Liberation - 2019-08-10-11

(Ron) #1
Foot : nouvelle saison, nou-
velles règlesLe championnat
de Ligue 1, dont la première jour-
née a débuté ce vendredi et se poursuivra ce week-
end, verra l’application de nouvelles règles. La princi-
pale va faire discuter au bar des sports sur le thème
«Y’avait péno»: désormais, si le ballon touche la main
après avoir été en contact avec une autre partie du
corps, aucune faute ne sera sifflée.PHOTO AFP

LIBÉ.FR

FRANCE


F


aire pression pour le
retour de la pression. A
quelques heures des
congés parlementaires, quel-
que 105 députés de la majo-
rité ont déposé mercredi
24 juillet une proposition de
loi visant à faire de la France
une nation sportive. Portée
par les députés LREM Fran-
çois Cormier-Bouligeon, Cé-
dric Roussel et Belkhir Bel-
haddad, la proposition
s’achève par l’article 18, qui
vise à«assouplir de manière
encadrée l’application de la
loi Evin dans les stades en
étendant l’octroi d’autorisa-
tions temporaires de vente
d’alcool aux sociétés spor-
tive».Depuis 1991, la loi Evin
contre le tabagisme et l’al-
coolisme interdit la vente, la
distribution et l’introduction
d’alcool dans tous les établis-
sements d’activités physi-
ques et sportives.

«Prévention».Pour les dé-
putés porteurs de la proposi-
tion, cette autorisation per-
mettrait d’aller vers un
«autofinancement» du sport
professionnel, alors que les
clubs n’ont actuellement
droit qu’à dix dérogations par
an pour distribuer de la bière
alcoolisée. Selon le député du
Cher François Cormier-Bou-
ligeon, président du groupe
d’études sur le sport et secré-
taire du groupe vin, vignes et
œnologie à l’Assemblée na-

tionale, cet article 18 se base
sur une étude comparative
des clubs européens. Au ni-
veau de la vente d’alcool, les
clubs de football français
auraient un manque à gagner
de 50 millions d’euros par an
par rapport à leurs voisins
anglais, allemand ou espa-
gnol. L’interdiction de la
publicité sur l’alcool les
priverait de 80 millions
d’euros supplémentaires.«Il
y aura une limitation du
nombre d’achat possible de
boissons alcoolisées par billet
pour adulte,explique le
député du Cher.En vendant
de l’alcool doux de manière
extrêmement encadrée, ils
augmenteront leur surface de
recettes. En échange, ils céde-
ront une partie des profits
aux clubs amateurs afin que
les éducateurs puissent faire
de la prévention contre
l’alcoolisme auprès des jeunes
licenciés.»
Dans un communiqué, l’As-
sociation nationale de
prévention en alcoologie et
en addictologie (Anpaa) s’est
insurgée de cette mention.
Pour l’association, les
députés ont tout simplement
cédé au lobby de l’alcool.
«Après avoir élargi les possi-
bilités de communication pu-
blicitaire lors de la précé-
dente mandature, le lobby
parlementaire de l’alcool re-
part à l’assaut en faisant sau-
ter un des derniers verrous de
la loi Evin, qui interdit le
sponsoring du sport par les
cigarettiers et les alcooliers.
[...] Sous le prétexte du sou-
tien au sport, ces députés se
font le relais fidèle du lobby
alcoolier qui, année après an-
née, rogne progressivement la
plus grande loi de santé pu-
blique dont la France se soit
dotée.»La ligue contre le can-
cer s’est, elle aussi, opposée
à ce projet.
Les défenseurs de la proposi-
tion de loi dénoncent une
certaine«forme d’hypocrisie»
sur ce sujet.«De l’alcool, on en
consomme déjà dans les sta-

des, via les espaces VIP. [...]
Ceux assis aux places norma-
les ont une offre qui est extrê-
mement limitée. Il s’agit sim-
plement de se demander
comment étoffer l’offre pour le
spectateur, au travers de la
prévention de l’alcoolisme et
de l’éducation à consommer
modérément»,ajoute Fran-
çois Cormier-Bouligeon.
Pour le président de SOS Ad-
dictions, William Lowens-
tein, cet article 18 est«l’oxy-
more des 17 premiers.
L’Académie nationale de mé-
decine a souligné en mars à
quel point la France est en re-
tard dans la prévention face
à l’alcoolisme, mais finale-
ment on a l’impression que ça
ne sert à rien. Leur vision de
l’égalité, c’est cirrhose pour
tout le monde».

«Scélérat».En février, des
parlementaires LR, menés
par le député des Vosges Sté-
phane Viry, avaient déjà si-
gné une proposition simi-
laire. Les associations contre
l’alcoolisme étaient montées
au créneau, dont l’Anpaa, qui
avait déclaré que les specta-
teurs étaient«capables de se
retenir de boire pendant deux
fois quarante-cinq minutes».
Les députés signataires sou-
haitent aujourd’hui ouvrir le
débat et intégrer la vente de
l’alcool dans une série de me-
sures destinées à améliorer
l’accueil des spectateurs :
«Nous ne proposons pas de re-
venir sur l’interdiction de la
publicité, mais on souhaite
ouvrir le débat sur l’expé-
rience spectateur. [...] Nous
prônons une modernisation
des stades pour qu’ils soient
connectés. Avec votre smart-
phone, vous allez pouvoir
commander de votre place
une bouteille d’eau, un sand-
wich, un soda, des fruits ou de
l’alcool léger.»
Pour Amine Benyamina, psy-
chiatre addictologue à l’hôpi-
tal Paul-Brousse de Villejuif
et président de la Fédération
française d’addictologie, cet

article 18 est«une blague» :
«On veut faire de la France
une grande nation sportive,
mais on introduit un article
scélérat qui est contraire au
plan national de santé. C’est
extrêmement dangereux. Le
lobby de l’alcool dit à qui veut
l’entendre qu’il est un acteur
de la prévention, mais on ne
fait pas de la prévention en
faisant la promotion de l’al-
cool dans les stades. On ne fi-
nance pas le sport par ce qui
le détruit, l’addiction.»En
France, 41 000 décès sont
dus chaque année à l’alcool,
qui reste la deuxième cause
de mortalité évitable après
le tabac.
Cosignataire le 23 juillet de la
proposition de loi, Michèle

Peyron, membre de La Répu-
blique en marche et députée
de Seine-et-Marne, a finale-
ment retiré sa signature.«Je
ne savais pas que l’alcool se-
rait de mise dans une propo-
sition de loi qui veut faire de
la France une nation de
sport.» Egalement prési-
dente du groupe d’étude sur
la lutte contre les addictions,
elle a déclaré être«en colère»,
et indiqué qu’elle ne voterait
pas la proposition si l’arti-
cle 18 est maintenu.«La loi
Evin est claire, il n’y a que
pour certains événements
sportifs où l’alcool est auto-
risé. Il ne faut pas y toucher»,
explique-t-elle.
Alors que les députés défen-
seurs du projet évoquent

l’inégalité de traitement
entre les places VIP et les
places standards, Amine
Benyamina refuse un«nivel-
lement par le bas» : «On ne
fait pas de l’égalitarisme en
démocratisant la présence de
l’alcool dans le sport. On fait
de la santé publique égali-
taire et responsable lorsqu’on
légifère pour protéger les
Français. Si le gouvernement
ne réagit pas, c’est qu’il est
complice.»Sur son compte
Twitter, la ministre de la
Santé s’est opposée à cet arti-
cle 18. En rappelant le nom-
bre de décès annuels liés à
l’alcool, Agnès Buzyn précise
que«la ferveur n’a pas besoin
d’alcool pour s’exprimer dans
nos stades».•

Retour de l’alcool


danslesstades:


le guet à pintes


Une proposition de
loi des députés de
la majorité compte
faire de la France
une nation de sport.
Pour générer de
nouvelles recettes
pour les clubs, elle
prévoit d’autoriser
la vente d’alcool
dans les stades.

Par
CHARLESDELOUCHE

Un fan français à Utrecht (Pays-Bas), le 22 juillet.PHOTO M. WEST. SHUTTERSTOCK. SIPA

16 u Libération Samedi10 et Dimanche11 Août 2019

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