Liberation - 2019-08-12

(Sean Pound) #1
MONDE

Tunisie La présidentielle

de tous les possibles

L


a mort du vieux président Béji Caïd Es-
sebsi, le 25 juillet, quelques mois avant
le terme de son mandat, a accidentelle-
ment dynamité la compétition électorale en
Tunisie. Pour respecter le délai prévu par
la Constitution, le premier tour du scrutin
présidentiel a été avancé au 15 septembre,

soit avant les élections législatives. Cette
inversion du calendrier«renverse la logique
du système parlementaire tunisien»,com-
mente Selim Kharrat, de l’observatoire poli-
tique Al-Bawsala.
Au moment de voter pour leurs députés,
le 6 octobre, les Tunisiens connaîtront en
effet les candidats à la présidentielle qualifiés
pour le second tour, bouleversant l’équation
politique pour les électeurs.«Certains partis

ont chamboulé toute leur stratégie»,affirme
le politologue.
A la clôture de la période de dépôt des
candidatures, vendredi, l’Instance supérieure
indépendante pour les élections (Isie) avait
enregistré près de 70 dossiers.«Cette frag-
mentation est inédite, on sort de la configura-
tion de 2014, qui voyait s’opposer deux camps,
l’un islamiste l’autre moderniste,commente
Alia Gana, chercheuse au CNRS, qui dirige

un programme d’études des élections dans
la région.D’un côté, la grande majorité des
partis a compris et accepté qu’Ennahdha
[le parti islamiste]était une force politique
durable et incontournable. De l’autre, le pôle
moderniste a éclaté.»
Passage en revue – non exhaustif – des
candidats les plus en vue de cette élection
présidentielle précipitée, qui ne compte
pas de véritable favori.•

Par
CÉLIAN MACÉ

Près de 70 candidats ont déposé leur dossier de candidature

pour le scrutin, avancé au 15 septembre, à la suite de la mort

du président Essebsi fin juillet. Le champ politique n’a jamais

été aussi éclaté. Focus sur les candidats principaux.

Il se présente officiellement en tant
que candidat indépendant, mais se
place explicitement dans les pas
du défunt Béji Caïd Essebsi. Peut-il
enrayer le délitement du parti pré-
sidentiel, Nidaa Tounes, grand
vainqueur des élections de 2014?
La formation dite «moderniste» a
essuyé un lourd revers lors
des élections municipales de l’an
dernier (21% des suffrages au ni-
veau national), tandis que la plu-
part de ses cadres ont quitté le na-
vire pour rejoindre des nouveaux

partis –notamment celui du Pre-
mier ministre, Youssef Chahed. Sur
le fond, le discours anti-islamiste
qui avait fait sa force il y a qua-
tre ans ne fait plus recette auprès
d’un électorat déçu par son al-
liance surprise avec Ennahdha,
son grand rival, au nom du «con-
sensus démocratique».
Mais Nidaa Tounes, qui a immédia-
tement annoncé son soutien à
Abdelkarim Zbidi, espère que la
communion patriotique qui a en-
touré la mort du chef de l’Etat, le

25 juillet, donnera à son succes-
seur désigné l’impulsion néces-
saire pour se hisser au second tour.
Ce scientifique de formation de
69 ans, bref ministre de la Santé
sous Ben Ali, a démissionné de son
poste de ministre de la Défense
pour se lancer dans la course. Peu
connu du grand public –il a donné
peu d’interviews et semble se tenir
à distance des appareils politi-
ques–, son profil technocratique
n’en fait ni un épouvantail... ni un
grand séducteur.

ABDELKARIM ZBIDI(INDÉPENDANT, SOUTENU PAR NIDAA TOUNES)
LE DISCIPLE DU PRÉSIDENT DÉFUNT

Elle incarne, jusqu’à la carica-
ture, l’ancien régime. Abir
Moussi, l’avocate qui avait dé-
fendu (en vain) le parti de Ben
Ali dans le procès de sa disso-
lution, n’a jamais renié ses
convictions.
Nationaliste, anti-islamiste,
nostalgique du système prési-
dentiel et d’un Etat fort, elle
se présente en héritière du
mouvement destourien de
Bourguiba. «Elle pourrait
attirer ceux qui se sont sentis

trahis par Béji Caïd Essebsi
lorsqu’il s’est allié avec les is-
lamistes,note la chercheuse
Alia Gana.Mais aussi, par son
discours réactionnaire, une
frange de l’électorat conserva-
teur.»
Son verbe haut et ses maniè-
res populaires ont fait d’Abir
Moussi, 44 ans, une figure to-
nitruante familière des Tuni-
siens, tandis que son intransi-
geance plaît à une partie de la
bourgeoisie.

ABIR MOUSSI (PARTI DESTOURIEN LIBRE)
LA NOSTALGIQUE D’UN ÉTAT FORT

L’ex-ministre de la Défense Abdelkarim Zbidi, le 7 août, à Tunis.PHOTO M. KRIT/SIPA Abir Moussi, à Tunis, le 2 août.PHOTO MOHAMED KRIT. SIPA

6 u Libération Lundi12 Août 2019

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