SAMEDI 10 AOÛT 2019 international| 5
Syrie : entente autour d’une zone de sécurité
L’accord aux contours flous entre Washington et Ankara éloigne la perspective d’une crise
istanbul - correspondante
A
près trois jours de
pourparlers, Turcs et
Américains se sont en-
tendus pour continuer
à discuter sur les contours que
pourrait prendre la zone de sé-
curité réclamée par le président
turc, Recep Tayyip Erdogan, dans
le nord de la Syrie. Craignant que
le numéro un turc ne mette ses
menaces à exécution et ne finisse
par lancer son armée à l’assaut
des Unités de protection du peu-
ple (YPG), ces combattants kurdes
syriens alliés des Etats-Unis en Sy-
rie, les négociateurs américains se
sont montrés conciliants.
Les communiqués publiés mer-
credi 7 août par l’ambassade des
Etats-Unis à Ankara et par le mi-
nistère de la défense turc men-
tionnent la « prise en compte des
intérêts sécuritaires de la Tur-
quie ». « Nous observons avec satis-
faction que nos partenaires se sont
rapprochés de nos positions » , a
déclaré Hulusi Akar, le ministre
de la défense turc alors que les né-
gociations touchaient à leur fin.
L’accord a été qualifié d’ « attaque
flagrante » contre la souveraineté
et l’intégrité territoriale de la Syrie
par le gouvernement de Damas.
L’accord éloigne la perspective
d’une crise majeure entre les deux
alliés de l’OTAN, mais ses termes,
très flous, incitent à penser qu’au
fond rien n’a été réglé. Selon les
communiqués officiels, un « cen-
tre d’opérations conjointes » sera
bientôt mis en place afin de gérer,
depuis la Turquie, la création de la
zone de sécurité. Aucun calendrier
n’a été fixé. Rien n’a été révélé, ni
sur la façon dont cette zone sera
gérée, ni sur son étendue, ni sur sa
profondeur. Or, ces points appa-
raissaient jusqu’ici comme des
contentieux récurrents entre les
deux parties, en bisbille depuis
près de huit mois à ce sujet.
Les positions semblaient diffici-
lement conciliables. Ankara insis-
tait pour obtenir le contrôle ex-
clusif d’une bande de terre pro-
fonde de 32 kilomètres, longue de
plusieurs centaines de kilomè-
tres, jusqu’à la frontière irakienne.
Les Américains veulent des pa-
trouilles conjointes sur un terri-
toire profond de 14 kilomètres,
long de 140 kilomètres. Les com-
muniqués ne précisent pas si un
compromis a été trouvé sur ce
point. Seule certitude, la zone sera
interdite aux forces kurdes YPG
que la Turquie perçoit comme
une menace à son intégrité terri-
toriale. Les YPG sont le bras armé
du Parti de l’Union démocratique
(PYD) de Syrie qui ne cache pas sa
filiation avec le Parti des tra-
vailleurs du Kurdistan (PKK), la
bête noire d’Ankara depuis 1984.
Devenus les meilleurs alliés des
Américains dans la lutte contre
l’organisation Etat islamique en
Syrie, les YPG ont conquis de lar-
ges portions de territoires sur les
djihadistes, au prix de lourdes per-
tes dans leurs rangs. Vont-ils ac-
cepter d’évacuer entre autres les
villes kurdes de Kobané,
Kamechliyé, Hassaké, sur lesquel-
les les Turcs ont des visées? Maz-
lum Kobane, un commandant des
Forces démocratiques syriennes
(FDS), une coalition de combat-
tants arabes et kurdes sur lesquel-
les s’appuient les Américains en
Syrie et dont les YPG sont le
noyau, a déclaré qu’il n’était pas
contre le projet d’une zone de sé-
curité. « A condition qu’elle apporte
la paix et la stabilité. Nous avons
montré notre flexibilité à ce sujet
mais certaines des conditions émi-
ses par la partie turque ne peuvent
être acceptées » , explique-t-il sur
son compte Twitter.
Réflexes de rejet
Minimisant les réactions de son
allié kurde, Washington assure, à
l’unisson avec Ankara, que la zone
va devenir à terme un « corridor de
paix » où les réfugiés hébergés par
la Turquie pourraient venir s’ins-
taller. « Toutes les mesures seront
prises pour que nos frères syriens
déplacés puissent rentrer dans leur
pays » , dit le ministère de la dé-
fense turc dans son communiqué.
Ayant accueilli le plus grand nom-
bre de Syriens au monde, soit
3,6 millions d’individus actuelle-
ment enregistrés, la Turquie es-
time avoir atteint la limite de sa
capacité d’accueil.
En difficulté sur la scène politi-
que intérieure depuis que l’AKP,
son parti islamo-conservateur, a
perdu Istanbul aux dernières mu-
nicipales, le numéro un turc veut
montrer qu’il va au-devant des
préoccupations de sa population.
Le projet d’opération militaire
contre les YPG devient une inter-
vention à but humanitaire. Ces
derniers mois, le thème des réfu-
Washington
assure, à l’unisson
avec Ankara, que
la zone va devenir
un « corridor
de paix »
Le président du Parlement polonais
contraint à la démission
Membre du parti ultraconservateur PiS, Marek Kuchcinski était pris
dans un scandale sur ses voyages privés avec des avions officiels
varsovie - correspondance
J
aroslaw Kaczynski, le prési-
dent du parti ultraconserva-
teur Droit et justice (PiS), au
pouvoir en Pologne, a dû sa-
crifier son fidèle allié de trente
ans, Marek Kuchcinski, qu’il avait
fait élire en 2015 président de la
Chambre basse du Parlement.
Harcelé depuis deux semaines
par la presse et l’opposition pour
avoir utilisé des avions gouverne-
mentaux à des fins personnelles,
le maréchal de la Diète – le titre
polonais du président de l’Assem-
blée – a annoncé, jeudi 8 août, sa
démission sous le regard impassi-
ble de son parrain politique.
Il est exceptionnel que Jaroslaw
Kaczynski cède à la pression de
l’opposition ou des médias. Prési-
dent incontesté du PiS qui con-
trôle la majorité parlementaire et
la plupart des institutions publi-
ques – présidence de la Républi-
que, Cour constitutionnelle, mé-
dias publics, Conseil national de
la magistrature... –, il ignore géné-
ralement les suppliques des grou-
pes politiques adverses et des
journalistes.
En tant que président de la
Diète, Marek Kuchcinski était de-
puis longtemps critiqué pour sa
gestion politique des travaux par-
lementaires et pour les restric-
tions d’accès imposées aux mé-
dias. Au moment des fêtes de
Noël 2016, sa décision précipitée
d’exclure un député de l’hémicy-
cle avait même provoqué une oc-
cupation d’un mois du Parle-
ment. Néanmoins, fort du sou-
tien du président de son parti, il
avait toujours survécu aux mo-
tions de révocation déposées con-
tre lui (quatre en trois ans).
Image de probité
Le 25 juillet, lorsqu’un élu de l’op-
position publie des documents se-
lon lesquels le président de la
Diète a plusieurs fois emprunté un
avion gouvernemental en compa-
gnie de son épouse et de ses en-
fants, l’affaire semble pouvoir être
étouffée de la manière habituelle :
s’excuser, rembourser les sommes
contestées et annoncer de nouvel-
les mesures de contrôle.
En 2018, la révélation d’impor-
tantes primes attribuées par l’ex-
première ministre Beata Szydlo à
elle-même et à ses collaborateurs
s’était ainsi terminée par leur re-
versement au Secours catholique
et une réduction de 20 % des in-
demnités parlementaires. « On
n’entre pas en politique pour l’ar-
gent », avait alors justifié Jaroslaw
Kaczynski, qui avait également
insisté sur la nécessité de tenir
compte de l’opinion publique.
« Vox populi, vox Dei. » De fait, le
PiS a bâti une partie de sa popula-
rité sur une image de probité et de
désintéressement au service du
pays, s’affichant comme morale-
ment supérieur à des « élites » pré-
sumées corrompues.
De nouveaux éléments de l’af-
faire « Air Kuchcinski », comme l’a
surnommée le journal d’opposi-
tion Gazeta Wyborcza , sont appa-
rus le 29 juillet, révélant l’ampleur
de ces pratiques. Au total, depuis
plus d’un an, les vols entre Varso-
vie et le domicile de l’intéressé, au
sud-est de la Pologne, avaient lieu
pratiquement chaque week-end.
Ils bénéficiaient en outre d’un sta-
tut spécial assorti de mesures de
sécurité renforcées et normale-
ment réservé aux voyages offi-
ciels alors que, dans certains cas,
seule l’épouse du président était à
bord. Les journalistes ont aussi re-
marqué des incohérences dans
les informations fournies par
l’administration du Parlement
dont la directrice, Agnieszka Kac-
zmarska, doit son poste au même
Marek Kuchcinski.
« Ce n’était pas illégal mais
comme les journalistes et une im-
portante partie de l’opinion publi-
que sont apparemment d’un avis
différent, je peux dire que cette dé-
mission du maréchal témoigne de
son attitude conforme à notre mot
d’ordre : écouter les Polonais et ser-
vir la Pologne » , a tranché Jaroslaw
Kaczynski, tel un impitoyable ca-
pitaine abandonnant un membre
d’équipage devenu trop pesant. A
deux mois des élections parle-
mentaires du 13 octobre, il ne veut
prendre aucun risque inutile.p
romain su
giés syriens est devenu brûlant
en Turquie. Les réflexes de rejet
se multiplient. Confrontée aux
difficultés économiques (infla-
tion, perte du pouvoir d’achat,
montée du chômage), la popula-
tion tolère de moins en moins
bien la présence de ces « frères » à
qui le président Erdogan a ouvert
les bras dès le début de la guerre
en Syrie en 2011.
Les politiciens soufflent sur les
braises. Dernièrement, des propos
xénophobes ont fleuri dans les
discours ou sur les réseaux so-
ciaux, notamment avec l’utilisa-
tion du mot-dièse #dehorslessy-
riens. D’ores et déjà, 300 000 « in-
vités syriens » , comme on les
appelle ici, sont définitivement
rentrés dans leur pays, sur la base
du volontariat, selon des chiffres
du ministère de l’intérieur turc.
Les éditorialistes de la presse pro-
gouvernementale sont séduits
par le thème du « corridor de la
paix ». « Un pas important sera
franchi » , s’enthousiasme l’édito-
rialiste Melih Altinok, dans les pa-
ges du quotidien anglophone
Daily Sabah, prévoyant « un soula-
gement pour toute l’Europe » .p
marie jégo
K I R G H I Z I S TA N
L’ancien président
Atambaïev a été arrêté
Les autorités kirghizes ont
annoncé, jeudi 8 août, avoir
arrêté l’ex-président Almaz-
bek Atambaïev au second
jour d’un assaut des forces
spéciales contre sa résidence
dans le village de Koï-Tach.
Un premier raid avait tourné
à la bataille rangée avec ses
partisans et fait un mort et
des dizaines de blessés mer-
credi soir. M. Atambaïev,
62 ans, président de 2011 à
2017, a été inculpé fin juin
pour corruption. – (AFP.)
P O R T O R I C O
La Cour suprême
invalide la nomination
du nouveau gouverneur
La Cour suprême de Porto
Rico a jugé « inconstitution-
nelle », mercredi 7 août, la no-
mination du nouveau gou-
verneur, Pedro Pierluisi,
plongeant davantage le terri-
toire américain dans la crise
politique. Fin juillet, son pré-
décesseur avait été poussé à
la démission par d’immenses
manifestations. La secrétaire
à la justice, Wanda Vazquez,
qui avait dans un premier
temps décliné le poste, devra
assurer le mandat. – (AFP.)
R U S S I E
La justice russe gèle
les comptes de
l’organisation de Navalny
La justice russe a gelé, jeudi
8 août, les comptes de l’orga-
nisation et de collaborateurs
du principal opposant au
Kremlin, Alexeï Navalny,
visé par une enquête pour
« blanchiment » sur fond de
répression d’un important
mouvement de contestation
à Moscou. – (AFP.)
Damas
Deraa
Homs
Alep
DeraaDerDerDerDeraaDeraaDerDerDeraaDerDerDeraaaaaaaaaa
DamasDamasDamasDamasDamasDamasDamasDamasDamas
HomsHomsHomsHomsHomsHomsHomsHomsHomsHomsHoms
AlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlepAlep
Kobané
Hassaké
Kamechliyé
SYRIE
TURQUIE
LIBAN
JORDANIE
IRAK
100 km
Euphrate
Forces en présence
au 9 août
Régime syrien
et ses alliés
Rebelles syriens,
dont islamistes
et djihadistes
Armée turque
et ses alliés
Forces
démocratiques
syriennes
Organisation
Etat Islamique
Source : Syria Liveuamap
Infographie Le Monde
LE CONTEXTE
ÉLECTIONS
Les élections législatives auront
lieu en Pologne, le 13 octobre.
Le parti Droit et justice (PiS,
ultraconservateur) au pouvoir
depuis 2015 est favori du scru-
tin. Il est crédité de plus de 40 %
des voix dans les sondages, lar-
gement devant la Coalition civi-
que (25 %), première force d’op-
position. Le parti de Jaroslaw
Kaczynski a remporté les élec-
tions européennes de mai avec
45,4 % des voix contre 38,5 %
à la Coalition européenne.
A l’automne 2018, l’opposition
libérale avait obtenu des succès
importants dans les principales
villes polonaises.