SAMEDI 10 AOÛT 2019 planète | 7
En Beauce, des vaches highlands régénèrent la terre
L’éleveur Olivier Gabilleau s’est tourné vers des races rustiques, qui entretiennent naturellement les sols
REPORTAGE
averdon (loir-et-cher) -
envoyé spécial
L
a ferme d’Olivier et Blan-
dine Gabilleau est nichée
dans les marais de la val-
lée de la Cisse, qui s’étire
du massif forestier de Marchenoir
à Chouzy-sur-Cisse, juste derrière
Blois. Leur maison est une an-
cienne bâtisse monastique, en-
tourée de noisetiers, au sommet
d’une pente caillouteuse. Tout en
bas, les sabots immergés, broute
un troupeau de soixante-quinze
vaches highlands, une race origi-
naire d’Ecosse, au long pelage cui-
vré et aux cornes interminables.
Les bêtes, réputées excellentes
débroussailleuses, vivent et dor-
ment dehors toute l’année.
« J’en suis tombé amoureux lors
d’un voyage au parc national du
Morvan. Elles avaient tellement
d’allure. On savait que c’était pour
nous » , dit Olivier, 51 ans, tout en
grattant le chanfrein puis le cou de
Nectar. Soulevant son épais tou-
pet, l’animal révèle une boucle
orange marquée « UK », pour
Royaume-Uni. « On a acheté les
deux premières en France en 2004.
Désormais, on préfère aller les
chercher chez elles, dans les monta-
gnes écossaises, pour éviter la con-
sanguinité. » Quand la vie d’une
charolaise dure deux ans, Olivier
attend quatre ans pour se séparer
d’une bête, jamais plus d’une par
mois. Après trois semaines de ma-
turation, la viande est ensuite cou-
pée et livrée en colis à un cuisinier
étoilé de Blois et des particuliers.
L’éleveur avait d’abord suivi la
voie de ses parents installés en Pe-
tite Beauce en 1963 comme céréa-
liers. En 1980, ils intègrent à leur
ferme un élevage de poulets fer-
miers Label rouge, pour une
grosse coopérative. « A l’époque, on
disait que notre ferme produisait
pour les riches car on ne trouvait
pas de Label rouge en supermar-
ché. Mais dix poulets au mètre
carré en bâtiment contre vingt-
cinq, c’était déjà un sacré progrès. »
Ses parents sont partis en retraite
en 1998. Depuis, Olivier n’a cessé
de reprendre son destin en main :
« J’ai transformé nos champs de cé-
réales en pâtures et terres à four-
rage, puis j’ai fermé deux bâtiments
à poulets en 2012 pour passer de
20 000 volailles à 8 000 trois fois
par an. » Pourquoi ce revirement?
L’exploitant ne mâche pas ses
mots : « Le Label rouge est devenu
une énorme machine et ce sont les
paysans qui trinquent. » Il dé-
nonce une alimentation des pou-
lets par trop industrialisée à son
goût, et une pression à la réduc-
tion des durées d’élevage. « Je veux
sortir de ce système, retrouver une
vraie autonomie de paysan, lente-
ment mais sûrement. »
Son fils Victor, titulaire d’un BTS
agricole et d’un CAP de boucher,
partage ses convictions et rejoin-
dra la ferme l’an prochain.
« Quand sa classe est allée visiter
les fameuses vaches à “hublot” [les
bovins sont équipés de canules
en plastique permettant un accès
direct à leur système digestif] ,
dans la Sarthe, ça l’a indigné. Leur
guide est ensuite allé se plaindre
auprès du professeur. Comme
beaucoup de ses copains, Victor ne
veut plus d’élevage intensif, ni
même de tous ces produits nocifs,
qui terminent en -cide. » Le fils
aimerait plutôt valoriser davan-
tage la viande produite, au goût
persillé, en cuisinant des plats
qu’il vendrait en bocaux. Pour le
soir, ce sera un crumble de bœuf
highland à la courgette.
Diversification
Bercés par un souffle lointain et
continu (l’étrange symphonie des
moissonneuses-batteuses), on
emprunte un fragile ponceau de
bois pour rejoindre Dougal, jeune
taureau au mufle taquiné par les
taons. « C’est grâce à Angus, de l’as-
sociation Highland Cattle Society,
que nous l’avons trouvé. Il nous a
guidés jusqu’au nord de l’Ecosse où
vit cette éleveuse incroyable, Karen
MacGregor. Elle bichonne un tout
petit troupeau et son mari Mi-
chael, photographe, l’immortalise
sur un calendrier. » Dougal est
dans une forme olympique : ar-
rivé en février et présenté aux
génisses trois mois plus tard, le
mâle enchaîne les saillies.
Olivier Gabilleau, lui, multiplie
les visites sur ses terres d’ornitho-
logues et de botanistes férus de
biodiversité. Dans le cadre d’un
contrat « Natura 2000 » signé avec
l’Etat, ses bovins assurent l’entre-
tien de parcelles marécageuses
réparties entre les communes
d’Averdon et Champigny-en-
Beauce (Loir-et-Cher). L’éleveur ra-
conte qu’au-delà de leurs bouses
qui attirent les insectes, ses vaches
piétinent tous azimuts et forment
ainsi sur leur passage des petites
cavités gorgées d’eau, favorisant le
retour des ophones (petits coléop-
tères), des libellules et, par rico-
chet, d’une vingtaine d’espèces
d’oiseaux protégées, dont le râle
d’eau et la bouscarle de Cetti. Un
entretien naturel des sols qui ré-
pond aux enjeux soulevés par le
rapport spécial du Groupe d’ex-
perts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC) met-
tant en garde contre l’épuisement
des terres, publié jeudi 8 août.
Un autre contrat lie l’éleveur au
syndicat de la Cisse, afin de garan-
tir la qualité de son eau. C’est dans
ce cadre que des jeunes en réinser-
tion sont allés débarrasser ses ma-
rais de saules blancs invasifs. Sans
parler des vaches qui dévorent les
feuilles et les jeunes pousses dès
potron-minet. « C’est gorgé d’acide
salicylique, c’est de l’aspirine végé-
tale et elles adorent ça. » Grâce à ces
efforts combinés, les fougères
aquatiques et la renoncule langue
ont retrouvé leur place et rendu au
marais son rôle de filtre naturel :
quand la Cisse y bifurque, son eau
passe de 25 mg de nitrates en aval à
1 mg à la sortie. La rivière retrouve
aussi peu à peu son lit d’origine,
plus resserré et avec des méandres
qui accélèrent son débit.
« Ce n’est plus un fossé d’irrigation
pour champs de maïs mais une ri-
vière poissonneuse avec du chabot
et de la loche. Même les poules
d’eau nidifient aux abords », s’en-
chante Olivier Gabilleau. Sauf que
depuis cinq jours, la Cisse est à sec.
Son sol boueux est tapissé d’em-
preintes d’aigrettes venues glaner
des poissons inertes. Les martins-
pêcheurs ont pris la tangente, les
hérons se préparent à abandonner
leurs nids. « Cela arrive de plus en
plus souvent car en Petite Beauce,
les cultures sont encore trop gour-
mandes en eau. Quand tous les en-
rouleurs pompent en même temps,
cela fait baisser la nappe phréati-
que qui alimente la rivière. »
Olivier Gabilleau ne regrette pas
d’avoir renoncé aux grandes cul-
tures (céréales, oléagineux)
même si ses parents ont pu se
sentir trahis. « La première fois
que nous avons planté des haies le
long des champs, pour apporter de
l’ombrage, couper le vent et limiter
l’érosion, ma mère était furieuse.
J’ai été voir un psy pendant un an
tellement ça a été dur d’aller à con-
tre-courant. Finalement ce sont
mes enfants qui l’ont convaincu de
nous laisser faire. Et puis elle a bien
vu que le monde agricole avait
changé. Notre voisin a cessé son
activité à cause de cours de céréa-
les trop bas. L’autre convertit ses
champs mitoyens au bio! » A la de-
mande de ses clients, Olivier Ga-
billeau diversifie ses élevages,
mais toujours avec des races rus-
tiques comme le porc de Bayeux,
l’agneau bleu du Maine ou le la-
pin fauve de Bourgogne.p
jordan pouille
Des solutions pour la planète :
Dérèglement climatique,
pollution, effondrement de la
biodiversité... Les menaces pesant
sur l’avenir de la planète sont
nombreuses. Mais les solutions
pour faire face à ces défis sont,
elles aussi, multiples : ce sont ces
initiatives, mises en œuvre en
France ou à l’étranger, que « Le
Monde » a choisi de vous raconter
lors d’un rendez-vous régulier.
Quand des prévisionnistes aident les campings à anticiper les orages
Des moyens numériques permettent aux hébergements de plein air de prévoir les fortes pluies, qui peuvent causer des dégâts importants
V
ents violents, pluies dilu-
viennes, foudre destruc-
trice, grêlons aux dimen-
sions de balles de golf... Les orages
entraînent parfois des dégâts im-
portants. Face aux intempéries,
toiles de tente et tôles de caravane
semblent des abris bien fragiles.
Pour l’activité très saisonnière
des campings, ne pas se laisser
surprendre peut sauver l’été.
« Il y a plus de 250 jours avec au
moins un orage en France, et
550 000 éclairs qui touchent le sol
par an, soit en moyenne un impact
par kilomètre carré, mais avec une
grande variabilité géographique »,
souligne Dominique Lapeyre de
Chavardès, président de Météo-
rage, une entreprise détenue à
65 % par Météo France et spéciali-
sée dans la détection des orages.
C’est au cours de la période esti-
vale, autour de juillet et août, que
les orages sont les plus fréquents.
Or, pour les campings, c’est du-
rant ces deux mois électriques
que « 80 % de [leur] activité et 70 %
de [leur] fréquentation ont lieu »,
explique Nicolas Dayot, président
de la Fédération nationale de l’hô-
tellerie en plein air (FNHPA) et gé-
rant de camping dans le Finistère.
Certes, « l’orage n’est qu’un risque
parmi les autres », mais s’y prépa-
rer reste nécessaire pour assurer
le bon déroulement des activités.
Impossible de dire si les orages
seront plus récurrents avec le
changement climatique. « Le phé-
nomène n’est pas intégré dans les
modèles de climat », observe Fran-
çois Gourand, prévisionniste à
Météo France. Complexes, les
orages sont influencés par une
multitude de facteurs affectés par
le dérèglement du climat, dont
notamment les variations de cha-
leur au sein des différentes cou-
ches de l’atmosphère.
En revanche, avec une mer et
une atmosphère plus chaudes,
« les événements de fortes pluies
les plus intenses deviendront en-
core plus intenses au cours du siè-
cle », poursuit le météorologue.
Parmi les actions de prévention,
vérifier les installations électri-
ques, remblayer les berges des
rivières et couper les arbres mala-
des permet de prévenir les dégâts,
énumère Jean-Pierre Costentin,
gérant d’un camping à Lons-le-
Saunier (Jura). « De nombreux
campings ont été créés dans les
années 1960 et 1970, dans des es-
paces naturels souvent exposés
aux risques (...). Aujourd’hui, des
établissements se transforment
parfois en totalité », confirme
Nicolas Dayot, citant des innova-
tions paysagères et autres instal-
lations sur pilotis dans plusieurs
campings littoraux.
Cependant, malgré toutes les
améliorations apportées aux in-
frastructures, « il est impossible de
contrôler la nature. Un vent de
200 km/h, par exemple, fera forcé-
ment des dégâts », relève M. Cos-
tentin. Et les paratonnerres sont
peu efficaces en pleine nature. La
mise en place de systèmes d’alerte
sert alors d’expédient, permet-
tant de « mettre les gens en sécu-
rité s’il y a un coup de Trafalgar ».
Evaluer les risques d’inondations
Dans l’état actuel des prévisions
météorologiques, « il est possible
d’affirmer que des départements
sont plus ou moins à risque ». Mais
les orages restent imprévisibles,
et il est impossible de dire si un
camping sera atteint 24 heures à
l’avance, résume en substance
François Gourand. Dans son cam-
ping de Saint-Léon-sur-Vézère
(Dordogne), Gé Kusters constate
que, à part l’affichage de l’infor-
mation, les premières alertes dé-
partementales de Météo France,
de 24 à 48 heures en amont, n’en-
traînent « pas grand-chose ».
C’est après l’explosion de la per-
turbation atmosphérique que des
mesures peuvent être prises.
Outre le bouche-à-oreille, et les
informations fournies par la pré-
fecture, le service Météorage per-
met de localiser les orages en uti-
lisant les variations du champ
électromagnétique que provo-
quent les éclairs. Grâce à des me-
sures en temps réel à travers un
réseau de 150 capteurs en Europe
(dont une vingtaine en France),
Météorage peut localiser chaque
éclair dix secondes après l’impact
avec une précision de l’ordre
d’une centaine de mètres. Suivre
les impacts de foudre permet de
visualiser presque instantané-
ment la position de l’orage, et de
surveiller son évolution aux
abords des sites surveillés.
Le service peut ainsi prévenir les
campings abonnés (environ un
millier) en moyenne une demi-
heure avant l’arrivée probable de
l’orage, indique Dominique La-
peyre de Chavardès. « Nous mesu-
rons non seulement les impacts
qui tombent au sol, mais aussi
ceux qui restent dans les nuages,
ce qui permet de bien cartogra-
phier la cellule orageuse », ajoute-
t-il. Un délai permettant d’inter-
rompre les activités dangereuses,
de sécuriser les auvents et de se
mettre à l’abri de la foudre (contre
Météorage
peut localiser
chaque éclair dix
secondes après
l’impact, avec
une précision
d’une centaine
de mètres
Une vache highland avec son veau
et, au second plan, un taureau, à
Averdon, dans la ferme des Petits-
Tresseaux (Loir-et-Cher), le
11 juillet. NICOLAS WIETRICH POUR « LE MONDE »
Les bêtes,
originaires
d’Ecosse, réputées
excellentes
débroussailleuses,
vivent et dorment
dehors toute
l’année
laquelle une tente n’est pas une
protection). Ou, au contraire, de
visualiser que l’orage restera sur
les abords du camping.
« Quand l’orage est là, Météorage
envoie un message avec un lien
renvoyant vers une carte montrant
les 30 kilomètres aux alentours du
camping, et qui permet de voir
l’évolution des cellules orageuses
en temps réel, puis de prendre des
mesures en fonction de leur direc-
tion », détaille Gé Kusters. Un se-
cond service de Météo France sur-
veille par ailleurs les masses de
pluie et les cours d’eau afin d’éva-
luer les risques d’inondation.
Ces procédés n’empêchent pas
d’utiliser les méthodes tradition-
nelles pour prévoir les risques,
que ce soit l’écoute du tonnerre
ou les appels téléphoniques entre
voisins, le long d’une rivière en
crue. Une technique qui souffre
des mêmes défauts que son équi-
valent numérique : comme le re-
late Gé Kusters, il suffit de dormir
quand l’alerte s’affiche sur petit
écran pour que le tonnerre an-
nonçant l’orage soit déjà là.p
nathan mann