les
allégationsàCNN,ajoutant:«Le duc de York recon-
naît qu’il était peu judicieux d’avoir rencontré Eps-
tein en décembre 2010. Il ne l’a pas revu depuis.»
Virginia Roberts Giuffre assure avoir eu des rela-
tions sexuelles non consenties avec Alan Ders-
howitz,«l’avocat, l’ami proche et le co-conspirateur
d’Epstein dans le trafic sexuel»selon ses mots.
Réputé pour avoir défendu O. J. Simpson, il a per-
mis au milliardaire d’obtenir un très avantageux
accord judiciaire en 2008 lors des premières pour-
suites judiciaires menées en Floride pour les mê-
mes faits. Giuffre témoigne sous serment avoir
aussi été«prêtée»à l’ancien sénateur du Maine
George Mitchell, l’ex-gouverneur du Nouveau-
Mexique Bill Richardson, un chef d’Etat espagnol,
le président des hôtels Hyatt, le gestionnaire de
fonds spéculatifs Glenn Dubin et le sulfureux
Jean-Luc Brunel, dirigeant de l’agence de manne-

quinat MC2 dont le siège est aux Etats-Unis. Tous
démentent les faits. Giuffre affirme enfin avoir
rencontré, lors de ses déplacements avec Epstein,
l’ancien vice-président Al Gore, Bill Clinton et
Donald Trump (ces deux derniers ayant été visés
par d’autres accusations d’abus sexuels, dans des
affaires distinctes), mais n’avoir pas eu de rapports
sexuels avec eux.

Choc.En Israël, l’onde de choc Epstein a torpillé
la tentative de retour sur le devant de la scène de
l’ex-Premier ministre Ehud Barak.«Comme tant
d’autres gens respectables aux Etats-Unis, j’aurais
préféré n’avoir jamais été en contact avec lui»,a-t-il
réagi à la télé israélienne après l’annonce de la
mort du financier. Après la diffusion de photos
montrant le politicien israélien, le visage à moitié
couvert, se rendant au domicile d’Epstein en 2016,
Barak a souligné n’avoir jamais«vu une seule fille»
lors de ces rendez-vous.
A.Mt, A.Mo.etG.G.(en Israël)

Les figures du système Epstein

Jeffrey Epstein
et Ghislaine Maxwell,
sa compagne au début
des années 2000,
à New York en 2005.
PHOTO PATRICK MCMULLAN.
GETTY IMAGES

Libération Lundi12 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u 5

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