Monde-Mag - 2019-08-10

(lu) #1

Photos Marion Poussier pourMLemagazine du Monde — 10 août 2019


quasiment que de la musique algérienne (raï ou électro orientale) et les
club sdelarue Moncef Bey pour le reste de la nuit, ilyadequoi faire. Son
copain Mustapha plaisante en parodiant le film Ve ry BadTrip : «Tout ce qui
se passeàYasmine Hammamet resteàYasmine Hammamet. »
Pourtant, on
imagine mal ces quatre jeunes gens aussi doux que gentils,qui ne boivent pas
d’alcool, sombrer dans le vice et ruiner leur chambre d’hôtel. «EnAlgérie,
les plages sont plus belles, mais elles sont moins entretenues. Les hôtels sont trop
chers pour nous et ilyamoins d’animations »,
regrette Djalel, comme tous
les visiteurs algériens enTu nisie. Ils aimeraient pouvoir profiter de leurs
1200 kilomètres de littoral,mais le sous-développement des infrastructures tou-
ristiques est aussi le symbole d’une économie soumise presque entièrement à
la caste des hydrocarbures. Djalel, quiacréé sa petite entreprise d’installation
de caméras de surveillance,asuivi le limogeage du PDG de la Sonatrach en avril
dernier,lecontrôle judiciaire imposé le 24 juilletàunex-dirigeant de la compa-
gnie pour diverses malversations et toutes les poursuites ou incarcérations
d’hommes d’affaires jusque-là protégés par le pouvoir : «Lagrande corruption
va peut-être disparaître, mais ilyatoujours les dessous-de-table et les petites
magouilles au quotidien. Le changement doit commencer par nous. »

C’est ce qui frappe lorsque l’on rencontre tous ces estivants algériens qui ne
paressent que d’un œil sur les rivages tunisiens.Toutes les générations se
retrouvent, tous les anciens semblent investir les jeunes du rôle qu’ils n’ont
pu tenir,entre résistance et espoir.Dans la belle maison avec piscine qu’il
partage avec sa femme, ses filles, leurs maris et ses petits-enfants, un grand-
père élégant dans sa djellaba grise ne dit pas autre chose : «Jejugeais mal ces
jeunes gens dans leurs pantalons qui tombent, avec leurs trucs dans les oreilles.
On nousatellement dit qu’ils n’étaient bonsàrien. Mais ils m’ont surpris. Je
lesadmire et jecompte sur euxpourqu’ilscontinuent.»
L’ ancien directeur
d’école au regard sombre marque une pause et ajoute : «Nous, onaété roulés
dans la farine.Vo us parlezàquelqu’un quiamilité au FLN, mais rienàvoir
avec celui des vingt dernières années. On nousatrompés. Mon fils dirige un
bureau d’études, mais il ne trouve pas de marchés publics parce qu’il n’est pas
corrompu. »
L’ une de ses filles, universitaireàLyon, afait le voyage avec ses
deux adolescentes pour retrouver la famille venue d’Algérie. Souvent, au
cours de ces dernières semaines, ellearegretté de ne pas être «aupays » et
s’est fait un sang d’encre : «J’ai manifestéàLyon, mais ce n’est pas pareil.
Au début, j’ai été très inquiète de la division entre les différentes ethnies, une
carte que les militaires ont jouée. Mais j’ai beaucoup discuté avec ma famille
àtravers Messenger et les réseaux sociaux, et elle m’a rassurée. J’ai l’impres-
sion qu’ilyaplus de cohésion, que les jeunes sont plus heureux, fiers d’être
algériens. »
Pendant longtemps, dans la pénombre d’un début d’après-midi,
toute la maisonnée raconte le quotidien et doute, unanime, de la volonté de
dialogue d’Abdelkader Bensalah,le président par intérim,de la mansuétude
du généralAhmed Gaïd Salah,le nouvel homme fort du pays,de «lacapacité
du régime de se changer de l’intérieur »
ou de la prochaine tenue «d’élections
dignes de ce nom ».
Tout le monde souligne aussi le plaisir d’être ensemble
pour ces vacances tunisiennes, de la qualité de l’accueil et de la proximité
culturelle ( «Jemesens comme chez moi », confie l’une des filles). Lorsqu’il
fait moins chaud et qu’il est temps de partiràlap lage,l’aïeul accepte de poser
fièrement en compagnie de ses deux petites-filles pour la photographe.Mais
l’intervention d’un gendre change tout:plus question de portrait,interdiction
de donner le nom de famille et les vrais prénoms, pas trop de précisions bio-
graphiques non plus : «Vous savez, nous vivons une période délicate, nous ne
savons pas comment cela peut tourner »,
s’excuse le grand-père, soudain
inquiet d’un retour de bâton.
Entre les nouvelles venues d’Algérie sur le mouvement de contestation et
celles d’une guerre larvée en Libye, de l’autre côté du pays, lesTu nisiens
ont appris la mort de leur président le 25 juillet dernier.Undécès qui ajoute
une élection présidentielle anticipée aux législatives prévues cet automne,
dans un climat de division extrêmedelaclasse politique et de rejet massif
des partis traditionnels. La seule démocratie du monde arabe s’avance vers
une nouvelle épreuve. Algériens ouTu nisiens, ils étaient nombreux sur
les plagesàprier pour que l’été dure encore un peu.


La semaine prochaine,“M” poursuit sa série sur le printempsalgérien avec Djamila Bouhired,
icône de la lutte pour l’indépendance, qui soutient les manifestants.

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“Jejugeais mal


cesjeunesgens


dans leurspantalons


quitombent,avec


leurstrucs dans


lesoreilles.Onnous


atellement dit


qu’ils n’étaientbons


àrien. Je lesadmire.”


Un grand-père algérien en vacancesàHammamet
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