L
aCasadeFerro,une bâtisse en plaques de Fer, estune Curiosité
de Maputo, au MozaMbique. Selo nlalégende locale,c’est
Gustave Eiffel lui-même,l’ingénieur et constructeur français,
qui aurait dessiné la maisonàlafinduxixesiècle.Le génie du
ferrépondait au désir du gouvernement colonial portugais de
faire un cadeauàRafael Jacome de Andrade, gouverneur
général du Mozambique, qui se devait d’avoir une résidence
digne de ce nomàMaputo, qui s’appelait alors Lourenço
Marques. En 1892, après le long acheminement de plaques les unes après les autres
depuis l’Europe, la bâtisse est terminée. Mais elle révèle une grosse anomalie :
impossible d’y habiter,tellement la température est élevéeàl’intérieur.Implantée
près d’un marais infesté de moustiques, elle aura du malàoccuper une fonction
pérenne. Propriété du ministère du tourisme et de la culture, elle finira même par
être déplacée, en 1972, ailleurs dans Maputo.
La cocasserie de la genèse de la Casa de Ferrointrigue:Eiffel a-t-il vraiment signé
cette maison?Comment le surdoué français n’a-t-il pas anticipé que le fer ne
conviendraitpas au climat tropical du Mozambique?Bien sûr,ilest possible aussi
que l’ingénieur,enpleine gloireàl’époque, ait pu céder au caprice d’un gouverneur
désireux de s’offrir un«morceau»delatour construiteà9000 kilomètres de là...
Àl’exposition universelle de Paris de 1889, Eiffel avait dévoilé son incroyable réali-
sation, dont la réputationavite franchi les frontières de l’Europe. Il avait aussi pré-
senté, au même moment, une maison de fer,prouvant ainsi que son système d’as-
semblage métallique pouvait s’adapteràtoute forme de construction.
La Casa de Ferro viendrait donc s’ajouter aux nombreux ponts construits par Gustave
Eiffel enAfrique et ailleurs (notamment au Portugal).L’ ingénieur serait aussi l’auteur
de la gare de la ville, chef-d’œuvre en fer forgé, et le lycée français de Maputo porte
son nom. Néanmoins, sur les murs de la Casa de Ferro, pas de plaque commémora-
tive revendiquant la«paternité»delamaison. Et pour cause:aucun document
officiel n’atteste la filiation directe avec Eiffel, et la Casa de Ferro ne figure pas dans
la plupart des biographies consacrées au constructeur français.
«Ici, onatoujours dit que Gustave Eiffel avait conçu la maison... mais elle est,
certainement, plus largement de l’école Eiffel», explique, depuis Maputo, Emanuel
Dionisio, historien en charge du patrimoine culturel. Pour Bertrand Lemoine,
architecte et spécialiste d’Eiffel, aucun doute n’est permis. «LaCasa de Ferro de
Maputo n’est absolument pas l’œuvre de Gustave Eiffel, affirme-t-il. Tout comme
beaucoup des maisons dites “Eiffel” construitesàtravers le monde!» Selon le
spécialiste,la Casa de Ferro serait le fait d’un ingénieur et constructeur belge,Joseph
Danly,qui aexportéàl’étranger,etprincipalement en Amérique du Sud, beaucoup
de constructions préfabriquées en métalàlafinduxixesiècle. Dès les années 1960,
le journaliste et historien mozambicainAlfredo Pereira de Lima atteste lui aussi,sans
équivoque, l’origine belge–etnon française–delaCasa de Ferro, puisqu’il écrivait
dans un de ses ouvrages sur la ville de Maputo : «À la fin du siècle dernier,la
Belgique teste au Congo un nouveau système de maisons préfabriquées en acier,avec
debons résultats.»
Dès lors, comment une telle confusion a-t-elle pu ainsi perdurer? «Jemesuis
moi-même trompé sur une autre “maison Eiffel” qui existeàPoissy (Yvelines) ,
avoue Bertrand Lemoine. Je pensais que celle-ci était réellement de Gustave, mais
c’était aussi une erreur.» Au terme de l’enquête, c’est donc bien Joseph Danly qui
sembleavoir signé la Casa de Ferro:letravail des plaques de fer,similaire,indique
la filiation entre les maisons de Maputo et de Poissy (détruite par la tempête de 1999,
la reconstructionàl’identique de cette dernière devrait être achevée fin 2019). «En
réalité, c’est l’ingéniosité du système Eiffel, basé sur la technique du rivet, quiaété
copiée. C’était l’époque de l’avènement du fer», rappelle Martin Peter,conservateur
au laboratoire aérodynamique Eiffel, qui conduit des études auprès d’industriels.
Philippe Coupérie-Eiffel, l’arrière-arrière-petit-fils de Gustave, président de
l’association des amis de l’ingénieur,s’amuse presque de cette énième«naissance
sousX»: «Que voulez-vous, c’est le mythe Eiffel!Lanotoriété et l’empreinte de
mon aïeul sont telles qu’elles ont depuis longtemps dépassé sa propre œuvre,
pourtant déjà très prolifique...»