Photos Anaïs Boileau pourMLemagazine du Monde — 10 août 2019
les palmiers infestés;ensuite, un traite-
ment préventifpar injection annuelle d’un
produit phytosanitaire, le benzoate d’éma-
mectine, dans le stipe (le tronc) pendant trois
àquatre ans;enfin, le piégeage massif, pour
attirer et capturer le plus de charançons pos-
sibles. La stratégie choisie par laVille de
Nice est loin de le convaincre. Soulignant les
difficultés d’application et le coût élevé des
produits biologiques, il parle d’un «choix
dogmatique» et inopérant:celui-ci se limi-
tant au traitement des palmiers du domaine
public, sans prévoir d’action concertée avec
les propriétaires privés. «Celarevient, par
analogie avec la lutte contre les incendies,àce
que le débroussaillage ne soit pratiqué que de
manièreponctuelle et dispersée sur une partie
du territoire, martèle-t-il. Dans ces condi-
tions, l’incendie finit par tout ravager.»
L
aCôted’azur sans pal-
miers?diffiCileàimagi-
ner. Pourtant, ilya
deux cents ans, son
paysage était plutôt
dessiné par des
chênes verts, des oli-
viers, des agrumes ou
des caroubiers. Mais avec les prémices du
tourisme s’invente aussi un nouvel environ-
nement. Dès la fin du xviiiesiècle, sur la
Riviera franco italienne, botanistes et ama-
teurs éclairés venus de terres moins clé-
mentes créent dans la région des jardins d’ac-
climatation et introduisent des milliers de
plantes exotiques. Mimosa, araucaria, jaca-
randa, hibiscus, agaves ou aloès:aucœur de
ce grandmouvement qualifié de «tropicali-
sation» par le géographe américain DanielW.
Gade, le palmier est un élément-clé. Le plus
communément planté est le palmier des
Canaries dont l’introduction se fait,àNice,
en 1864. On la doit au Parisien Achille
Georges HippolyteVigier (1825-1882). Pour
le parc de sa villa niçoise, idéalementsituée
près du rivage, ce botaniste amateur de
plantesexotiquesachète un lot de grainesde
Phœnix reclinata et s’aperçoit après quelques
années que l’un d’eux se différencie nette-
ment. Dix-sept ans après sa plantation ce
«nouveau palmier»–le Phœnix canarien-
sis –fait forte impression:avec ses9mètres
de hauteur,son ombre couvre au sol une sur-
face de 80 mètres carrés. «Labeauté de sa
couronne imposante, son stipe élégantàl’al-
lure de colonne antique font l’admiration des
amateurs de plantes de la Riviera.Tous sou-
haitent alors le cultiver » ,écrit Frédéric
Tournay dans son ouvrage L’ Épopée des pal-
miers (éditions Opéra, 2009). Dès la fin du
xixesiècle, des horticulteurs de la région
d’Hyères se spécialisent dans sa culture.
Sur l’ancienne propriété du vicomteVigier,
d’imposantes résidences aux entrées en
marbre ont fleuri,mais une partie du parcaété
préservée, léguéeàlaville pour devenir un
jardin public. Cette petite palmeraie au bord
de l’eau dans le très chic quartier de la Réserve
était un lieu de promenade et de jeux pour les
enfants. Mais sur la soixantaine de Phœnix
canariensis qui faisaient le charme du lieu, la
majoritéadisparu. «Une hécatombe», selon
Bernard Goubert,médecinàlar etraite qui,de
la terrasse de son appartement donnant direc-
tement sur le parc et la Méditerranée en
arrière-plan,avudépérir un grand nombre de
ces palmiers centenaires.
C’est ici que, avant son autorisation de mise
sur le marché, le champignon Beauveria
bassiana aété expérimenté. Un choix
incompréhensible pour Bernard Goubert qui
alancé en novembre 2017 une pétition
signée par 400 riverains pour que ce traite-
ment qu’il juge inefficace soit abandonné.
«Nous ne sommes pas du tout contre le bio,
mais je constate qu’en suivant le protocole
léga lavec le chimique nous avons réussi à
sauver tous les palmiers de notre résidence
alors que ceux, mitoyens du parc,àqui on a
appliqué une poudre de perlimpinpin, sont
morts», explique-t-il, passablement excédé.
Lui, quisoutient que les services de laVille
mettent parfois plusieurs mois avant d’inter-
veni r(alors qu’au premier signalement, il est
imposé d’agir dans les quinze jours), est allé
porter plainte contreXenavril 2018 pour
comprendre, dit-il, «pourquoi on laissait
mourir ces palmiers» .Siceux-ci ont depuis
été remplacés par d’autres espèces de la
famille des arécacées, pour l’instant moins
sujettes aux attaques du charançon, le parc
est loin d’avoir retrouvé sa superbe. Pire, cer-
tains des nouveaux palmiers semblent déjà
mal en point.
Du côté de la direction des espaces verts, on
semble lassé de se justifier.Face àceux qui
prêchent pour la solution phytosanitaire,
Jean-Michel Meuriot met en avant les ques-
tions brûlantes de santé publique et de bio-
diversité, s’inscrivant dans la droite lignede
Christian Estrosi, qui ambitionne de faire de
Nice «laville verte de la Méditerranée». Aux
alentours, douze communes du département
des Alpes-Maritimes (du CannetàSaint-
Jeannet) ont, elles, opté pour les injections
chimiques promues notamment par Michel
Ferry et s’en félicitent. Patrice Miran, pre-
mier adjointàlaVille deVence, est ingénieur
écologue. Élu de l’Alliance écologiste indé-
pendante,il fait partie de ceux qui ont poussé
pour la mise en place d’un programme de
lutte unissant municipalités et propriétaires
privés, fondé sur une injection annuelle de
benzoate d’émamectine : «Àefficacité égale,
je préférerais évidemment un produit bio,
mais je suis pragmatique et je sais qu’avec lui
onaurait un taux d’échec énorme...» Attablé
àlat errasse d’un café de la pittoresque place
du Grand-Jardin,àVence,il rappelle combien
le Phœnix canariensis est une composante
essentielle de l’identité des Alpes-Maritimes
mais aussi un outil de végétalisation unique
en son genre. «Très facilement transportable,
il aune très faible emprise au sol et, en l’ab-
sence de charançons, un coût d’entretien quasi
nul, explique-t-il. Vraiment, le palmier des
Canaries, onytient!» Dans le cadre du pro-
gramme de lutte collective baptisé
«Palmiers06», l’injectionaété négociée à
72 euros par an et par palmier (un coûtàpeu
près trois fois inférieur au tarif du marché)
pour motiver les particuliers. Non loin de là,
la Communauté d’agglomérationVarEstérel
Méditerranée (Cavem)aopté pour la même
stratégie. Fin 2018, près de3000 proprié-
taires adhéraient au plan d’action.Sur les
deux années précédentes, le taux d’échec
apparent affiché était inférieurà2,65%.
Mais le bio sait aussi être efficace. Sur le Cap-
d’Antibes, un merveilleux jardin abrite un
centre de recherche scientifique consacré à
l’acclimatation depuis 1857. Créé par le bota-
nist eGustave Thuret (1817-1875), ilaample-
ment contribuéàenrichir le paysage de la
Côte d’Azur.Léguéeàl’État français, laVilla
Thuret est aujourd’hui gérée par l’INRA. La
petite équipe quiytravaille avec passionavu
les Phœnix canariensis disparaître unàunsur
le Cap. Catherine Ducatillion, directrice de
cette unité expérimentale et Élisabeth
Tabone, responsable d’un laboratoire
Biocontrôle de l’Unité expérimentale ento-
mologie et forêt méditeranéenne et, dont les
recherches portent plus spécialement sur le
papillon palmivore, ont d’abord cru être à
l’abri...jusqu’à ce jour d’automne 2013 où
elles ont vu débarquer des centaines de cha-
rançons. «Ondéjeunait dans le jardin et d’un
coup, ça s’est misàvoler autour de nous, à
taper sur les vitres,àrentrer dans les bureaux,
onles attrapait au vol!» La scène s’est repro-
duite plusieurs jours durant. Le jardin a
ensuite perdu des Phœnix canariensis, puis les
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